Deux nouvelles couronnes
Post by Thomas Bolton, Emp - May 17, 2008 at 12:22 AM
La vie au palais sombrait dans un profond sommeil. Les domestiques comme les membres de la famille impériale étaient couchés, les uns sur une simple paillasse, les autres sur un épais matelas rembourré. Une seule petite lueur émanait d’un bureau de l’aile nord. Le Consul, comme toujours. Un épais rapport qui évoquait les heurts entre différentes écoles de pensée à l’Académie de Brethenburg posé devant lui l’intéressait tout particulièrement. Un point à creuser, surtout à Systéria, ce pourrait être utile à l’avenir.
Le seul bruit qui aurait pu l’incommoder – mais en fait, il en raffolait – c’était le tictac désynchronisé de l’épaisse pendule qui trônait à l’extérieur de son bureau. Ca avait le don d’impatienter les individus qu’il convoquait parfois. Mais ce soir-là, les choses allaient changer. Des pas précipités résonnèrent soudain aux étages inférieurs. Ils se rapprochaient. Hum, qu’est-ce que cela pouvait être ?
Une guerre ? Non, bien trop improbable. Encore un désordre à Sainte-Elisa ? On ne l’aurait pas dérangé au milieu de la nuit. Un ambassadeur étranger faisant une visite inattendue ? Possible, mais peu probable. Voyons voir, quel jour était-on ? Oui, cela faisait plus de huit mois, maintenant !
La porte s’ouvrit à la volée.
« M’sieur, m’sieur, m’sieur ! Faut faire vite, m’sieur. C’est l’moment, m’sieur. Il débarque, m’sieur ! »
*Voyant le regard morne que lui lançait Thomas, Edouard persévéra dans sa tentative d’explication. *
« Ya déjà la sage-femme, l’travail a commencé, m’sieur. Sa M’jesté veut qu’vous soyez là, comme vous êtes médecin, tout ça. Vite m’sieur, ya un truc pas normal y paraît ! »
Un truc pas normal ? Tien donc.
Attrapant sa canne et sa mallette contenant divers outils – il la gardait toujours avec lui, au cas où – il se leva et se dirigea vers les appartements de l’Impératrice. Il ne jeta pas un regard à la configuration de la pièce, comme il le faisait d’habitude. La sage-femme était là, ainsi que deux servantes qui se relayaient auprès d’elle pour apporter des linges humides. Le Prince Consort se tenait dans un coin de la pièce, faisant les cent pas. L’elfe était visiblement sur les nerfs et son attitude ne s’améliora pas quand il vit Thomas entrer dans la salle.
« Que faites-vous ici, Consul ? »
*Le ton était sec et tranchant. Le médecin lui répondit d’une voix neutre au possible, ni glaciale, ni chaleureuse. *
« Mon travail, Votre Altesse. »
Il se dirigea vers un bureau sur lequel il posa sa sacoche et l’ouvrit en grand. Alur’Indel, cependant, ne voulait pas en démordre.
« C’est hors de question, c’est ma femme que vous allez ausculter ! »
Ah soit. Tout reposait sur l’intimité de l’Impératrice. Le directeur se retourna vers l’elfe qui le dépassait tant en taille qu’en prestance et lui dit d’un ton parfaitement calme :
« Lorsque vous avez fait venir les meilleurs médecins de votre pays pour assister l’accouchement de Sa Majesté, vous ne vous êtes pas soucié de leurs sexes, mais de leurs compétences, Votre Altesse. Je saurais m’acquitter de cette tâche comme je le faisais au monastère et comme je l’ai fait auprès de madame de Sorgrad. »
*Le visage fermé par la colère, le Prince allait répondre, mais Thomas fut plus rapide. *
« Je ne peux faire attendre plus longtemps madame votre épouse. Sa santé est en jeu. »
*L’elfe lui décocha un bref signe de tête pour l’approuver. Sur ce point, ils étaient d’accord. Se tournant vers la sage-femme, le Consul se déplaça vers le lit pour examiner l’état de l’Impératrice qui grimaçait de douleur. *
« Où en est-on, Barberine ? »
« Bah, elle a perdu les eaux. Contractions toutes les deux minutes, d’un peu plus d’une minute chacune. Ca va commencer, m’sieur l’directeur. »
« Ca a déjà commencé, Barberine. »
« J’veux dire, ça va sortir quoi. Mais c’est pas normal tout ça, regardez. »
*D’un grand geste du bras, elle montra le ventre énorme de l’Impératrice, qui continuait de serrer les draps, les doigts crispés sur le satin. *
« Gémellité ? Possible. Nous verrons bien. Dilatation ? »
*Thomas se pencha alors en avant pour examiner l’état de dilatation de Cybelle. Satisfait, il hocha la tête. En plus des gémissements de la jeune femme, le bruit des cuissardes du prince résonnait sur l’épais parquet de chêne. *
« Votre Majesté, il est temps de pousser. »
La sage-femme épongeait le front de la souveraine avec des linges propres et humidifiés tout en lui murmurant des mots doux à l’oreille, comme c’est de coutume. La tension était palpable, à chaque petit cri de douleurs poussé par Cybelle, Thomas entendait un léger grognement venant du prince. Ce dernier ne supportait pas l’inaction, de ne rien pouvoir faire, c’était manifeste. Laisser la tâche à d’autre était signe de son impuissance, ça n’arrangeait en rien son humeur.
Durant près de quatre heures, la sage-femme suivit les instructions de son supérieur, effectuant tel et tel geste avec un soin particulier, se faisant corriger chaque fois à temps. Quand soudain…
« On voit la tête ! Allez-y, Majesté, c’est bien, continuez ! »
*Quelques minutes plus tard et un cri strident retentit dans la pièce. Un petit être encore recouvert de placenta hurlait, laissant l’air salvateur pénétrer dans ses petits poumons. Il fut présenté à Thomas, qui annonça tout de go : *
« Félicitations, Votre Majesté. Une princesse est née. »
*La sage-femme fit le nécessaire pour couper le cordon. Quelque chose gênait Thomas. Le ventre, toujours aussi gros et le visage encore crispé de la souveraine. Un deuxième. A coup sûr, la nature avait été bienveillante. *
« Barberine, occupez-vous de sortir le deuxième pendant que je lave le premier. »
*Le nettoyage fut bref mais minutieux. Le médecin sentait planer juste derrière lui le regard attentif du Prince Consort. Il vérifiait que tout était bien exécuté. Ca ne le déstabilisa pas du tout. Une fois lavée, le nouveau-né fut enveloppé dans un linge et confié à son père. *
« Isaleia. »
Sans attendre quoique ce soit, le directeur de Sainte-Elisa revint près de Cybelle et de la sage-femme. Une deuxième tête, nota-t-il, apparaissait déjà. Cette fois-ci, ce serait un fils. On dit que les jumeaux gardent souvent un lien, quelque chose de solide et d’immatériel qui jamais n’est brisé. Ce serait intéressant de le vérifier, une fois qu’ils auraient grandi.
Coupage du cordon, nettoyage. Cette fois-ci, ce fut Barberine qui se chargea du nettoyage, pendant que le médecin vérifiait la délivrance.
« Vous avez fini ? »
« Pas encore Votre Altesse. Je vérifie que la délivrance a bien eu lieu, je ne tiens pas à ce que Sa Majesté subisse des complications dues à un trop grand empressement. »
Le ton n’était pas celui du reproche, mais il était suffisamment froid pour que l’elfe comprenne l’allusion. Loyauté ou pas, Thomas restait bel et bien le même.
Le placenta fut entièrement expulsé. Les deux enfants furent placés près de Cybelle qui les regarda, rouge de ses efforts et toute en sueur.
« Isaleia et Feredìr. Comme votre père, monsieur mon époux. »
« Barberine, procédez à la toilette intime de Sa Majesté. Mon travail ici est terminé. Je reviendrai demain dans l’après-midi pour voir comment vous vous sentez. »
L’impératrice le remercia d’un simple sourire, elle était trop faible pour dire quoique ce soit. S’inclinant roidement, il alla reprendre sa sacoche. Alur’Indel l’attendait à la porte, les bras croisés. Il bougonna quelques mots inintelligibles dont Thomas compris malgré tout le sens. Un simple signe de tête, signifiant qu’il était d’accord.
Leurs Altesses Impériales Feredìr et Isaelia venaient de naître.
Post by Thomas Bolton, Emp - May 17, 2008 at 12:46 AM
Le lendemain matin, peu avant l’aube, le Consul avait repris place dans son austère et sobre bureau. Il entendait le pas des domestiques sur le pas de sa porte, mais ne réagissait pas, tout occupé qu’il était à sa rédaction.
De plus, les commentaires qu’il arrivait parfois à percevoir l’amusaient beaucoup.
« Naaaan, tu crois ? Naaaan, j’y crois pas ! »
« Mais si, puisque je te le dis. Il l’a fait, l’accouchement. Alors, bah forcément, il a dû voir sa chagatte ! »
« Naaaan, c’pas possible ! Celle d’la Majesté ? Rho, naaaan. »
Un hoquet de surprise se fit alors entendre et la petite troupe détala alors qu’une autre approcha. Des pas secs, des talons. Une femme, semblait-il. On entendait le froufrou de ses soieries, même à travers l’épaisse porte de métal. Thomas soupira. Encore une qui réclamerait des potins.
« Entrez », juste avant qu’on ne frappe.
« Monsieur le directeur ! Je vous salue bien bas ! »
« Votre Grandeur, comtesse de Montolivier. Que me vaut l’honneur de votre visite ? »
Les héritiers, assurément.
« Je venais prendre de vos nouvelles, bien sûr ! Je serais une bien pitoyable… personne, si je ne venais pas plus souvent. »
« Je vais bien. Sa Majesté aussi. »
« Ah, vous savez comment elle va ? Elle n’a pas pu me recevoir ce matin, que s’est-il passé ? »
Comme si vous l’ignoriez. En plus d’être foncièrement vipère, elle était mauvaise actrice, adoptant de temps à autres des expressions théâtrales.
« Vous serez au courant très prochainement, j’écris un communiqué pour la populace. Disposez. »
Le ton était glacial. Il la prit tellement au dépourvu qu’elle repartit en bredouillant. On n’avait pas l’habitude de la congédier.
Quelques heures plus tard et la populace put lire le communiqué suivant :
Citoyens de Systéria,
Hier au soir, un événement d’une ampleur historique est arrivé ! La Bonne Impériale Cybelle a donné naissance à la princesse Isaleia et au prince Feredìr.
Notre empire, notre grande et glorieuse nation, se voit touché par la grâce de la fertilité. Louée soit la Lumière Eternelle pour ce don du ciel.
Communiqué du Consulat.
Le tout fut largement distribué dans la capitale.
L’ordre de succession déclarait Maemor héritier du trône. L’ordre de la naissance fit d’Isaleia la seconde et de Feredìr le dernier. Le petit prince aurait d’autant plus de difficulté à se faire une place dans le cœur de son père : battu par une fille. Sa vie risquait de n'être qu’une succession de preuves à fournir au Prince Consort pour certifier de ses compétences…