Mariage chez les nobles
Post by Mundus, près de Thaar - July 20, 2007 at 2:12 PM
La cérémonie allait bientôt commencer. Déjà une foule pressée se précipitait dans la cathédrale, les invités se battant pour obtenir les meilleures places. Depuis quelques minutes, déjà, s’étaient installées la marquise de Geraudour et la baronne de Montolivier à leur place habituelle : au fond. L’utilité de se mettre à l’écart, c’est de pouvoir s’en donner à cœur-joie pour marmonner et commenter le spectacle, sans craindre d’éveiller l’attention du prêtre et des futurs époux.
Les grandes portes s’ouvrirent, la lumière rosée du soleil couchant illumina alors l’entrée du saint édifice. Le duc Recaedre pénétra dans le vaste vestibule, sa promise, Armika El’Urhem, au bras. Une jeune fille aux splendides atours cuivrés les suivait. La petite fut d’ailleurs bombardée dame d’honneur, sous le regard ébahi et curieux des deux grandes dames de la Cour Systérienne. La future mariée se mit en retrait, attendant le début de la cérémonie, restant froide et impassible, ne saluant les invités que du bout des lèvres.
- Très chère baronne, avez-vous vu ? Le duc Recaedre, le voila qui salue ces petites gens. Avez-vous remarqué comme il nous ignore ? J’en suis offusquée, quelle entorse à notre rang !
- Comme vous avez raison, madame la marquise, ce qu’il fait est odieux. Et cette petite, là, avec son collier vert et son diadème, connaissez-vous son nom ? C’est Amy Firal, une serveuse de l’Union.
- Voyons, très chère, vous devez confondre, c’est impossible ! Cette jeune fille aux si beaux atours n’est donc qu’une engeance du bas peuple ? Peuh ! Ce mariage est une mascarade. Et il ose la prendre comme dame d’honneur.
La conversation ne put aller plus loin, la mélodieuse et intense musique de l’orgue emplissait la cathédrale. Nos deux commères sortirent leurs éventails, faisant semblant de se rafraîchir. L’utilité de l’ustensile n’était pas de s’aérer, le temps était plutôt frais. Il servait plutôt à camoufler leurs lèvres, sans cesses agitées par leurs murmures incessants. Quand la mariée s’avança, elles n’en perdirent pas une miette, commentant chacun de ses gestes.
- Cette robe. Vous avez vu ma chère ? Quelle impudeur, j’en serais choquée à sa place. Qu’elle garde ses attributs pour son mari.
- Son visage, il est si jeune. Elle doit avoir vingt ans tout au plus. Enfin, je ne saurais le reprocher au duc, il lui faut une jeune femme vigoureuse et jeune pour augmenter ses chances de procréer. Mais sa robe, je vous rejoins là-dessus, c’est d’un vulgaire !
Voyant Amy avancer derrière Armika, elles ne purent s’empêcher un ricanement mesquin, qu’elles ne tentèrent même pas d’étouffer. Le son de l’orgue recouvrait tout bruit parasite, alors ces dames en profitaient et s’en donnaient à cœur joie. Puis, le silence se fit, implacable. Le serment débutait et ne tarderaient à les ennuyer. Heureusement pour elles, la salle bondée d’invités leur promettaient une soirée des plus stimulantes. Se penchant de gauche à droite, elles essayèrent de voir qui s’était ou non présenté.
- Vous avez vu ma chère ? Lenne Vespari. Elle n’est pas sensée être folle celle-là ? Je me demande bien ce qu’elle peut faire au mariage, il l’a invité ?
- Visiblement, oui. Qu’est-ce qui peut bien traverser la tête du duc ? Ce n’est pas à l’église qu’elle doit aller, celle-là, mais à l’asile. Une véritable démente à ce que l’on raconte.
- Oh, mais le Docteur d’Estrée est là. Peut-être va-t-elle en profiter pour l’interner dès la fin de la cérémonie ! Ce serait d’un cocasse, mais d’un cocasse !
De nouveaux gloussements se firent entendre, réprimés par les regards noirs des invités du rang suivant. Conformément à leur habitude, elles fixèrent l’autel, jetant parfois des regards interrogateurs et innocents à tous ces gens si sérieux et ennuyants !
- Près de cette Lenne, c’est la Magistère Maërn, non ? Savez-vous ce que l’on raconte en haut lieu sur elle ?
- Je l’ignore, mais instruisez-moi, ne me faites pas souffrir ainsi, vous êtes cruelle.
- Et bien elle serait encore grosse. On dit qu’elle cumule les amants et qu’elle pond des enfants illégitimes. Ca ne m’étonnerait pas, voyez-vous. Ces elfes, ils sont bizarres, ils ne possèdent pas les mêmes valeurs que nous. Elle ne doit même pas croire en Thaar.
Une nouvelle fois, elles pouffèrent, mais le centre de l’attention était la jeune Amy Firal cette fois-ci, qui avait failli tomber à terre. Zut ! La marquise et la baronne auraient bien aimé voir ce spectacle. Elles se promirent d’être encore plus attentives à ce qui les entourait. L’échange des alliances eut lieu.
- Palpitant. Avez-vous vu ? Il lui a passé l’alliance et s’est mis la sienne ensuite. Si avec ça elle ne comprend pas qu’elle doit rester à sa place, c’est qu’elle est purement et simplement sotte ou décérébrée…
Une tension naissait dans la cathédrale, tout le monde retenait son souffle, le moment du baiser était arrivé. Un homme cachait le couple à la marquise : cette dernière lui asséna un coup d’éventail sur le crâne et agita la main pour lui faire comprendre de se pousser. Ce qui gâcha la vue à la baronne, qui, à son tour, réitéra un coup d’éventail. Le champ était libre, ce serait exquis.
- Voyez… Au moins notre cher intendant n’a pas oublié entièrement le protocole. Un mariage d’intérêt, purement d’intérêt. La sénilité ne lui a donc pas totalement obscurcit l’esprit.
- Elle non plus n’a pas l’air passionnée. Cette petite sait se tenir, je me demande comme elle se comportera à la Cour. Je la vois déjà se murer dans son mutisme : typique des bréguniens, ça. Peuh, quelle raideur, nous devrions l’exposer sur un piédestal.
Nouvel éclat de rire, dissimulé par les applaudissements qui fusaient de toute part. Les remerciements d’usages, visiblement. Les deux femmes restaient côte à côte, ricanant et répandant moult commérage. Mundus et sa compagne exhortèrent la foule à se rendre au Coin Chaud.
- Mais il n’y pense pas sérieusement j’espère ! Dans la salle publique, qui plus est ! Avec ces… ces… ces gueux, ces moins-que-rien. Il ne manque pas d’air. Retournons au palais, mon amie, nous pourrons échapper à ce supplice. Nous mêler aux petites gens, et puis quoi encore ?
Post by Mundus, près de Thaar - July 20, 2007 at 5:30 PM
L’agitation régnait au manoir Recaedre, en Haute-Ville. La gouvernante avait convoqué tous les domestiques, tout ce petit monde prenait place dans la cuisine. La femme, d’âge mûr, les dévisagea tous d’un regard sévère. Elle occupait ce poste depuis plus longtemps qu’eux, à ses yeux ils n’étaient que des enfants babillant, elle saurait leur apprendre les ficelles du métier. Mais pour ce faire, il fallait de la discipline. Et ça aussi, la gouvernante saurait le leur apprendre.
- Bon, la cérémonie doit être terminée à cette heure. Notre patron et sa femme doivent se rendre au Coin Chaud. Comme vous le savez, notre nouvelle maîtresse de maison a la saleté en horreur, je veux donc que vous vous occupiez tous de lustrer ce marbre jusqu’à ce qu’il étincelle.
Une jeune fille leva timidement la main pour demander la parole. Elle tremblait devant cette femme si rêche et si revêche. Après avoir obtenu la permission de parler, la servante s’éclaircit la gorge et bredouilla.
- Mais… sauf votre respect, madame, pourquoi ? Je veux dire, heu… on l’a déjà fait ce matin, comme tous les jours. Ca ne sert à rien, ça ne sera pas plus propre.
- Camélia, êtes-vous sotte ou le faites-vous exprès ? C’est à vous que la demoiselle El’Urehm fait des remontrances quant à votre maladresse, ai-je réellement besoin de vous expliquer pourquoi nous devons-nous plier à sa volonté ?
- Non, bien sûr. Mais c’est que…
- Il n’y a pas de mais. Ou vous vous pliez à son obsession ou vous prenez la porte. M’est avis qu’avec notre nouvelle maîtresse, la vie sera beaucoup plus difficile qu’avant. Rien à ajouter ? Bien. Mildred et Denise, vous vous occuperez de renouveler l’eau du bain. Je ne sais pas si nos seigneurs prendront la peine de se laver, mais je ne veux pas subir des remontrances pour un manquement à leur confort. Jehan, tu montes en haut et tu guettes leur arrivée. Au travail, tous !
La gouvernante frappa dans ses mains ce qui eut pour effet de donner un coup de fouet à ses troupes. C’est comme ça qu’elle les voyait, des soldats armés de balais, de brosses et protégés par de solides tabliers. Si elle avait été un homme, elle aurait fait merveille dans l’Armée des Mercenaires. En inspectant leur travail, cette femme si forte ne put s’empêcher de repenser à ses déboires avec la nouvelle égérie de leur maître. Combien de fois s’était-elle fait remonter les bretelles par Armika ? Elle ne les comptait plus.
Ce qui la marquait plus que tout – et soit dit en passant, il en fallait beaucoup pour la marquer, c’était une forte tête la Gertrude, mine de rien ! – ce n’était pas les critiques. Elle avait l’habitude, ce genre d’employeur huppé était très exigeant. En réalité, c’était tout ce mépris, cet air dédaigneux et hautement dégoûté que la jeune femme prenait en la fixant de ses prunelles émeraude. Gertrude s’était d’ailleurs surprise à frissonner une fois. Tout ceci ne présageait rien de bon, mais elle ferait avec.
Plusieurs heures plus tard, alors que le manoir était encore plus blanc que blanc, Jehan dévala les escaliers et hurla à tue-tête :
- Ils arrivent ! En plus, il pleut, madame risque d’être de mauvaise humeur !
- M’dame de mauvaise humeur, c’t’un pléonasme, si vous v’lez mon avis !
- Robert, arrêtez ça. Imaginez un peu que la duchesse vous entende. Pensez-le mais ne dites rien. Bon, tout le monde en rang parfait devant la porte. Tâchez de faire bonne figure.
Cela ne fit ni une ni deux, tous les domestiques se mirent en rang d’oignon, la gouvernant au milieu, un pas devant eux. Tous avaient la tête baissée, sauf elle, qui regardait la porte, impavide. Et le couple entra. Le duc débarrassa galamment son épouse de son manteau et le tendit à la gouvernante, qui le donna à un autre domestique. Mundus prit le temps de leur accorder un bref regard et le sempiternel signe de tête d’une roideur extrême. Ce ne fut pas le cas d’Armika qui les ignora superbement.
Ils montèrent à l’étage et pénétrèrent la chambre à coucher, le duc verrouilla la porte comme il avait l’habitude de faire chaque soir. Camélia, Mildred et Denise se hâtèrent et collèrent toutes trois leurs oreilles contre la porte, aux aguets. La peur de se faire prendre était beaucoup plus faible que la curiosité. Mildred jouait des coudes pour obtenir la meilleure place, mais fut rabrouée par les murmures énervés de ses comparses. Il fallait se taire, sinon ça n’en vaudrait pas la peine.
-
(…) faut vous détendre (…) ne vous ferais aucun mal ma mie (…)
-
(…) pour plaire à mon seigneur et maître (…)
- Psst, vous avez vu comment elle a l’air coincée, la duchesse ? La voix qu’elle a, j’imagine déjà la tronche qu’elle tire, tout rigide. M’étonnerait pas qu’elle soit frigide aussi, tient, la p’tiote.
- Bah vous croyez qu’il est mieux, peut-être, m’sieur l’duc ? Aussi aimable qu’une porte de prison, çui-là et c’est pas peut dire. Moi y m’ferait pas envie.
- Taisez-vous, j’entends rien ! Et puis ils vont finir par nous entendre !
- (…) suis pas là pour (…) du mal, mais pour vous rassurer et vous être agréable (…)
- Oh, mais ce serait’y pas qu’il aurait du cœur le vieux lion ? Z’entendez ça ? Hey, mais on dirait le bruit du drap qui se fripe, ça y est, ‘vont passer aux choses sérieuses.
- Oh oh, des gémissements ! Bah elle se lâche la petiote, visiblement. Ah elle a de grands airs mais au plumard elle est comme toutes les autres.
- Le vieux lion aurait donc encore toute sa forme ? Quoique, ça m’étonne pas, solidement bâtit comme il est. Ces mages, ils ont toujours des trucs sous la main. Et c’est l’cas de le dire.
Et les trois caméristes s’éloignèrent en silence, leurs gloussements ne pouvant plus être réprimés… Quand au dénouement de cette histoire, il se passa sur l’oreiller. L’histoire n’en dit pas plus, le reste, l’imagination s’en chargeait.