L'écriture
Post by Cornelius Aigrepont, Ind - September 9, 2007 at 3:39 PM
Cette nuit-là, tard dans la soirée, les portes de la Bibliothèque Impériale s’ouvrirent silencieusement, laissant entrer un homme vêtu somme toute étrangement. Il portait une cape d’un vert délavé ainsi qu’une tunique, un pardessus, des pantalons et un chapeau de la même couleur. Une écharpe d’un rouge pâle ornait son cou. Pour agrémenter le tout, il portait d’énormes bottes qui lui remontaient jusqu’aux genoux, mais heureusement, le pantalon avait été placé par-dessus de façon à cacher cela.
Cezian Mordelius referma la porte derrière lui. À nouveau, il découvrait le havre de paix qu’était l’établissement dans lequel il venait de pénétrer. C’était à présent sa troisième visite. Il enjoignit ses mains derrière son dos et se mit à marcher vers l’énorme étendue d’eau qui se trouvait dans le hall d’entrée. C’était à quelques pas. Le somptueux bassin de marbre empli d’une eau cristalline était tout simplement renversant pour qui le voyait pour la première fois. Le merveilleux effet de calme que répandait le tout était sans doute dû à la parfaite harmonie dans laquelle les éléments avaient été orchestrés : quatre jets d’eau étaient placés dans les coins du bassin rectangulaire et projetaient un mince filet de liquide vers le haut qui retombait avec un bruit léger et apaisant. Maintes plantes étaient disposées autour de l’eau et deux petits ponts permettaient de traverser le tout. Bien que ce bassin ne fut pas profond, il était agréable de le regarder. Les dessins dans le marbre étaient tout à fait visible dans l’eau parfaitement stagnante (sauf dans les quatre coins, évidemment).
Cezian se félicita d’avoir choisi la culture comme champ d’emploi. Cet endroit lui plaisait. Apaisant, relaxant, il inspirait le calme. Il ne comprenait tout de même pas pourquoi si peu de gens fréquentaient la Bibliothèque. À droite, derrière des colonnes majestueuses de pierre, se trouvaient trois bureaux. L’un indiquait: "Bureau des finances", le second, "Bureau du bibliothécaire impérial", et le troisième, "Bureau du Chancelier des Universités". Cezian espérait bien décrocher le poste de bibliothécaire pour lequel il avait postulé. Peut-être le deuxième bureau serait-il le sien dans peu de temps? Il se plut à s’imaginer en toge brune en train de signer des chèques, d’écrire des missives et d’administrer la Bibliothèque. C’était une pensée très ambitieuse, certes, mais Cezian était tout ce qu’il y a de plus ambitieux.
Il se rendit jusqu’à la porte droit devant lui, après avoir passé les petits ponts. Un peu plus loin, au bout du couloir à sa droite, il y avait deux lourdes portes de chêne qui menaient à l'’mphithéâtre. Malheureusement, elles étaient barrées en permanence, mais Cezian aurait bien voulu voir si l’endroit était aussi joliment décoré que le hall d’entrée. Il se dit qu’il aurait l’occasion d’explorer la Bibliothèque de fond en comble une fois qu’il aurait décroché le poste de bibliothécaire.
Ouvrant la porte devant laquelle il se tenait, il se retrouva dans la pièce principale: des milliers de livres étaient alignés sur les très nombreuses étagères arrangées en rayons. Quelques affiches plaquées un peu partout indiquaient diverses choses aux gens: les règlements de la Bibliothèque, le système de location, le système de classification, etc. Cezian ne prit pas la peine de les lire, car il les connaissaient déjà par cœur.
La salle, bien que remplie de livres, n’était pas très intéressante. C’étaient pour la plupart de vieux ouvrages poussiéreux qui n’avaient pas été empruntés depuis belle lurette. Deux escaliers étaient situés chacun dans l’un des coins de la salle. Le futur bibliothécaire savait qu’ils menaient tous deux au deuxième étage et n’y porta pas attention. À sa droite se trouvait deux portes en pin qui s’ouvraient sur la terrasse, un sublime endroit où les lecteurs pouvaient aller se reposer et lire en écoutant le chant des oiseaux. À sa gauche, un peu plus loin, au bout d’un rayon, se trouvait une deuxième porte, qui ouvrait sur le dehors. Cezian ne l’avait jamais empruntée et ne savait donc pas où elle menait. Il ne s’y risqua pas.
Cependant, sur un bureau trônait un véritable monticule de livres à la couverture mauve, complètement vierges. C’était la réserve de tomes vierges de la Bibliothèque, destinée aux auteurs en manque de fonds. Cezian empoigna deux ouvrages, bien décidé à écrire un grand livre. C’était bien là la raison de sa visite: il devait préparer un exemple de ses talents pour le montrer au Consul Impérial. Il se dit que ce serait un excellent exemple et s’assit. Il trempa sa plume de corbeau fraîchement taillée dans l’encrier qu’il venait d’ouvrir et commença sa lourde besogne. Heureusement, il avait déjà son idée: Cezian se passionnait pour l’histoire et la géographie. Il écrivit donc l’introduction d’un livre qu’il imaginait déjà gigantesque, d’un livre qui porterait le titre de "Verte-Colline", soit le nom du continent situé au nord-est de Systéria.
Pendant toute la nuit, tout le jour suivant, toute la nuit d’après, et trois semaines complètes ainsi, Cezian écrivit sans relâche dans ses livres vierges, ne se levant que pour se sustenter, dormir un peu ou aller chercher un ouvrage qui put lui apporter une quelconque information sur ce qu’il désirait faire. Bientôt, au bout du mois, il eut fini et se dit qu’il serait enfin prêt pour son entretien d’embauche.
Ah, quel travail qu’était la culture. Cependant, Cezian pensait qu’il allait s’y plaire… surtout avec un salaire de 7000 écus par mois.