Une correspondance de bon goût

Une correspondance de bon goût

Post by Cornelius Aigrepont, Ind - October 9, 2008 at 4:35 PM

Blessé dans toute la grandeur de son orgueil, Cornelius ne pouvait supporter d'avoir perdu le duel écrit avec l'intendant Bolton. Après avoir réfléchi longuement à un stratagème de vengeance douce, il se décida à lui envoyer, deux fois par semaine, des pamphlets accompagnés de mets à l'intendant. Assurément, ce dernier comprendrait qu'on ne se moquait pas de la cuisine!

La première semaine, l'intendant eut droit à un superbe flan au citron, manifestement préparé avec une minutie toute spéciale. Cornelius avait dû payer une fortune ce plat à l'apparence exquise, et encore plus d'argent pour son transport jusqu'aux appartements de l'intendant. Cependant, il avait de l'argent à revendre et ne craignait pas d'en manquer de sitôt, malgré ses éhontés mensonges lors de leur échange de missive.

Le dessert royal était accompagné, comme à l'habitude de Cornelius, d'une note écrite sur un parchemin à l'odeur de citron.

À mon très grand ami l'Intendant Bolton,

J'espère que ce succulent plat saura ravir vos papilles et les exercer à la cuisine de partout dans le monde, tout comme il a su éveiller les miennes et m'intéresser aux plaisirs gastronomiques.

Je joins la recette à ce plat et espère que vous vous en régalerez.

C.A.

Aucune trace de poison n'était présente dans le plat. On aurait simplement dit que l'ex-diplomate trouvait son plaisir dans le seul fait d'envoyer beaucoup de notes à l'Intendant...

La recette accompagnait donc ce premier plat.

Recette de flan au citron à la brégunienne

Ingrédients

-Cinquante centilitres de lait frais
-Quatre oeufs
-Cent grammes de sucre en poudre
-Quatre-vingt grammes de farine (de chez Yvon Madoulière, au coin de la rue principale et de l'avenue de la Paix)
-Un peu de vanille
-Du beurre
-Un citron (de préférence frais)

Marche à suivre

-Faire chauffer le four jusqu'à ce que de l'eau puisse y bouillir, puis modérez un peu le feu.
-À l'intérieur d'un contenant, faire fondre le beurre.
-Nettoyer le citron dans une bassine et n'en garder que le zeste.
-Dans un second bol, battre les oeufs, le sucre, la vanille, le beurre fondu, la farine et le zeste de citron.
-Faire dorer le flan dans un moule à maqué au-dessus du feu pendant trois quarts d'heure.

Enfin, accompagnant le dessert, la note et la recette, il y avait un second livre, intitulé cette fois "Les origines et les impacts du citron en Egador occidental", par Ulysse Renatov. Le livre épais contait en long et en large la formidable histoire du fruit jaune à travers les âges, depuis son arrivée à Egador jusqu'à les impacts sociaux qu'il avait eu sur les Bréguniens...


Post by Thomas Bolton, Emp - October 9, 2008 at 10:07 PM

La première fois, cet étrange arrivage avait surpris les diplomates. Que devait-on faire des colis… consommables ? Logiquement, ils devaient être amenés en cuisine pour être goûtés et transférés vers les appartements du destinataire. Mais… l’Intendant Bolton ne faisait jamais comme tout le monde.

« Ah, c’était bien plus simple à l’époque du duc Recaedre. On faisait une entorse au règlement on était fouetté et on savait à quoi s’en tenir. Avec le baron Bolton, on ne sait jamais sur quel pied danser », ronchonna un diplomate qui avait eut le temps de rouler sa bosse dans l’administration.

« Bon, c’est bien beau de parler du passé, mais on fait quoi de ça en attendant ? »

« Ca vient de qui d’ailleurs, ces plats ? J’en mangerais bien une petite bouchée. »

« Aigrepont. »

« Oh bah alors je n’en mangerai pas. Une véritable peau de vache celui-là. Et d’un dédain. »

« Bon, on appelle Cressen, alors ? »

Ils se turent tous et finirent par acquiescer en silence au bout de quelques secondes de réflexion. Le secrétaire faisait un peu rôle de sauveur quand les fonctionnaires ne savaient plus quoi faire. Une nouvelle fois, il les soulagea du problème en emportant le tout chez son supérieur.

« Votre Seigneurie ? Monsieur Aigrepont a tenu à vous montrer à quel point il aimait la cuisine. »

L’Intendant regarda le flanc au citron avec un sourire amusé sur les lèvres. Le comportement de son ancien subalterne le divertissait au plus haut point.

« Vous pouvez ranger le livre dans la bibliothèque. Quant à la recette faites-la envoyer au chef. Pour ce qui est du flanc… »

Thomas se pencha en avant dans la lumière produite par sa faible bougie pour examiner le dessert. Sa maigreur était encore plus manifeste avec la blancheur de sa peau exacerbée par la lueur.

« Faites-le goûter. S’il est viable, il servira de dessert aux domestiques. Ca égayera leur journée, ils en ont bien besoin, depuis la Régence. Disposez Cressen. »

Et au fur et à mesure qu’il recevait les pamphlets, des ordres furent donnés : ne plus l’en avertir, remplir sa bibliothèque des ouvrages reçus, donner le plat aux domestiques après leur service –après l’avoir fait goûté, évidemment, Thomas n’était pas si cruel, quoique… – et envoyer une lettre-type de remerciement à Cornelius…


Post by Cornelius Aigrepont, Ind - October 10, 2008 at 2:39 PM

Une semaine plus tard, Cornelius renvoya un paquet contenant plusieurs objets.

D'abord, une lettre qui sentait étrangement l'herbe était attachée au paquet.

En espérant que la cuisine Nguelundie vous plaise,

C.A.

Dans une boîte ronde à l'intérieur du colis se trouvaient une vingtaine de grillons frits. Le voyage les avaient laissés froid: un bout de papier disait de les faire réchauffer. Ah, décidément, cela serait probablement un régal moins grand pour les serviteurs. Aucune recette n'accompagnait l'envoi, étant donné la facilité de préparation du plat.

En se frottant les mains, l'ex-diplomate fit porter l'envoi jusqu'à l'intendant...


Post by Thomas Bolton, Emp - October 10, 2008 at 3:13 PM

Bien évidemment, Cressen n'était pas idiot. Thomas se gardait bien d'avoir des incompétents sous sa coupe, sauf dans certaines conditions où ils pouvaient être singulièrement utiles. Aussi, le plat de grillons ne fut pas apporté aux domestiques mais au baron.

« Connaissant le passé de Votre Seigneurie, j'ai pensé que vous apprécieriez ce plat. Aucun poison n'a été découvert. »

Décidemment, ce secrétaire était plein de ressources. Il méritait son salaire.

« Vous avez bien fait, monsieur Cressen. Pour avoir vécu à Zanther dans ma prime jeunesse, je sais apprécier la simplicité de telles préparations. »

L'heure du souper arrivait et l'occasion s'y prêtant, Thomas mangea le plat avec lenteur, proprement. Il l'avait accompagné d'un jus de cactus que l'on trouvait dans certaines régions de Nguelundi.

Quant à Cornelius, il reçut une lettre des plus cordiales.

Monsieur Aigrepont,

Vous avez su, malgré vos origines systériennes, recréer à l'identique une des spécialités que l'on trouve à Nguelundi. Si je ne m'abuse, je reconnais aussi l'emprunte de votre court passage au sein de la Ligue de Zanther frontière sud dont la cuisine a été influencée par la présence des sauvages.

C'est un plat riche en protéine que je vous conseille. Tâchez de l'agrémenter de produits locaux afin d'en éprouver plus intensément la saveur.

T. H. Bolton

Et un exemplaire d'un livre de recette fut envoyé à l'ancien diplomate avec la lettre : "La Gastronomie des Insectes", provenant d'une bibliothèque zanthérienne.


Post by Cornelius Aigrepont, Ind - October 15, 2008 at 3:28 PM

Cornelius rangea le livre dans sa bibliothèque, n'y jetant même pas un oeil. Il se contrefichait bien du goût des sauterelles désertiques de Kar Bed'Joul... Et n'avait pas spécialement envie de s'en repaître, contrairement à l'intendant qui le surprenait de plus en plus.

Quelques semaines plus tard, il envoya un nouveau paquet contenant un poulet assaisonné à excès, couvert d'une sauce si piquante que sa simple odeur suffisait à vous saisir.

En espérant que cette sauce réveille votre côté piquant,

C.A.

Cette fois, pas de recette... On aurait dit que le cuisinier avait improvisé sur la demande de Cornelius.


Post by Thomas Bolton, Emp - October 15, 2008 at 3:36 PM

L’Intendant reçut le poulet au moment du repas de midi. L’odeur suffisait à lui piquer les narines, aussi ne prit-il pas la peine de le donner au domestique ou d’en goûter ne serait-ce qu’une simple bouchée.

« Les résultats montrent qu’il n’y a aucun poison, monseigneur. »

Thomas hocha la tête, réfléchissant et enchaîna :

« Son Altesse Impériale la Régente n’a que de la soupe de pois chiche, en ce moment. Envoyez-lui le poulet et informez-là que c’est un présent de Cornelius Aigrepont. »

Ce que fit Cressen. Le baron envoya alors une lettre à son ancien employé :

Monsieur Aigrepont,

Sachez que votre nouvelle recette a été transmise à Son Altesse Impériale la Régente Mala de Systéria, avec votre lettre de candidature au poste de goûteur.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire comme dit le proverbe. Vous serez très bientôt informé des suites de cette affaire, j’en suis persuadé.

T. H. Bolton, Intendant

Etait-ce une menace ? De l'esbroufe ? Où l'avait-il vraiment fait ? A l'heure actuelle, on devait trembler dans la demeure Aigrepont.


Post by Cornelius Aigrepont, Ind - October 15, 2008 at 3:42 PM

Un simple cri de rage explosa dans la petite maison, et quelques minutes plus tard, le mage avait pris la poudre d'escampette vers les montagnes nordiques...


Post by Cornelius Aigrepont, Ind - October 29, 2008 at 6:35 PM

Quelques semaines après la chute de Mala la Sanglante, le mage indépendant regagna ses appartements. Il alla même jusqu'à en baisser la protection arcanique, pris d'un soudain accès de confiance.

L'envie de venir importuner son très cher ami l'intendant ne mit guère longtemps à s'emparer de lui, et il la satisfit une semaine plus tard en concrétisant une ébauche de missive qu'il avait fait longtemps auparavant. C'est ainsi qu'il concocta, avec sa traditionnelle encre verte, son parchemin sombre et sa plume de faucon pèlerin, une missive comme lui seul pouvait en écrire...

Et elle parvint à l'intendant deux jours plus tard.

Cher Thomas,

Il me peine d'avoir à vous presser de me donner de vos nouvelles. Quelle est donc cette désagréable attitude qui s'est emparée de vous? Je ne reçois plus de votre si agréable courrier et me voit dans l'obligation de vous contacter moi-même pour pouvoir vous lire. N'est-ce pas triste et dommage?

Si je vous écris, c'est pour vanter une énième fois mes infinies qualités auprès de votre âme réfractaire à percevoir la grandeur que j'incarne.

Je fus si surpris, si scandalisé en voyant l'ascension injuste de Khayzane Hattori au poste de Consul que je manquai en quitter ce monde, en vérité. Il vous faut revenir sur votre décision. Un Empire avec cette femme comme chef de la diplomatie, surtout en ces temps rudes et difficiles sur le plan Enryen, est un Empire qui sera attaqué en moins de deux par des pays qui lui étaient pourtant alliés quelques jours avant.

Confier un poste d'une envergure si importante à une incompétente notoire de la sorte est une décision que je ne saurais me lasser de critiquer. Que vous est-il passé par la tête, si je puis me permettre?

Vous me connaissez: je suis tout à fait désigner pour la remplacer, au cas où vous décideriez de voir les choses en face et de réparer une erreur qui pourrait coûter cher à tout l'Empire.

Je vous prie d'agréer, cher Thomas, de l'assurance réitérée de mon respect,

Cornelius Aigrepont

Gageons que l'acidité de la réponse l'en ferait frémir.


Post by Thomas Bolton, Emp - October 30, 2008 at 12:21 PM

La lettre fut reçue par un fonctionnaire de l'Ambassade. Ce dernier alla la transmettre à l'Intendant, comme d'habitude.

« Non, transmettez ceci au tout nouveau Consul de l’Empire, Cressen. Elle appréciera sûrement… »

Et c’est ainsi que la lettre fut déposée sur le bureau de Khayzane…


Post by Khayzane, Près de Shaelim - October 30, 2008 at 4:28 PM

C'est avec un sourire certain que Khayzane lu la missive, qu'elle ponctua même a la fin d'un éclat de rire. Visiblement, elle était peut-être folle après tout, ou bien l'avis des autres ne lui importait peu, au stade que même les insultes ne semblait pas l'atteindre. Quoi qu'il en soit, elle prit plaisir à relire la missive puis elle demanda le jeune diplomate qui lui avait porter cette missive.

-Monsieur l'Intendant est toujours aussi aimable visiblement. Je ne crois pas que Monsieur Aigrepont croyait que sa missive arriverait entre mes mains.
Faites s'en une copie Ernest, et mettez l'original dans le dossier de Monsieur Aigrepont. Je prendrai la copie avec moi.

Je vous remercie

Puis elle s'afféra à d'autre missive. En moins de deux, la missive d'Aigrepont était connu de tout l'Ambassade. Certain diplomate devait sans doute dêtre d'accord avec lui, d'autre semblait pourtant être d'accord avec la nouvelle nomination puisqu'ils avaient déjà, jadis, travailler avec Khayzane. Mais en rêgle général tout le monde s'entendait bien avec la nouvelle consule. Elle savait être consciliante mais ferme...cela faisait différent des autres ministres.