Voyage à Zanther

Voyage à Zanther

Post by Thomas Bolton, Emp - February 28, 2008 at 7:32 PM

Installé dans un siège de bois austère dans son bureau du consulat, Thomas Bolton rédigeait une note adressée au baron Elrog Minh Yu. Sa main aux longs doigts fins maniait la plume avec une dextérité peu commune, couvrant le papier écru d’une écriture à la fois raide et soignée. Parfois, l’homme s’arrêtait quelques secondes, sans doute en proie à une obscure réflexion. Une fois terminée, il déposa le mot sur le bureau de son supérieur et se rendit au port…

Votre Seigneurie,

Par la présente, je vous informe de mon départ pour trois semaines à la Ligue de Zanther. Cette décision n’est pas de nature privée et personnelle, mais est motivée par le renforcement des intérêts de l’Empire dans ce pays si peu connu. J’ai bien étudié le dossier et je pense, malgré leur célèbre autarcie, que je pourrais y nouer des contacts intéressants.

Comme vous le savez, je suis d’origine brégunienne. Néanmoins, un de mes cousins réside dans la cité de Medelia. En tant qu’observateur sur le terrain, les informations qu’il pourrait nous transmettre pourraient nous être utiles, à moyen ou long terme. Je compte creuser cette piste avant de me rendre compte par moi-même des diverses possibilités qui s’offre à Systéria dans ce pays.

J’ai également entendu dire qu’Exophon connaissait des troubles croissants depuis quelques semaines déjà, menaçant le pouvoir en place. Certains citoyens sont sortis de leur réserve habituelle pour menacer le pouvoir décadent de Themistocle. Ce dernier est rattrapé par l’âge et sa chute pourrait considérablement changer la donne politique de la Ligue. Je tiens à le vérifier par moi-même.

J’aimerais être plus rapide, mais le voyage en bateau jusqu’à Egador est relativement long. Je passerais par l’Académie de Brethenburg, pour me faire transporter grâce à la magie des bréguniens jusqu’à Medelia. Deux semaines sur place et une de voyage cela me semble un compromis des plus judicieux. Mes deniers personnels me serviront à couvrir les frais, je ne demande rien à l’Empire, connaissant la situation économique actuelle.

Veuillez agréer, Votre Seigneurie, l'assurance de mon respect le plus sincère,
Thomas Bolton

Arrivé au port, avec une modeste malle, Thomas grimpa sur la passerelle pour se rendre sur le pont du « Dame Armika », un des nombreux trois mâts commandé par feu l’Intendant Recaedre lors de sa gestion de l’administration impériale, pour renforcer la flotte Systérienne. Le vent soufflait sur le port, il était favorable à un départ imminent.

Le capitaine aussi profita de l’occasion pour beugler divers ordres à ses marins qui s’empressèrent de les réaliser avec promptitude. Approchant de l’homme, vêtu d’un uniforme de la marine de Cybelle Ière, l’aide-diplomate prononça quelques mots :

- Je vais me rendre dans ma cabine, je souhaite qu’on ne me dérange sous aucun prétexte.

- Bien, monsieur Bolton.

Hochant la tête, ce dernier avançait vers une des portes donnant sur une cabine petite mais suffisamment spacieuse pour être qualifiée de confortable, contrairement aux couchettes sommaires des matelots. Sa canne donnait à chaque pas des petits coups secs sur le sol de bois. La présence du directeur de Sainte-Elisa indisposait les mousses : une personne en contact avec tant de maladies ne devait pas être des plus saines. Et sa froideur ! Eux sans cesse extravertis et ouverts ne pouvaient qu’être déconcertés par cette attitude si distante.

Le voyage se passa sans aucun problème majeur, en six jours ils atteignirent la côte Brégunienne. Thomas passa la plus grande partie de la traversée enfermé dans sa cabine, à lire. Le coffre qu’il avait emporté avec lui contenait quelques bourses d’or, une dizaine d’ouvrages aux thèmes variés et quelques vêtements uniformes qui se ressemblaient tous.

Le « Dame Armika » mouillait à Posdrenia depuis déjà quelques minutes quand le diplomate posa le pied sur le sol de l’Empire Brégunien, sa terre natale. Se pressant avec sa malle, il acheta sa place dans une diligence en direction de Brethenburg pour aller rapidement à l’Académie et pénétrer au plus vite sur le sol de Zanther. Le véhicule transportait également deux petites vieilles, une maigre et une dodue, et un autre homme à l’air jovial, qui s’y rendaient aussi.

- Bonjour ! J’ai du casse-croûte aux œufs, vous en voulez ? Bon, l’matou a dormit dessus en venant, mais ils sont quand même en bon état, j’trouve. Monsieur, vous auriez pas un décapsuleur ?

- Oui, tenez j’en ai un.

- Ah parfait ! Et maintenant, est-ce que quelqu’un aurait une bouteille de bière ?

Volontairement, Thomas Bolton restait en dehors de la conversation. Son regard se posa sur la petite vieille sèche qui accompagnait la buveuse de bière, puis sur le paysage que la fenêtre laissait découvrir… Sa rapprochait petit à petit la grande ville de Brethenburg, au centre de laquelle se trouvait la prestigieuse université des mages bréguniens.

Quelques lieues plus tard, le voila qui descendait de la bâtisse pour contacter le Service de Déplacement Transitoire de l’académie. 1.000 pièces le trajet, ce n’était pas donné. Une étrange sensation d’aspiration plus tard et le voila qui apparaissait à Medelia, entre le palais du Général Pilate et une école d’art, aux murs sombres et austères. Attrapant sa malle, il se dirigea vers le second bâtiment, qui avait attiré son attention…

Sa démarche mesurée, sa silhouette maigre et son teint pâle lui permettraient de passer inaperçu dans la foule des Zantheriens.


Post by Thomas Bolton, Emp - March 1, 2008 at 6:04 PM

Medelia, une ville ancienne qui date de la Première Ere. Le style architectural n’était pas comme celui d’Exophon ou de Xerdonia, ses rivales de toujours. Les bâtiments officiels de la cité étaient soutenus par de larges colonnes au style composite qui gardaient tout de leur beauté d’antan, même si la peinture d’or s’était effacée suite au passage des siècles.

Au troisième et dernier étage d’une vaste demeure, tournant le dos à un bureau aménagé à son intention dans l’ambassade de Systéria à Zanther, Thomas Bolton admirait la vue. Ses yeux d’acier balayaient l’ensemble de la cité, profitant du spectacle qui s’offrait à lui, quand il fut interrompu par une petite toux distinguée. On voulait attirer son attention.

Toujours face à la fenêtre, le directeur de Sainte-Elisa ne prit même pas la peine de se retourner. Seul son regard bougea pour se poser sur cette école d’art qui avait sérieusement attiré son attention. Après quelques secondes de réflexion, il se retourna et salua la femme élégante en face de lui, sans âge, qui portait une grande robe violette. Un je-ne-sais-quoi sur son visage faisait penser à Thomas.

- Ma tante. C’est un plaisir de vous revoir. J’allais à l’instant même vous informer de ma venue. Toujours aussi alerte, je vois.

- Evidemment, mon neveu. Tu ne crois tout de même pas qu’on survit à Medelia en se contentant d’attendre ?

- Non. Bien sûr que non, Madame. Comment va mon cousin ?

- Il gère notre commerce. D’une humeur égale. J’ai appris pour mon frère.

- Ce sont des choses qui arrivent. Si nous parlions de la situation à Exophon ? Notre commerce y est-il resté prospère ?

- Si ce n’était pas le cas, je ne serais pas en face de toi. Les litiges, je ne leur laisse pas le temps d’apparaître.

- Poursuivez, ma tante.

Alors qu’il lui proposait de s’asseoir, lui désignant un siège, il appela un des domestiques de l’ambassade pour se faire apporter une bouteille d’un vieux cognac brégunien. Visiblement, il n’était pas le seul de sa famille à apprécier cet alcool si particulier. Lorsque les deux verres furent rempli, il s’installa dans son fauteuil et posa les coudes sur la table, joignant les extrémités de ses longs doigts au niveau de son visage.

- Thémistocle se fait vieux, tu sais. Alors certains de ses conseillers en profitent pour l’aiguiller dans la mauvaise direction. Ils veulent en tirer des avantages substantiels. Le vieux général a quand même plus d’un tour dans son sac et arrive à déjouer quelques complots. Ce n’est pas suffisant.

- En d’autres termes, le sujet de sa succession est sur le tapis.

- Justement mon neveu. C’est là que ça devient intéressant. Merodach lorgne la ville de plus en plus. Une seconde cité lui permettrait de contrôler les deux tiers de la Ligue. Certains de ses espions, distillés habilement dans la populace, commencent à faire naître des idées parasites chez les paysans. La tutelle de Merodach leur serait plus avantageuse que celle du vieux Thémistocle.

- C’est ce que l’on pense à chaque fois. Jusqu’à s’apercevoir qu’une fois de plus, on a été berné. Voila donc l’origine de ces quelques révoltes.

- Oui. Elles sont peu enthousiastes mais cela pourrait dégénérer rapidement. Systéria compte fourrer son nez dans les affaires de Zanther ?

Thomas ne put s’empêcher de sourire, avant d’ajouter :

- Allons, ma tante, ces informations sont confidentielles. J’ai à faire, maintenant. Je viendrais vous voir sous peu à la résidence.

Se faisant, ils s’embrassèrent. Assez froidement, néanmoins, dans un geste plein de retenue. Attrapant sa canne et une petite mallette de cuir, l’aide-diplomate de Systéria se rendit dans la rue. D’un pas feutré, ponctué des claquements de sa canne contre le dallage de pierre, il s’avançait vers sa destination. L’école d’art. Sur le seuil l’attendait un homme âgé, au regard franchement antipathique et sévère.

- Monsieur Bolton, vous êtes en retard. Ca n’attend pas. Vos ustensiles ?

- Ici, professeur Méricet.

Tapotant la sacoche, Thomas emboîta le pas du vieil homme qui n’avait même pas attendu la réponse avant de s’engouffrer dans le vaste et luxueux bâtiment…


Post by Thomas Bolton, Emp - March 2, 2008 at 1:20 PM

Quelques jours plus tard, ressortant de l'école avec sa mallette de cuir en main, Thomas fut interrompu dans sa promenade par un carrosse qui venait de débouler d'une rue parallèle. La porte s'ouvrit et un gant violet l'incita à pénétrer dans le véhicule. Tout en s'y hissant, il prononça :

- Bonjour, ma tante.

- Tu ne viens pas me visiter, j’ai donc pris les devants.

- Je suis fort occupé. Mes obligations vis-à-vis de Systéria et ces études que je prends sur mon temps personnel.

La femme s’éventait de manière indolente avec un éventail, lui aussi violet. Son visage était souriant, une flamme de malice brûlait dans son regard noir. De belles anglaises lui tombaient dans le dos. La dentelle noire à ses manches dansait au rythme de ses mouvements.

- A ce propos, comment avancent tes études ?

Silencieux, Thomas posa sa canne sur la banquette près de lui, tandis que le carrosse démarrait à nouveau. Posant sa mallette de cuir sur les genoux, il l’ouvrit à l’aide d’une petite clé, accrochée à un bracelet entourant son poignet. Son visage, toujours aussi inexpressif, voir tirant sur la froideur, n’affichait rien que l’on pouvait interpréter. Elle le regardait faire avec un intérêt tout particulier.

Un petit cliquetis informa les passagers que le sac c’était ouvert. Des reflets métalliques se firent voir alors que l’homme en sortait un ustensile qui s’avéra n’être qu’un pinceau, au manche d’argent et aux poils épais. Plongeant à nouveau la main à l’intérieur, il sortit une petite toile ovale qu’il tendit à sa tante.

- Un portrait de vous, Madame. Je pensais que vous apprécieriez.

La femme attrapa l’objet en question, l’examina longuement. Relevant son regard d’ébène vers son neveu, qui tenait encore le pinceau au manche d’argent, elle éclata d’un rire sonore et amusé. Thomas restait immobile, sans ciller, puis consentit, après quelques secondes, à sourire malicieusement.

- Tu ne changeras jamais, mon neveu. Mon dieu que c’est rafraîchissant ! En fait… Si tu as changé, mais en mieux.

Ne relevant pas, l’aide-diplomate Systérien remplaça l’outil dans la mallette, qu’il referma avec une délicatesse toute soignée. Le carrosse s’immobilisa devant l’ambassade de l’Empire. Attrapant le poignet de Thomas alors qu’il descendait, elle lui souffla à l’oreille.

- Méfies-toi de Méricet. C’est un des pires.

Hochant la tête, il adressa un clin d’œil subtil à la femme vêtue de violet. Ca la fit rire une nouvelle fois. Il était temps, maintenant, d’aller s’entretenir avec un des nombreux représentants du général Pilate de Meledia. La journée était extrêmement fructueuse…


Post by Thomas Bolton, Emp - March 2, 2008 at 10:18 PM

Pénétrant dans la vaste salle de réception de l’ambassade systérienne, Thomas salua les trois seules personnes qui s’y trouvaient. Un petit homme aux habits luxueux était entouré des deux grands soldats, des premières classes si l’on en croyait les galons sur leurs uniformes. Le premier salua, à la mode de Zanther. Ses gardes du corps ne quittaient pas Thomas des yeux, l’air extrêmement méfiant.

- Monsieur Bolton, permettez-moi de me présenter…

Le petit homme à l’air nerveux et survolté n’eut pas le temps de terminer sa phrase.

- Monsieur Basileus, secrétaire particulier du Général de Medelia. Un plaisir.

En voyant le visage du systérien, on en oubliait totalement la dernière partie de sa phrase. Non, ce n’était effectivement pas un honneur de le rencontrer, ce n’était pas non plus son désir le plus cher : leur rendez-vous n’avait qu’un but et il était professionnel. Les usages…

Le dénommé Basileus acquiesça sans surprise, il devait s’y attendre. Il avait également dû rassembler un dossier entier sur son interlocuteur, aussi ne feignit-il pas la surprise. Thomas s’éloignait déjà vers son bureau, dégageant un siège pour son invité. Un serviteur apporta un cognac que l’aide-diplomate servit seul dans deux verres.

Avalant une gorgée du breuvage, il posa son verre sur son pupitre et fit porter l’autre par le domestique à un garde du corps, celui qui avait un léger embonpoint. Au sein de la Ligue, les empoisonnements n’étaient pas rares et les contrepoisons aussi. La paranoïa qui planait sur le pays n’était donc pas si injustifiée que cela.

- Systéria est honorée d’être reçue par un homme tel que vous, un serviteur loyal et fidèle du Grand Pilate.

Le petit homme attrapa le verre que le garde du corps avait goûté pour en boire une gorgée, le reposa un peu brutalement sur le bureau et fixa son regard noisette sur l’aide-diplomate. Tout de go, il annonça :

- Nous sommes tous deux assez rusés pour ne pas nous perdre pendant plus d’une demi-heure à échanger des politesses feutrées. Venons-en au fait voulez-vous ? J’ai des troubles sur le feu.

Souriant, Thomas acquiesça et fit glisser vers l’homme un épais dossier qui parlait des troubles à Exophon et des visées expansionnistes de Merodach. Son invité le feuilleté, laissa échapper un grognement et enchaîna :

- Vous savez tout ce qu’il à savoir, vous m’avez fait venir pour rien.

Faisant mine de se relever pour partir, il fut interrompu par l’aide-diplomate qui lui fit un signe de la main.

- Evidemment non, je ne sais pas tout. Quelles options est-ce que le Général de Medelia étudie-t-il ? Même avec les deux tiers de la Ligue, Merodach y réfléchira à deux fois avant de fondre sur la cité. Vous savez comme moi que la situation actuelle est suffisamment trouble pour ne pas empirer dans les semaines qui suivent.

- Vous voulez un partenariat ? Essayez de fourrer vos sales pattes de Systérien dans nos affaires. On se débrouille très bien tout seul.

Thomas se laissa légèrement tomber en arrière, contre son dossier de manière détendue. Il souriait encore, le même sourire qu’on lui connaissait. Qu’on lui redoutait.

- C’est une façon de voir les choses. Je pensais plutôt à un partenariat pour ramener les choses à la normale, sans pour autant faire étalage de notre association. Des facilités économiques, une place sur Enrya pourrait vous ouvrir de nombreuses portes.

Et la discussion continua pendant deux longues heures. Les arguments volant de l’un à l’autre comme une compétition sportive acharnée ! L’un tentant de convaincre, l’autre refusant pour obtenir plus. La bouteille de cognac se vida et les deux hommes se relevèrent et se serrèrent la main.

- J’étudierais cela avec le Général. Je ne vous promets rien du tout.

- Magnifique.

- J’ai appris que vous vous intéressiez à l’art de Medelia. Très bon choix. Meilleure école, pas mieux. Vraiment. Ça fait plaisir de vois qu’on est apprécié ici par un systérien.

- Cette venue à Zanther est très fructueuse. Je vous salue monsieur.

Basileus et ses gardes du corps repartirent, Thomas ordonna qu’on prépare ses affaires et qu’on attèle un carrosse. Retournant brièvement dans cette école, il en ressortit, le visage de marbre comme d’habitude, grimpa dans le véhicule et fit route vers Brégunia. Là-bas, le Service de Déplacement Transitoire le propulsa à Systéria : ça coûtait cher, mais peu importe, il avait des choses à y faire et ne pouvait se permettre d’attendre…


Post by Thomas Bolton, Emp - April 20, 2008 at 9:40 PM

La nuit tombait sur la vaste cité tentaculaire d’Exophon, une des trois capitales de la Ligue de Zanther. La faible lueur des torches éclairait les ruelles sombres de la ville. Les prostituées vendaient leurs charmes, les voleurs entretenaient leurs rapines et les ivrognes continuaient de se saouler pour oublier leur dure journée.

Un événement vint cependant troubler le quotidien déjà bien malheureux de la ville. Un carrosse, noir, déboula de la Porte Ouest et traversa la Grand-Place pour rejoindre l’ambassade de Systéria. Le bâtiment était sobre – comme le reste d’Exophon, d’ailleurs – et plus petit que la normale. L’empire n’avait pas les moyens d’investir plus dans un pays aussi divisé et autarcique.

La petite porte du véhicule s’ouvrit. Un homme à la silhouette ascétique, vêtu d’un noir délavé et s’aidant d’une canne en sortit. Une fois les deux pieds sur la terre battue, il tendit sa main gauche vers le carrosse pour aider une femme arborant une riche robe violette à descendre. Elle s’aérait parfois à l’aide d’un éventail de soie noire. Ses traits restaient hautains mais aussi curieusement… sympathiques ?

Quelques minutes plus tard et les voila déjà installés dans une large pièce, qui servait visiblement de bureau, décorée par les armoiries de la Couronne Systérienne. Un cognac âgé et parfumé leur fut servi par un domestique qui s’éclipsa rapidement. De longues minutes s’écoulèrent en silence, ponctuées par les tictacs d’une vieille pendule. Assit dos à l’immense fenêtre, le Consul Bolton ignorait la cité et fixait la femme.

« Alors, Madame. Je suis venu aussi vite que j’ai pu, autant dire que ce n’était guère une mince affaire avec la menace brégunienne. »

Son invitée lui répondit par un rire cristallin et profond.

« Je sais, inutile de le dire. Je suis venu uniquement parce que je sais que vous avez quelque chose d’intéressant à me montrer. Ah, Madame. Votre aide est très précieuse à l’empire. »

Là encore, un nouveau rire avec des intonations plus taquines. Thomas laissa sur son visage glacial se dessiner un sourire qui alla jouer sur ses fines lèvres pâles. Un dialogue intuitif s’était établi entre eux, nul besoin de verbaliser, ni même de penser.

« Mon neveu, je n’ai aucun besoin de te rafraîchir la mémoire en ce qui concerne la situation ici. Je suis même déçue de ne pas avoir constaté une implication de Systéria plus active sur le sol de Zanther. »

« Que voulez-vous, Madame ? Les espions de Briganne sont extrêmement efficaces. Le contre-espionnage était mobilisé sur notre territoire. Je n’arrive pas à obtenir un financement correct de la part du Conseil. De deux maux, j’ai choisi le moindre. »

Un brouhaha se fit entendre dans les rues. Se relevant, le Consul alla se placer devant la fenêtre pour avoir une vue d’ensemble du raffut qui avait lieu dehors. Des citoyens en colère brandissaient des torches en haranguant les gardes de les rejoindre. Ces derniers venaient d’ailleurs de débouler d’une ruelle adjacente. Le verre de cognac à la main, Thomas ne perdait pas une miette de la scène, l’expression toujours aussi neutre.

La patrouille semblait hésiter : fallait-il attaquer ou non ? Deux sur la vingtaine rejoignirent les mécontents. Une dizaine semblaient tiraillés entre leur devoir envers la cité et leurs propres croyances. Le reste, dont l’officier supérieurs, ne manifestaient aucune trace de doute. L’ordre de charger fusa et le bain de sang commença. C’était un petit bain de sang, certes, mais qui irait en s’agrandissant.

« Intéressant. La situation est plus évoluée que je ne pensais. Vous êtes une observatrice émérite, Madame. »

Son regard restait rivé sur la Grand-Place, désormais vide et silencieuse.

« Thémistocle est mort. Le sais-tu ? »

Arquant un sourcil, l’air contrarié, le Consul ne se retourna pas. A la fois parce que la vue lui plaisait mais aussi pour éviter de montrer son air contrit à la femme.

« Seuls les haut-dignitaires sont au courant. Pas même les autres capitales. Il y a obligation de confidentialité. Merodach s’en doute, mais continue de laisser ses espions se charger de leur propagande plutôt que d’agir de front. »

« C’est on ne peut plus fâcheux. J’entrevois déjà les prémisses d’une guerre intestine. »

Un nouveau rire fusa.

« Oh, non, non, mon neveu ! Tu te trompes, rien de tout cela. Ce que tu as vu en bas, c’est l’émergence d’un autre facteur qui n’a pas encore été pris en compte. »

« Lequel ? »

« Tu le sauras demain soir, je présume. Bonne soirée. »

Et c’est ainsi que la discussion se termina. Madame retourna au carrosse, le Consul à son lit dans le petit appartement de fonction mis à disposition de l’ambassade. Zanther changeait et le dénouement apparaîtra dans les prochains jours…


Post by Thomas Bolton, Emp - April 20, 2008 at 11:29 PM

L’aube venait à peine de se lever sur la grande cité tentaculaire. Le sommeil du Consul n’avait pas été des plus faciles tant la situation était tendue. Des heurts avaient éclaté régulièrement. Fort heureusement, Thomas n’était pas un gros dormeur et seules quelques heures lui suffisaient pour être en forme. Il était déjà attablé à son bureau, lavé et habillé de sa même tenue noire – il devait en avoir un placard complet !

Un jeune page vint le déranger pour lui remettre une note frappée des armoiries de la capitale. Intrigué, le diplomate brisa le sceau de cire et examina son contenu.

Consul Impérial Bolton,

Vous êtes cordialement invité, toutes affaires cessantes, au palais d’Exophon afin de venir apporter les vœux officiels de Systéria au nouveau dirigeant de la cité.

Le Général Destonon se félicite de votre venue qui arrive à point nommée en ces jours de grands troubles pour la Ligue de Zanther.

Secrétaire H. T. Z. Edonion

Visiblement, c’était un des militaires subalternes qui avait repris la charge. Rester sur le trône ne lui serait assurément pas facile, à moins que ce ne soit un individu de consensus. Aucune information n’était parvenue jusqu’au Consulat, aussi Thomas restait-il dans l’ignorance la plus totale. Attrapant sa canne, il se rendit au rez-de-chaussée et héla un des nombreux domestiques en charge des écuries.

« Faites atteler un carrosse, monsieur Grandjean, je me rends au palais. »

« Inutile, Consul Bolton. Une certaine Roberta m’a fait savoir qu’elle vous attendait à l’extérieur dans son propre véhicule. Cela fait cinq minutes. »

Le diplomate ne releva pas mais ne put s’empêcher de sourire – sourire qu’il cacha au vieil homme de sa main gauche. Quelques secondes plus tard et le carrosse sombre démarrait avec deux passagers vers la résidence des Généraux d’Exophon.

« Destonon. Parlez m’en, Madame. »

« Il n’y a rien à en dire, vraiment. C’est un militaire intransigeant, rigide et peu enclin au dialogue qui se propose de régler tous les problèmes par la force. Il ne va pas durer longtemps. »

« C’était cela, votre nouveau facteur ? Ce me semble faire partie des possibilités que nous avions déjà étudié. »

« Le nouvel élément à prendre en compte, ce sont les républicains. Les espions de Merodach ont réussi à soulever une vague de mécontentement dans la cité et les terres alentours. Ce qui est extrêmement drôle, c’est qu’ils ont mal orienté la colère des citoyens. Le système politique actuel n’est pas apprécié et des idées nouvelles sont nées, propagées par la bourgeoisie, surtout. »

Ils n’eurent pas le temps de prolonger leur discussion, ils venaient d’arriver. Le héraut les annonça d’une voix claire et forte qui résonna dans tout le palais. Les regards des diplomates et autres membres de l’élite se braquèrent sur les deux nouveaux hôtes. Apparemment, on n’attendait plus qu’eux. Cela prouvait que l’annonce avait été faite en catastrophe. Thomas n’aimait pas ce genre de chose : fait à la va-vite, ça n’augure jamais rien de bon.

Le Général Destonon entra, majestueux dans son uniforme flambant neuf, agrément d’une dizaine de nouvelles médailles rutilantes, un air suffisant profondément inscris sur son visage sec et dur. Alors que le Consul s’avançait pour saluer au nom de Systéria le nouveau dirigeant, des hurlements se firent entendre à l’extérieur. Des gardes arrivèrent en trombe dans la salle du trône.

« Gardes, protégez-moi de ces individus qui veulent perturber ma cérémonie d’intronisation ! Encerclez la salle et ne laissez rien ni personne y pénétrer ! Exécution ! »

« A vos ordres, connard ! »

Et avant que quiconque eut pu faire un geste, le garde qui venait d’insulter le nouveau dirigeant d’Exophon envoya sa lance se ficher dans le cou musclé du militaire, qui gargouilla quelques mots inaudibles et écuma du sang avant de s’écrouler sur le sol, mort. Voyant que la situation dégénérait, Thomas recula dans un coin sombre de la salle afin de passer inaperçu et de suivre le déroulement des événements en toute discrétion.

« Vive la République ! Mort aux tyrans ! »

Les soldats s’étaient ralliés au peuple. Enfin, surtout aux bourgeois qui devaient contrôler chaque ficelle de cette révolution dans l’ombre grâce à leur fortune. Un afflux de citoyens pénétra dans le palais, entourant un homme maigre, vêtu sobrement d’une longue toge de velours gris et d’une calotte qui couvrait le sommet de son crâne, chauve au demeurant. Son nez lui donnait l’air d’un vautour.

« Gloire au Consul Cosme d’Olanno ! Vive notre nouveau chef ! »

Sortant de son recoin, le Consul Bolton se dirigea vers le nouveau dirigeant et le salua d’un signe de tête – la révérence n’étant pas de mise dans les républiques de ce genre. Il lui assura que Systéria serait un partenaire privilégié sans pour autant donner des garanties. Le Seigneur d’Olanno ne fut pas dupe, mais il ne pouvait se permettre d’offusquer un acteur important sur la scène internationale…

Ainsi donc les dés étaient jetés. Les jours qui suivirent virent l’établissement du régime que la populace adulait véritablement. Quand Thomas estima qu’il n’avait plus rien à faire sur place, il repartit pour Systéria où il rédigerait un rapport de la plus haute importance pour la Couronne. Une nouvelle donne politique était en place, il fallait l’exploiter au mieux.