Une partie de pêche
Post by Cornelius Aigrepont, Ind - May 19, 2008 at 6:12 PM
C’était une belle matinée qui avait bien commencée. Cornelius était d’abord allé faire un petit tour du côté des thermes impériaux. Quelque chose y attirait son attention… Il sentait une énergie magique dans les hauteurs du bâtiment, mais n’arrivait pas à l’identifier, et cela l’énervait au plus haut point. Il se sentait incompétent.
Alors qu’il redescendait les marches de l’édifice pour retourner au palais, il rencontra, par un pur hasard, le Consul Bolton, qui revenait d’une rencontre avec la Duchesse Recaedre.
-Bonjour, Consul Bolton. Je dois dire que je ne m’attendais pas à vous voir dans un tel lieu.
-Je reviens d’une visite chez la Duchesse Recaedre, monsieur Aigrepont. C’est en passant par ici que c’est le plus court. Je sais que vous aimeriez bien me rencontrer tout de suite concernant votre démission, mais je n’ai pas le temps.
-Très bien, Consul. Sachez également que vous avez mon appui inconditionnel contre ce Datant. Le jugement de la Garde des Sceaux est franchement étrange…
-Votre appui est apprécié. Au revoir.
Les conversations qu’ils avaient ensemble étaient toujours aussi mornes et courtes. Malgré des ressemblances troublantes entre les deux hommes, il y avait également un lot de différences qui les distinguait l’un de l’autre, et le courant ne passait pas très bien entre les deux, malgré un certain rapprochement dû aux événements reliés au Chevalier Datant.
Le diplomate suspendu enfourcha sa monture et agrippa les rennes alors que le Consul s’éloignait. Il talonna le cheval et partit en grande hâte en direction du palais. Ses journées étaient de plus en plus mornes et il se demandait combien de temps encore il serait suspendu de son poste de diplomate. Ce n’était peut-être pas un métier adapté à son tempérament, mais il ne se voyait pas responsable des animations ou garde impérial. D’ailleurs, qui aurait pu imaginer cet homme frêle tenir une hallebarde et fouiller les invités au palais?
Alors qu’il tournait à la jonction entre deux rues, il aperçut, au loin, sa pupille Kirael qui fonçait tout droit sur lui à dos d’ostard. Il eut tout juste le temps d’écarter sa monture afin d’éviter d’être happé par sa surprenante élève. Celle-ci freina son animal, le fit pivoter et un accueillant sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle saluait chaleureusement et ingénument son aigre précepteur. Rien dans l’environnement présent n’avait l’air plus étrange que la jeune femme. Elle brandissait même une canne à pêche courbée en pleine rue, ce qui lui donnait un air assez drôle.
-Bonjour, monsieur Aigrepont!
-Salutations, mademoiselle Kirael. Pourquoi donc portez-vous une canne à pêche en pleine ville?
-Euuuuh…
-Que diriez-vous, justement, d’aller à la pêche en ma compagnie? Il y a longtemps que je ne me suis plus adonné à ce sport agréable. Une bonne dose d’air frais me ferait probablement le plus grand bien.
-Oh, oui! Je veux bien! Allons-y!
Alors que l’ostard descendait la rue à une vitesse prodigieuse, Cornelius commençait à peine à talonner sa monture. Cette dernière réussit rapidement à rattraper l’autre, car la bipédie n’est pas des plus appropriées pour la course. Le diplomate suspendu suivit sa pupille sans poser de question. Ils se dirigeaient manifestement vers le port, et c’est à quelques dizaines de mètres du quai principal qu’ils s’arrêtèrent. Cornelius sauta par terre et attacha sa monture à un caillou non loin de là, alors que l’ingénue laissait la sienne en liberté.
-Que voilà un bel endroit pour pêcher. J’ai bien hâte de vous montrer à quel point je suis doué.
Sa compagnonne acquiesça tout en préparant sa ligne, alors que le diplomate accrochait un appât à son hameçon. Il lança la ligne en direction de l’eau calme. Ce jour-là, le soleil resplendissait et l’herbe chatoyait sous ses rayons flamboyants. Seul le bruit des vagues très faibles qui allaient se briser contre les rochers plus bas troublaient la quiétude omniprésente. Un léger clapotis retentit alors que l’hameçon touchait à la surface de l’eau et s’y enfonçait. Par des gestes habiles, car il n’était pas faux de dire qu’il était expérimenté, Cornelius orienta l’appât à sa droite. Il était plus facile pour lui de tirer ses prises lorsqu’elles se situaient de ce côté. Il n’eut pas à attendre longtemps pour qu’un poisson innocent aille se prendre la mâchoire contre son appât appétissant (étrangement, on aurait dit une mauvaise imitation d’un piment minuscule).
Aussitôt alerté par le mouvement de son instrument, il se mit à tirer de toutes ses forces pour extirper sa proie de l’eau. Au passage, quelques gouttes allèrent s’écraser sur sa chemise alors que sa prise, un éperlan de soixante-dix centimètres, émergeait tranquillement de l’eau, tiré par le diplomate très peu musclé. Déjà, il ne se débattait plus beaucoup. Puis, il fut enfin traîné jusque sur le gazon.
-Monsieur Aigrepont, tuez-le! Il souffre!
Le diplomate dégaina rapidement sa dague de la main gauche et égorgea sans pitié le poisson malheureux. Kirael parut enchantée.
Puis, elle éclata de rire. Décidément, quelle étrange jeune femme! Après quelques heures de pêche "intensive", Cornelius avait déjà accumulé un nombre importants de poissons, alors que Kirael n'en avait que très peu. Les deux, cependant, avait tiré bon nombre de bottes et de sandales de la mer. Quelle étrange habitude qu'avaient les gens de lancer leurs chaussures dans l'eau! Se promener pieds nus était l'une des choses que détestait le plus Cornelius.
-Je pense que ce secteur ne compte plus beaucoup de poissons, désormais. Que diriez-vous d'aller pêcher beaucoup plus au Nord, à la ville-arène qui se situe non loin d'ici? On dit que les poissons y sont plus gros que dans la mer.
-D'accord, allons-y!
L'ingénue posa ses poissons sur le dos de son ostard et s'assit dessus sans se préoccuper de quelque mesure d'hygiène que ce soit.
-Wah! C'est rudement confortable!
Alors que sous son postérieur, les queues des poissons qu'elle avait attrapés remuaient au vent, ils partirent en direction de la ville-arène. Sitôt qu'ils y furent arrivés, sitôt qu'ils eurent sortis leur canne à pêche. Les montures ne rechignèrent pas outre mesure: de succulentes araignées se promenaient un peu partout dans la ville et constituaient pour eux un encas de choix.
Cornelius et sa pupille s'installèrent sur un petit pont, dos à dos, et se mirent à pêcher. Ah! quelle journée de rêve...
Et nous tairons sous silence le comique épisode du goéland, qui ne se gêna pas pour assouvir ses besoins naturels sur la tête de la jeune femme!