Une simple teinture
Post by Thomas Bolton, Emp - July 22, 2008 at 11:50 AM
Le carrosse de l’Intendant s’arrêta dans une petite ruelle de la moyenne-ville. Les armoiries Bolton, sobres et austères, en ornaient la portière. Cette dernière s’ouvrit pour en laisser sortir le baron, le visage toujours aussi impénétrable. S’aidant de sa canne, il descendit sans trop de difficulté les petites marches. Ses pas le menèrent directement à une petite échoppe dont l’enseigne grinçait, bousculée par une petite brise.
A l’intérieur, tout était poussiéreux et enfumé. C’était étonnant d’ailleurs, car personne ne fumait quoique ce soit. Le désordre régnait dans la boutique, mais c’était ce genre de pagaille organisée : le propriétaire devait savoir exactement où se trouvait chaque objet. Dans un fauteuil, au coin du feu, un vieillard à la peau burinée soufflait dans un étrange instrument, ponctuant les étranges notes qui en sortaient par des vocalises…
« A-haw haw haw haw. »
Une clochette traînait sur le comptoir. Thomas la fit tinter et aussitôt, un petit homme entre deux âges apparut, les mains couvertes de teintures colorées. Un véritable arc-en-ciel à vrai dire. D’un sourire aux dents jaunes, il salua son prestigieux client – sans doute ne le reconnut-il pas, après tout !
« Bien le bonjour, monsieur Nojh. Je suis venu ici profiter de vos services. »
« Bonjour bonjour, monsieur ! C’est pour quoi, exactement ? Vous voulez refaire le buffet de la salle de réception ? Rénover le secrétaire dont la petite porte battante commence à battre de l’aile ? Ou alors vous préférez colorer un peu votre intérieur ? »
Après un coup d’œil à la tenue unicolore de l’Intendant, il émit une petite toux gênée. Et soudain…
« Boom boom boom boom. A-haw haw haw haw. »
D’un geste ample, le ministre abattit sa canne devant le commerçant pour la lui montrer. Cette attitude était légèrement intimidante.
« Je veux qu’elle devienne noire, pour s’assortir à mon blason ainsi qu’à mes goûts vestimentaires, monsieur Nojh. »
« Votre blason ? Oh ! Sacrebleu de puta... Heu oui bien sûr monsieur le noble ! »
Un riche dans sa boutique, ça alors ! On n’aurait pas cru ça, au premier abord. C’était le moment de pratiquer une hausse des prix substantielle. Après tout, ça n’était pas si souvent qu’on en avait l’occasion.
« Bah je vais vous le faire sous votre nez alors, vous verrez que je fais du bon boulot, monsieur le noble. Ca, ya pas à dire, chez les Nojh, le client est un roi ! Pour sûr ! »
D’un grand geste du bras, l’artisan attrapa la canne et invita Thomas à le suivre dans son atelier. Au moment de franchir un épais rideau, le vieillard sur le fauteuil rajouta quelques mots après avoir joué une nouvelle mélodie…
« Hmmm hmmm hmmm hmmm. Hmmm hmmm hmmm hmmm. »
Ils arrivèrent dans une petite pièce étroite où de nombreux bacs étaient entreposés. Lee Nojh ne travaillait que sur du support bois et il était réputé, malgré son étrange comportement, pour la qualité de ses teintures. Elles duraient longtemps.
« Quel bois, ça ? Ca m’a tout l’air d’être de l’ébène éclaircit de Zanther, c’est ça ? »
« Vous avez l’œil, c’est cela. »
« Bon alors, c’est pas d’la gnognote ça. Résistant, solide mais souple. La couleur accroche bien dessus, ça va me faciliter le boulot. »
Une petite table contenait toute sorte de fioles et de récipients. Durant de nombreuses minutes, Thomas l’observa faire des mélanges, tantôt ronchonnant dans sa barbe, tantôt poussant de petits cris de satisfactions. Différents pigments de noir étaient utilisés, alliés à des produits dont le baron ne connaissait même pas l’existence.
Une fois que ce fut fait, la canne fut enduite du mélange. L’artisan en attrapa une autre qui traînait dans le coin et la donna à l’Intendant.
« Demain ça sera sec. En attendant je dois poser plusieurs couches et surveiller que ça prenne bien, alors je vous donne ça en attendant. Alors bien sûr, il n’y a pas de pommeau en argent et tout le toutim, mais ça vous dépannera. »
« Parfait. Combien vous dois-je ? »
« 3.000 pièces, m’sieur l’noble. »
Le regard inquisiteur du baron se vrilla dans le regard de Lee.
« Vos tarifs étaient de 2.000 pièces pour ce genre de commande, hier. Je constate sur votre grille de tarif qu’aucun changement n’a été effectué. Vous avez une explication ? »
« Ah ah, mais où avais-je la tête, sacrebleu ? »
Et merde ! C’était un de ses pingres qui ne laissaient aucun détail s’échapper.
Le paiement fut donné d’avance et le lendemain Thomas Bolton alla récupérer ce qui lui appartenait…