Les Héritiers de Systeria

Les Héritiers de Systeria

Post by Thomas Bolton, Emp - January 31, 2009 at 7:10 AM

Des bruits de métal se faisaient entendre depuis plus de deux heures dans la cour du palais. Âgé de treize ans, le prince Maemor pratiquait son entraînement quotidien avec son maître d’armes. Cela faisait déjà trois ans qu’il s’entraînait et ses compétences devenaient de plus en plus fines, ses talents ne cessaient de s’affûter. Il faut dire que son père, le Prince-Consort Alur’Indel, plaçait sur sa route les meilleurs combattant de l’empire. On avait même vu un général d’Arnad’Idhren rôder autour de l’héritier…

« Non, non et non Votre Altesse ! Plus haute, la garde, plus haute ! Thaar m’en préserve, mais si vous continuez ainsi je pourrais vous ôter votre tête ! », gronda messire Berthelot, chevalier aux tempes grisonnantes.

« Haaa ! », hurla le jeune homme pour toute réponse, redoublant d’efforts pour parer les attaques de son professeur et briser ses défenses.

Ca aurait pu continuer comme ça encore longtemps si un bruit sec et aussi régulier qu’un métronome n’avait pas détourné leur attention.

« Votre Altesse, c’est l’heure de vos classes. Je vous l’emprunte, messire Berthelot. »

« J’arrive, monsieur Bolton. »

Le prince se débarrassa de son armure et de son épée et s’éclipsa pour se nettoyer. Une vingtaine de minutes plus tard, il rejoignit son professeur dans la salle de réunion près des appartements impériaux.

« Asseyez-vous, Altesse. Nous allons vérifier vos connaissances en géopolitique. »

Le côté extrêmement mature du prince le poussa à acquiescer sans protester. Les restes de la jeunesse qui perduraient en lui ne purent s’empêcher de lui faire rouler des yeux comme des billes. Des mimiques que Thomas avait appris à remarquer…

« Quelle ville importante de Kar Bed’Joul lie le royaume au reste d’Enrya ? Pourquoi ? »

La réponse ne se fit pas attendre, les mots jaillirent de la bouche de Maemor. Ce n’était pas automatique et récité, c’était plus profond, c’était une connaissance qu’il se remémorait.

« Bar’Gazan, monsieur Bolton. La Porte du Désert en langage nain. Grande ville portuaire, extrêmement riche. Elle fait la liaison avec Azgal’Ankor. C’est par là que transitent la majeure partie des marchandises étrangères vers l’intérieur du pays. Le présent gouverneur est le frère puîné du vingt-troisième Rik’Urbar. »

« Bien. Parlez-moi de Bergheim, maintenant. »

Là encore, réponse rapidement donnée.

« Bergheim, la capitale du Bastion Berguenois, se trouve sur le Pic d’Answald. Elle n’est pas portuaire, elle est reliée par des routes Valborg, en contrebas, qui possède un port de moyenne importance. C’est plus une forteresse qu’une capitale. Elle possède d’immense greniers et celliers, un siège prendrait des années, quand bien même tout accès serait coupé. »

L’Intendant hocha la tête. Pendant plus d’une heure les questions et les réponses s’enchaînèrent. De rares fois, Maemor se trompait ou omettait des informations. Chaque fois, il était corrigé.

« Vous retravaillerez votre sujet sur les Landes Unies. Vous assimilez mal la notion de démocratie et les découpes administratives inhérentes à sa constitution. »

« Bien, monsieur Bolton, au revoir. »

« Bien le bonsoir, Votre Altesse. »

Et chacun repartit de son côté. Thomas connaissait les héritiers depuis leur naissance, c’était lui-même qui avait mis au monde les jumeaux Isaleia et Feredir. Un lien spécial s’était établi entre lui et les héritiers. Non pas une affection, non pas de l’amour, mais un respect mutuel, une confiance tacite…


Post by Thomas Bolton, Emp - February 1, 2009 at 2:35 AM

La fillette âgée de huit ans, aux cheveux de feu, regardait par la fenêtre. Ses beaux yeux émeraude fixaient un moineau qui s’époumonait depuis une bonne heure. Le dos bien droit contre son siège, les mains jointes sur son pupitre, elle ne se lassait pas du spectacle. Le bruit sec de la canne de l’Intendant cognant contre l’écritoire ne la perturba même pas. Lentement, elle posa son regard dans celui de son précepteur. Vert contre gris. Ils semblèrent s’affronter en silence. Ce n’était pas une rivalité, ni un affrontement basé sur la colère, mais une sorte de… rituel auquel ils s’adonnaient depuis quelques années déjà. Une complicité.

« Vous n’écoutez pas, Altesse. »

« Mais si, monsieur Bolton, j’écoute. », répondit-elle d’un ton digne et posé, extrêmement mature pour ses huit ans.

« Soit. Qu’est-ce que je viens de dire, Altesse ? »

« Que je n’écoutais pas. », énonça-t-elle en lui dédiant un clin d’œil malicieux.

L’Intendant rabattit sa canne sur le sol et posa ses deux mains sur le pommeau d’argent. Il se mura dans le silence et attendit.

« Je sais déjà tout ça. Je l’ai déjà lu. Vous venez de dire que le philosophe Edimus de Saevitia, 287 Deuxième Ere, affirme que le fondement et la première source de toute connaissance se trouvent dans l’expérience. »

« C’est exact, Altesse. Vous maîtrisez votre sujet. Passons à l’Art, maintenant. »

« Ca aussi, je connais. », dit-elle à son professeur dans un ancien brégunien frisant la perfection.

« Rivennia, qu’est-ce que cela vous évoque ? », fut la réponse de son précepteur, dans la même langue.

« Fondée en 234 Deuxième Ere, port important à sa création, depuis détrônée par Posdrenia. On y trouve le Mausolée de Tyrenius Adalla, célèbre pour ses nombreuses mosaïques et la technique de pigmentation innovante pour l’époque. La plus célèbre est celle du Bon Pasteur, homme de foi thaarienne veillant sur ses brebis. »

« Parlez-moi maintenant de Medelia. », enchaîna Thomas en langue zantherienne.

« Les principales matières utilisées sont la céramique, le bronze et l’ivoire. La première est plutôt de style géométrique, caractérisée par un décor alternant carrés de points noirs ou par des rangées de grenades. Le bronze concerne surtout les figurines et statuettes, même si le célèbre Vase de Teles nous montre que ce n’est pas sa seule utilisation. L’ivoire est surtout utilisé pour les parures et bijoux. », discourra-t-elle dans le même dialecte.

« Et qu’en est-il de l’influence de Thaar dans l’art berguenois ? », lui assena-t-il en patois berguenois.

Elle le fixa plusieurs minutes, semblant chercher ses mots. Finalement, elle haussa les épaules et répondit, dans la même langue :

« Je ne sais pas et je m’en moque. Je suppose qu’on voit un peu plus de doré et des templiers sur les murs ou coulés dans le bronze. »

L’Intendant resta silencieux pendant de longues secondes avant d’hausser les épaules à son tour.

« Vous travaillerez le sujet pour la prochaine fois. Comment se déroule votre entraînement auprès des mages, Altesse ? »

Pour toute réponse, elle agita la main et fit s’ouvrir une fenêtre à l’autre bout de la pièce.

« Je vois que tout se passe pour le mieux. Bien. Je suppose que nous pourrons passer prochainement à une nouvelle étape dans votre apprentissage. »

« Assurément, monsieur Bolton. »

La fillette se releva alors, salua dignement et se retira dans ses appartements. Tout l’après-midi, le palais résonnait d’une douce mélodie provenant de la chambre de la princesse, qui s’entraînait à parfaire sa maîtrise de la harpe…


Post by Thomas Bolton, Emp - February 2, 2009 at 3:02 AM

Dans une chambre du palais, un jeune garçon écoutait avec attention un vieil ingénieur de l’Association des Commerçants. Ce dernier lui parlait d’architecture, de menuiserie, de la façon dont on faisait supporter le poids d’un toit à une charpente. Ca passionnait visiblement ce petit être de huit ans, ses grands yeux lumineux et vifs ne quittant pas du regard son professeur. Dans cette pièce régnait un désordre extraordinaire. Des croquis accrochés au mur, des maquettes de toute sorte. On observait chaque fois une touche enfantine. Ca devait provenir tout droit de l’esprit du garçon.

« Voila, vous savez tout Altesse. Nous verrons demain comment fonctionne la Clepsydre. »

« Oh, vous y allez déjà ? Mais j’ai mille et une questions ! »

« Ca attendra demain, votre prochain cours vous attend, je ne vais pas faire attendre monseigneur Bolton. »

Le petit hocha la tête, visiblement déçu et s’enfonça dans une pile de matériaux divers. Le vieil ingénieur sortit de la chambre et se trouve nez-à-nez avec l’Intendant, qui patientait déjà depuis quelques minutes.

« Alors ? »

« Toujours égal à lui-même, monseigneur. Vif, curieux, insatiable. Mais tellement volatil… »

Le ministre hocha la tête, donna quelques coups sur la porte et entra dans la pièce. Elle était encore plus en désordre que la fois précédente. Les domestiques du palais avaient renoncé à y faire le ménage. A peine avaient-ils tournés le dos que le chaos semblait reprendre sa place. C’était son antre !

« Bonjour, Altesse. »

Des bruits divers se firent entendre. Cliquetis, coups, etc. Mais pas de réponses. Lentement, il s’approcha de la source et se pencha pour examiner ce que fabriquait l’enfant. Il essayait d’assembler quelque chose à partir d’un petit croquis contenant diverses annotations. La main du garçon fusa pour attraper un outil. C’est seulement à cet instant qu’il s’aperçut de la venue de son précepteur.

« Oh, bonjour monsieur Bolton. »

« Avez-vous terminé votre rédaction ? »

« Quelle rédaction, monsieur Bolton ? », interrogea le prince tout en tentant d’assembler deux pièces de bois aux formes alambiquées.

« Celle sur la géographie, Altesse. Celle que vous devez me rendre depuis plus de deux semaines. »

« Ah celle-là. Non, je n’ai pas fini. Mais regardez-moi ça ! »

Le ton du petit était joyeux, il se retourna et brandit devant son précepteur une figurine représentant un centaure. C’était donc ça qu’il essayait de reproduire depuis tout à l’heure…

« Fascinant. », fut la seule chose que l’Intendant trouva à dire, de son ton toujours aussi froid que le petit ne remarqua même pas.

« Maintenant, je vais faire le second. », annonça-t-il, fier d’avoir triomphé du premier.

Et Thomas au milieu de la pièce, appuyé sur le pommeau d’argent de sa canne, silencieux, présence contrastant avec le décor ambiant, fixait le petit prince. Feredìr grimpait sur les étagères, attrapait un outil, redescendait illico, traversait sa chambre pour attraper un gros ouvrage poussiéreux, revenait à son point de départ, et ainsi de suite. Parfois, il chantonnait…

« (…) Quand grondera l’orage, ne sois pas effrayé, puisque nous sommes deux, sur mon île isolée (…) », marmonnait-il gaiment.

« D’où viennent ces paroles, Altesse ? »

« C’est maman qui me chante ça parfois le soir avant que j’aille me coucher. C’est joli, n’est-ce pas ? »

Le ministre hocha la tête, silencieux. Oui, c’était joli. Une chanson qui convenait particulièrement à Cybelle, d’ailleurs.

« Bien, je suppose que je n’aurais jamais cette rédaction. Ni toutes les autres. »

« Heu ce n’est pas que je ne veux pas, mais j’ai tellement de choses à voir ici, c’est tellement passionnant tout ça ! », dit-il d’un ton passionné et extrêmement sincère.

« Je vois, je vous laisse à vos… affaires, Altesse. »

« Attendez, attendez ! J’ai fait ça pour vous ! », dit-il en déboulant devant la porte, un papier dans la main.

Thomas l’attrapa et l’examina avec un air intéressé. C’était un croquis de lui.

« Particulièrement réaliste Altesse, je vous remercie. Je le garderai précieusement. »

« Merci, monsieur Bolton ! A bientôt, alors ! »

Et le garçon repartit se terrer dans sa chambre à élaborer on-ne-sait-quel dispositif bizarroïde pendant que le ministre retourna dans son bureau. Ce dessin, c’était une marque d’affection. Etonnant, venant d’un être aussi dissipé que possible. Pourquoi l'Intendant laissait-il l'enfant poursuivre ses rêves au lieu de durcir son enseignement ? Ca, peu de gens le savaient, mais ceux qui étaient au courant le comprenaient...


Post by Thomas Bolton, Emp - February 5, 2009 at 5:44 AM

Dans la cour intérieure du palais, on entendait à nouveau le bruit des épées qui s’entrechoquaient. Le jeune prince héritier suivait consciencieusement son entraînement quotidien. Du balcon de ses appartements, le Prince-Consort l’observait, digne et majestueux. Les progrès de son fils étaient manifestes, mais aujourd’hui, ça ne semblait pas être le cas. Une forte réprimande monta jusqu’au bureau de l’Intendant.

« Ah, foutredieu Altesse, qu’avez-vous mangé ce matin ? Une culotte de mignarde ?! Votre bras est mou, vous ne faites attention à rien aujourd’hui ! J’ai eu l’occasion de vous couper en deux au moins une bonne demi-douzaine de fois ! », hurla messire Vibien, un de ses maîtres d’armes, chevalier à la chevelure grise ayant roulé sa bosse…

Le premier ministre, intrigué, attrapa sa canne et se redressa, quittant ses appartements et ses nombreux dossiers pour rejoindre Maemor et sa grande-gueule de professeur. Arrivé sur place, Thomas fit signe au vétéran de s’approcher.

« Que se passe-t-il, Vibien ? »

« Il n’est pas attentif, il a la tête ailleurs, voila ce qui se passe. A force de penser à autre chose il va finir par se faire avoir sur le champ de bataille ! »

« Je m’en occupe, vous pouvez disposer. »

L’Intendant se dirigea alors vers une servante qui attendait avec sa bassine d’eau et du linge propre que l’entraînement se termine. Il attrapa une serviette, la trempa dans le récipient et s’approcha du jeune homme.

« Que vous arrive-t-il, Altesse ? », demanda-t-il d’un ton monocorde, lui tendant le linge humide et frais.

« Oh, rien rien, monsieur Bolton. Ca va. », répondit-il, mal à l’aise, un peu hésitant, acceptant le cadeau et s’épongeant la figure.

« Vous savez qu’il est inutile de me cacher que quelque chose vous tracasse, je finis toujours par le découvrir. Faites-nous gagner du temps, Altesse. »

Le jeune homme le regarda un moment, le rose aux joues, puis bafouilla :

« Et bien, il y a cette… fille, vous voyez. Je l’aime bien… »

Puis il se tut, visiblement gêné. Le rose atteignait la pointe de ses oreilles, héritage de son père.

« Qui est-elle ? »

« C’est… ben… Il ne va rien lui arriver si je vous le dis, non ? »

Le regard froid que lui lança l’Intendant ne le rassura pas, mais il avait confiance dans son tuteur et les paroles qu’il allait prononcer allaient dissiper ses doutes.

« Non, bien sûr que non. »

« C’est Marie. La fille du boulanger du palais. »

Une roturière. Bien évidemment. A son âge, les premières amours se développaient, c’était une partie de son éducation que le ministre s’était préparé à affronter durant ces dernières années. Rien d’insurmontable, mais un sujet extrêmement sensible pour un jeune homme immature sur le plan émotionnel.

« Et puis… bah j’ai repensé à ce que vous aviez dit à l’ambassadeur Berguenois. Sur comment on devenait un homme et tout ça… Alors je ne sais pas si c’est lié, monsieur Bolton, mais j’en ai bien l’impression. »

« C’est effectivement lié. Vous le découvrirez en temps voulu, je pense et vous saurez quoi faire à cet instant. Ce que je vais vous dire est extrêmement important. Vous souvenez-vous de ce que je vous avais dit au sujet de l’Etat ? »

« Oui, monsieur Bolton. Ma vie ne m’appartient pas, elle appartient à l’Etat, à l’Empire. »

« Ce qui signifie ? »

« Ce qui signifie que je ne peux faire de choix personnels, monsieur Bolton. », dit-il avec une lueur à la fois déterminée mais aussi mélancolique dans le regard.

« Vous pouvez vivre votre jeunesse, éprouver vos propres sentiments, mais en définitive, vous devrez vous astreindre à l’intérêt de votre empire. Vous pouvez vous attacher à cette jeune fille, comme aux suivantes, mais gardez bien à l’esprit que ce n’est pas elles qui siégeront à vos côtés. »

Une cruelle constatation, une bien aigre vérité sortait de la bouche de l’Intendant.

« Soit, monsieur Bolton. Je ne l’oublierai pas. »

Il se redressa, attrapa son épée et revint voir son maître d’arme. L’entraînement reprit, le jeune homme était plus concentré cette fois-ci.

Quant à Thomas, il leva la tête. Son regard gris et sévère rencontra celui du Prince-Consort, digne et tout aussi sévère, qui les observait du haut de son balcon. Les deux plus hauts hommes de l’Etat échangèrent alors un signe de tête...


Post by Thomas Bolton, Emp - February 6, 2009 at 12:28 AM

Une mélodie vivace et entraînante emplissait les couloirs du palais. Elle provenait de la chambre de la princesse Isaleïa. Ce n’était pas ce doux son de harpe, mais plutôt un ensemble de percussion, instruments à corde et à vent. Ses professeurs ne prenaient pas son éducation à la légère. Les trois musiciens, sous la houlette de son tuteur, entretenaient cette musique joyeuse, aussi n’entendirent-ils pas les bruits secs de la canne de l’Intendant sur le dallage de pierre.

Quand il ouvrit la porte, le ministre trouva une scène exceptionnelle. Décidemment, la petite était plein de ressources.

Vêtue d’une robe de facture elfique aux tons verts et bleus, pieds nus, une fine chaîne d’argent parant sa cheville, ses cheveux raides lâchés sur ses épaules, la fillette dansait. C’était un mélange de volte brégunienne et d’une danse du royaume des sages. Régulièrement, elle frappait dans ses mains en rythme, les bras levés. Les pas étaient compliqués mais elle semblait les maîtriser à la perfection. L’image de cette fillette dansant avait quelque chose d’éthéré, d’onirique.

Personne ne remarqua la présence de son précepteur tant elle captivait l’attention de tous. Elle, les yeux fermés, continuait à danser avec une endurance peu commune. Puis, doucement, comme à contrecœur, la musique décrut. La danse se fit plus lente jusqu’à ce qu’Isaleïa rouvre les yeux et dédie un immense sourire aux musiciens.

« Merci. »

« Merci à vous, Votre Altesse, vous étiez divine. »

Elle leur répondit par un rire clair et sincère. C’est alors qu’elle remarqua Thomas.

« Bonjour, monsieur Bolton. »

« Bien le bonjour, Altesse. », lui répondit-il de son sempiternel ton monocorde.

Elle congédia ses hôtes puis se dirigea vers une petite commode d’où elle sortit un document qu’elle vint remettre à Thomas.

« Ce que vous m’avez demandé sur le Bastion et Thaar. »

Il feuilleta l’essai de la jeune fille, intéressé. C’était bien, les informations étaient exactes, mais il manquait une réflexion personnelle. Ce n’était qu’un contenu récité à partir des ouvrages existants sans l’once d’une opinion.

« Expliquez-moi. »

A nouveau, un duel eut lieu entre leurs deux regards, braqués respectivement sur l’autre. Gris contre émeraude. Sévérité contre malice. C’était leur marque de fabrique, un des fondements de leur relation. C’est ce qui forgeait leur respect mutuel.

« Vous vouliez que je disserte à ce sujet, c’est ce que j’ai fait. Vous n’obtiendrez rien de plus de moi à ce sujet. Toujours Thaar, monsieur Bolton. Les autres sont tout aussi intéressants, que je sache. »

L’Intendant la regarda et haussa les épaules. Visiblement, il n’irait pas plus loin dans le débat. Ca ne lui ressemblait pas de laisser passer ça, et pourtant il le faisait. Fallait-il y voir une faiblesse passagère pour cette jeune princesse qui pourrait être sa fille ? Ou fallait-il y voir d’autres raisons, plus complexes, plus alambiquées, qui ne se révèleraient pas avant des années ? Mystère.

« Je suis venu vous informer que Sa Majesté Feredìr, votre grand-père, arrivera d’ici quelques jours à Systéria, ainsi que votre tante. Je pense que vous pourrez participer aux festivités et leur montrer l’étendue de vos talents. »

Ses yeux brillèrent suite à la nouvelle.

« Enfin ! J’ai lu beaucoup au sujet de grand-père. C’est un monarque qui mérite mon respect et mon amour. Je ferais tout pour le lui prouver, monsieur Bolton. »

« Parfait, Altesse. »

Alors qu’il allait partir, il se figea, arrivé près de la porte. Son regard avait été accroché par une sculpture d’argile qui représentait Isaleïa.

« Qui l’a faite ? »

« Feredìr, monsieur Bolton. Il est doué, n’est-ce pas ? La prochaine fois, il m’apportera un croquis de mère. Je le lui ai demandé. »

Oui, Feredìr était doué. Nommé ainsi en l’honneur de son grand-père le roi elfe. Le Prince-Consort l’appréciait peu, déjà parce qu’il était indigne de son nom, mais aussi parce qu’il n’était pas fait pour régner. L’oligarque du Royaume des Sages aurait-il la même opinion sur son petit-fils ? Les seules personnes qui s’intéressaient au petit prince étaient sa mère, par amour et Thomas, conscient de ses incroyables qualités. Encore fallait-il les canaliser…

« Très doué, Altesse. Je vous laisse, votre professeur de la Confrérie va arriver d’une minute à l’autre. Bon après-midi. »

« A bientôt, monsieur Bolton. »

Et le reste de l’après-midi, on crut voir des étincelles s’échapper des fenêtres de la chambre de la jeune fille…


Post by Thomas Bolton, Emp - February 7, 2009 at 1:27 AM

Un cliquetis persistant s’échappait d’une chambre du palais. On y entendait aussi des bruits de pas précipités, un son sourd comme un énorme livre qu’on laisse tomber sur une vieille table branlante. Quelques minutes plus tard, un éclat se fit entendre, comme du verre brisé. Ça résonnait dans toute l’aile nord. L’Intendant, connaissant l’origine de ce capharnaüm, entreprit d’aller dénouer le mystère. Alors qu’il arrivait dans un petit couloir, une domestique déboula en trompe, manquant de le bousculer.

« J’en peux plus de ce gosse ! Je vais en avoir pour des heures à tout nettoyer !! Quelle plaie !!! », grommela-t-elle jusqu’à ce qu’elle croise le regard de l’Intendant.

S’ensuivit alors une sorte de duel silencieux. Elle baissa la tête, bafouilla quelques mots d’excuses, devenant extrêmement pâle.

« Félicitations, mademoiselle. Vous êtes promue aux écuries, elles ont besoin d’être nettoyées quotidiennement. »

Le ton était glacial. Ce n’était sûrement pas une promotion, non, mais plutôt un cruel châtiment. La servante s’inclina maladroitement et partit en courant, parcourue par les spasmes de ses propres sanglots. Le palefrenier, lui, serait ravi.

Alors qu’il ouvrit la porte de la chambre de Feredìr, le ministre fut confronté à un étonnant spectacle. Du verre était éparpillé un peu partout dans la pièce, les tapis étaient trempés, des flaques d’eau stagnaient de-ci de-là. Quant au petit prince, il était plongé dans la lecture d’un gros ouvrage.

« Vous n’avez pas réussi à construire cette clepsydre, Altesse ? »

Le prince se tourna vers son précepteur, hocha négativement la tête sans rien dire et se replongea dans son ouvrage.

« Vous auriez dû attendre la venue de votre professeur. »

Pour toute réponse, un haussement d’épaule.

« Je pense que vous avez besoin de vous promener, Altesse. Allons dans les jardins pendant que les domestiques nettoient votre chambre. Vous pourriez vous blesser. »

« Mais non, je ferais attention. Laissez-moi faire un deuxième essai, monsieur Bolton. S’il vous plaît. », lui dit-il, le regard implorant.

« Hors de question. »

Alors qu’une foule de serviteurs entraient dans la pièce, les deux individus étaient déjà bien loin. Feredìr était distrait, comme d’habitude. Alors que l’Intendant lui parlait de choses et d’autres, ses yeux ne perdaient pas de vue les multiples oiseaux qui vivaient près du palais et virevoltaient un peu plus haut dans le ciel, se posaient sur les haies, gazouillaient. Il interrompit brusquement Thomas, sortant brusquement de ses pensées.

« Un jour, nous volerons comme eux. Je suis sûr que c’est possible. »

Le ministre arqua un sourcil, étonné de cette interruption. Décidemment, ce jeune garçon avec des rêves plein la tête. Ce qui était surprenant c’est que son précepteur pensait parfois qu’il serait capable de tous les réaliser.

« Avez-vous vu Père, dernièrement ? »

« Oui, Votre Altesse. »

« Comment va-t-il ? Il n’est pas venu me voir depuis le mois dernier, déjà. »

« C’est un homme très occupé, Altesse. »

Ce n’était pas un mensonge, le Prince-Consort avait énormément de travail. Tout autant que Thomas, à vrai dire. Un jour viendra où Feredìr se rendra compte qu’il ne possède ni l’estime ni le respect de son géniteur. A moins que son intérêt passionnel pour les sciences et les techniques l’éloigne de cette douloureuse prise de conscience.

« Oh, je vois. », répondit-il d’un air attristé.

« Votre grand-père arrive avec votre tante dans quelques jours. On aperçoit déjà le pavillon elfique à l’horizon. »

« Oh, grand-père Feredìr ! On m’a beaucoup parlé de lui. Vous croyez qu’il m’aimera bien ? »

Ah, ça. C’était une question épineuse. La grande inconnue de cette visite diplomatique. Alur’Indel ressemblait à son père par certain côté, mais le souverain elfe n’était pas aussi rigide que son fils. Il pliait, il ne cassait pas.

« Sûrement. J’aimerais justement que vous lui montriez vos talents. Vos croquis, par exemple. Où une de vos inventions, comme cette plume à encre que vous m’avez offerte. »

« Oh, c’est une très bonne idée, monsieur Bolton ! Je vais lui faire une clepsydre moi-même ! »

Hum… Quelle délicieuse attention…

« Soit, mais faites-la en extérieure cette fois-ci et faites-vous aider de votre professeur. Est-ce clair ? »

« Oui monsieur Bolton. D’ailleurs, il ne devrait pas tarder à arriver. Au revoir ! »

Et avant que l’Intendant eu pu faire un geste, le prince courrait déjà vers le palais. De la fratrie princière, lui seul possédait vraiment le cœur d’un enfant. C’était bien le fils de Cybelle…


Post by Thomas Bolton, Emp - March 4, 2009 at 9:12 AM

Et les semaines passèrent, et les mois s’y succédèrent… Les héritiers grandissaient. Alors que Maemor venait de fêter ses quatorze ans, les jumeaux fêtaient leurs neufs ans d’existence. Une fois n’est pas coutume, ils eurent un cours communs à l’occasion de la venue de la délégation elfique. Il y avait plusieurs sujets à aborder et cela donnerait l’occasion à leur précepteur d’avoir pleinement conscience des capacités de chacun. La porte s’ouvrit et interrompit les réflexions du Surintendant.

L’aîné pénétra dans la pièce, digne, vêtu d’une armure aux reflets cuivrés et d’une cape d’un blanc immaculé. Il se tenait droit, son visage était sérieux. Un œil habile, comme celui du ministre, pouvait remarquer qu’il manquait de force pour supporter le poids du métal. Néanmoins, il persistait à le porter.

« Monsieur Bolton », salua-t-il respectueusement avant d’aller s’assoir.

« Bien le bonjour, Altesse. », répondit Thomas de son sempiternel ton monocorde.

Plusieurs livres étaient posés sur le pupitre de Maemor, parlant de divers sujets. Le regard du prince étudia les titres avec attention. Le tictac désynchronisé de l’horloge du Surintendant semblait tantôt étirer tantôt accélérer le temps. Finalement, après quelques secondes d’hésitation, il en ouvrit un. Stratégies et Tactiques à travers l’Histoire, par Siméon de Nediard.

A peu près à ce moment, la porte s’ouvrit. La silhouette fine et gracieuse de la princesse Isaliea, la puînée, traversa la pièce. Elle fixa son professeur d’un regard neutre pendant plusieurs secondes avant de le saluer. Son port était altier, elle avait l’étoffe d’une impératrice tout comme Maemor celle d’un empereur. Elle prit place sur son pupitre et choisit de commencer à lire Des applications de la géopolitique et de son impact sur une nation, par Saule d’Aristos.

Cinq minutes plus tard, on entendit des bruits sourds. Quelqu’un devait traîner quelque chose sur le sol. La porte s’ouvrit et Feredìr le jeune surgit. Le cadet était suivi par une grande toile blanche, poussée par deux domestiques essoufflés.

« Voila, monsieur Bolton, c’est terminé. Ma propre clepsydre ! », exulta-t-il d’un air joyeux.

Il tira sur le drap et laissa voir la fameuse horloge hydraulique.

« J’aurais pu l’améliorer, j’ai pensé à des choses intéressantes. Puis on m’a parlé du mouvement de balancier et j’ai pensé à quelque chose de totalement différent ! Mais celle-là suffira, je suppose ! »

« Je pense, Altesse. Félicitations. Maintenant, prenez place je vous prie. »

Et il finit par s’assoir près de sa sœur. Maemor roulait déjà des billes devant ce frère bien trop distrait à son goût.

« Si je vous ai rassemblé aujourd’hui c’est pour vous informé que vous rencontrerez officiellement votre grand-père, Sa Majesté Royale Feredìr de Systéria ainsi que votre tante, devant la Cour. Il n’y aura pas d’embrassades et de vœux éplorés, ce sera uniquement protocolaire. »

Alors qu’Isaleïa et Maemor acquiesçait, le cadet poussa un petit soupir. Ca avait tellement peu de sens pour lui !

« Vous trouverez une copie du protocole posée sur votre pupitre. Vous devrez vous y conformer. Vous serez amené à lui démontrer vos talents. Nous n’avions rien convenu pour vous, dit-il en fixant la jeune fille et l’héritier direct du trône. Vous n’aurez qu’à choisir quel domaine vous souhaitez montrer à votre grand-père. Quant à vous, Feredìr, nous lui montrerons cette clepsydre qui est une œuvre exceptionnelle pour quelqu’un de votre âge. »

« Mais non ! Je comptais faire quelque chose avec des feux d’artifices ! »

« Ah ça non ! Tu as déjà fait brûler ma cape, la dernière fois. Monsieur Bolton t’avait dit rien de dangereux. »

« Oui, mais je peux améliorer tout ça, je te dis, Mae. »

« Allons, Feredoux, ton horloge est superbe, Grand-Père sera fier de toi. Montre-lui, ça me ferait plaisir, tu veux ? »

Le petit prince acquiesça. Il était décidemment très proche de sa sœur. Maemor était plus sérieux, plus digne, peut-être cette partie de sa personnalité l’empêchait-il de remarquer la pureté et la bonté du cœur de son frère… Isaleia, elle, voyait directement à l’intérieur.

« Parfait. Vous avez sélectionnés deux ouvrages. J’aimerais que vous les lisiez avec attention et m’en fassiez une synthèse d’une cinquantaine de page pour la semaine prochaine. »

« Monsieur Bolton, l’entraînement avec la Garde me prend énormément de temps. Dois-je tout de même faire ce travail ? »

Le sourcil de Thomas s’arqua soudainement, renforçant l’expression de sévérité qui le caractérisait.

« Bien entendu. Muscler votre corps ne doit pas vous empêcher de muscler votre cerveau, Altesse. Vous pouvez tous disposer. »

L’aîné alla donc à son entraînement. Alors que les jumeaux allaient sortir, le Surintendant leur fit un signe de la main.

« Feredìr, vous trouverez un présent pour votre anniversaire dans vos appartements. Il vous plaira, mais soyez extrêmement prudent, c’est un original, il n’y a qu’un seul exemplaire. »

« Oh, merci monsieur Bolton ! », dit-il avant de filer à toute allure.

« Quant à vous, Altesse, j’ai un présent ici. »

Il sortit une petite bourse de velours et la tendit à la jeune fille qui l’ouvrit avec précaution. Une lueur vive brilla dans son regard, elle semblait sincèrement reconnaissante et excitée à l’idée de l’utiliser.

« Nous étudierons un peu chaque jour. »

Elle le salua, glissa la bourse dans une poche de sa robe et retourna dans ses quartiers pour examiner son nouveau cadeau.

Quant à Feredìr, il trouva posé sur son lit le Journal de Léonard de Briganne contenant croquis et annotations des inventions et des inspirations du grand artiste et ingénieur de la Deuxième Ere… Exemplaire unique et très cher.


Post by Thomas Bolton, Emp - June 8, 2009 at 3:44 PM

Les mois avaient passés. Au cours de ce laps de temps, Maemor avait fêté ses quatorze ans et les jumeaux leurs dix années d’existence. A aucun moment leur enseignement général n’avait été confié à quelqu’un d’autres que le Surintendant. Ce dernier continuait de les préparer à leur avenir avec le même professionnalisme, la même attention, sans jamais faillir, avec l’aide de leurs autres précepteurs s’occupant des formations qui n’étaient pas du domaine du duc : magie, ingénierie, maîtrise du combat…

Un jour, donc, après que la nouvelle réforme ait été validée par la Couronne mais avant la prononciation du discours annonçant ces changements profonds au peuple, le premier ministre convoqua les trois jeunes têtes couronnées pour les mettre au courant. L’aîné, comme toujours, arriva pile à l’heure, entrant dans la pièce et saluant Thomas avec un léger sourire. Il fut suivi par Isaleïa. Leur petit duel du regard eut une nouvelle fois lieu.

Quant à Feredìr, il arriva bien en retard…

« Mais où est-il encore passé ? Il va finir par faire exploser toute l’aile ouest du palais avec ses expériences farfelues. Qu’il fasse preuve d’un peu plus de discipline. »

Isaleïa laissa échapper un soupir en levant les yeux au ciel. Elle répliqua à son frère assez sèchement :

« Maemor, tu devrais te rendre compte de ce qu’il fait. Il a un tel talent, c’est à croire que toutes les idées lumineuses le submergent chaque jour. Ce sera un grand homme. »

« Un grand homme peut-être, mais un grand homme distrait. », lui répondit-il avec un sourire, une pointe d’ironie dans le ton.

Et après quelques palabres supplémentaires, le plus jeune entra et s’installa à son pupitre, adressant un grand sourire sincère à tout le monde. Le Surintendant ne releva pas son retard, c’était inutile et il ne s’en souviendrait pas. Autant tourner la page, ça ferait gagner du temps à tout le monde.

« Bien, si je vous ai fais venir ici aujourd’hui, c’est pour vous annoncer que la société dans laquelle vous évoluez actuellement et sur laquelle vous pensiez régner va changer. Sa Majesté votre mère, Son Altesse votre père ont approuvé une nouvelle réforme visant à accroître le pouvoir décisionnel des guildes. »

Les réactions différèrent toutes. Maemor semblait singulièrement intéressé, les questions lui brûlaient les lèvres. Un étonnement se lisait également sur son visage. Isaleïa, elle, restait stoïque, attendant la suite. Feredìr, lui, regardait par la fenêtre un moineau qui faisait sa toilette.

« En d’autres termes, monsieur Bolton ? »

« Cela signifie que les mécanismes administratifs sont délégués aux guildes. Plus d’administration impériale en tant que tel, hormis le tribunal qui restera un organe de régulation du pouvoir judiciaire des guildes. Les fonctionnaires et les gardes impériaux seront affectés aux institutions de leurs choix. »

Isaleïa fronça les sourcils et lança tout de go :

« Ce n’est pas, tout n’est-ce pas ? »

« Effectivement, princesse. Les ministères sont dissous, le Conseil Privé également. C’est un Collège des Guildes réunissant les chefs des guildes ou les individus qu’ils ont nommés pour les remplacer qui se chargeront d’élaborer projets, lois et décrets, de les voter et de les présenter à Sa Majesté. »

Cette fois-ci, cependant, les réactions furent unanimes. Même le plus jeune des princes releva la tête et fixa Thomas d’un air inquiet – comme quoi il devait avoir une oreille qui écoutait…

« Mais et vous ? », prononça Maemor, exprimant alors la pensée de son frère et de sa sœur.

« Ne vous en faites pas. Je resterai pour superviser ce Collège des Guildes et je me chargerai toujours de votre éducation. Je reste pour conseiller Sa Majesté votre mère. »

Maemor lâcha un petit soupir de soulagement, comme Feredìr. Isaleïa, elle, plus fière, n’esquissa aucune expression particulière. En revanche, ses questions ne faiblissaient pas.

« Comment se passeront les votes ? Quel sera le pouvoir de cette assemblée par rapport à la Couronne ? »

« Très simple : comme le Conseil Privé. Leur avis final devra toujours être approuvé par Sa Majesté. Elle conserve tout pouvoir, strictement rien ne le limite, son statut n’est pas en danger. Quant aux votes, ce seront les deux guildes les plus influentes, les plus présentes en ville qui possèderont deux voix chacune. »

« Ca ne risque pas de déséquilibrer les relations entre les guildes, monsieur Bolton ? »

« Si c’est probable. Mais c’est l’évolution naturelle de notre société. Le règne de votre mère marquera une nouvelle ère, une ère d’émancipation. »

« Et bien moi, j’espère que l’Ordre aura toute sa place et un poids important lors du vote. Ils représentent la droiture et la justice. », annonça fièrement Maemor.

« L’Ordre ceci, l’Ordre de cela. Tu n’as que ce mot à la bouche, mon frère. Pense également aux racines de notre père. »

« Nous sommes systériens. Pas elfes. C’est notre peuple que nous guiderons, pas celui d’Arnad’Idhren. »

Le Surintendant leva une main impérieuse et obtint le silence, coupant cours à la conversation.

« Tous deux, vous m’accompagnerez pour faire cette annonce au peuple demain matin. Vous pourrez dire un mot si vous le souhaitez. En attendant je vous laisse vaquer à vos occupations. Feredìr, je ne vous oblige pas à y participer, j’ai su que vous étiez très impliqué dans un de vos projets. »

« Oh, merci monsieur Bolton. Ca m’aurait tellement ennuyé ! »

Puis chacun repartit de son côté, assimilant ces nouvelles informations, composant avec leurs connaissances acquises pour imaginer ce que serait la Systeria de demain…


Post by Thomas Bolton, Emp - July 26, 2009 at 11:10 AM

A nouveau, les mois avaient filé à une vitesse incroyable. La réforme n’était plus qu’un ancien souvenir pour beaucoup de monde. A croire que les institutions dirigeantes de l’empire avaient toujours eues cette forme. Mais ce n’est pas ça qui nous intéressera ici. C’était plutôt ce qui se déroulait au palais, dans une chambre de l’aile réservée à la famille impériale. On entendait des rires étouffés sous un drap, dans un énorme lit à baldaquin.

« Oh, Votre Altesse, tout de même ! », murmura entre deux soupirs une jolie petite servante du palais.

Ca aurait pu continuer longtemps si trois coups secs ne se firent pas distinctement entendre contre la lourde porte de bois qui séparaient les amoureux de quinze ans de la silhouette droite et rigide de Sa Seigneurie le Surintendant Bolton. Ce bruit sonna littéralement le glas des réjouissances.

« Ciel, mon précepteur ! Vite, cache toi sous le lit ! », fit Maemor en sortant sa tête de sous la lourde couverture.

La jeune fille sauta hors des draps, encore habillée, sa robe toute froissée et se glissa sans protester dessous, connaissant de réputation la personnalité du froid perturbateur et toute dévouée à son amant qu’elle était. Les trois coups résonnèrent une nouvelle fois. Ils ne semblaient pas plus pressés, ni agacés. Ils étaient simplement identiques aux autres. Il fallut juste le temps que le prince héritier remette sa chemise et la porte s’ouvrit…

… pour lui révéler le sinistre personnage. Oh, il ne fallait pas croire qu’il ne l’aimait pas, au contraire. C’était la personne qui lui avait tant appris sur le monde et sur les arcanes du pouvoir. Qui avait parfois tenu le rôle du père, malgré sa froideur apparente. Mais… disons simplement qu’il tombait au mauvais moment.

« Oh, monsieur Bolton. Je… et bien je dormais, je faisais une petite sieste. L’entraînement de ce matin, vous comprenez. »

Le regard gris du seigneur le détailla avec intensité. Il remarqua le teint rougeaud.

« Votre sommeil était singulièrement agité, visiblement, Votre Altesse. », répondit-il d’un ton qui sonnait comme un couperet.

« Hein ? oh, heu non pas du tout. », fit Maemor avec hésitation. Puis, semblant prendre conscience de son état, il rajouta : « Oh oui, bien sûr, un rêve très… perturbant oui. »

Le Surintendant fit quelques pas, pénétra dans la pièce et prit connaissance des quelques indices qui se trouvaient dans la chambre de l’héritier du trône – l’écharpe caractéristique d’une domestique astreinte au ménage –, même s’il en avait déjà collecté suffisamment.

« Sortez, mademoiselle. Evitez-moi quelques minutes d’inutiles recherches, je vous prie. », demanda-t-il poliment mais de façon impérieuse comme il en avait la manie.

Le prince se racla la gorge et la fine silhouette toute tremblante de la souillon sortit du lit.

« Je… je… heu… je ne… pardon… monseigneur. Je… heu, je ne voulais pas le tenter. »

« Peu importe. Retourner à vos tâches, mademoiselle. Et pas un mot de tout ceci. »

« Heu oui. Merci ? merci monseigneur. »

Ils la regardèrent partir, alors que la jeune fille quitta la pièce avec moult courbettes à l’encontre des deux officiels. Maemor lança plusieurs regards à l’encontre de son tuteur, soucieux.

« Vous m’en voulez, monsieur Bolton ? Je… j’ai tenté de résister. »

Ce ne fut pas exactement la réponse qu’il attendait qui lui fut servie.

« Nous en avions déjà discuté, je savais que ce moment arriverait. Il est temps de vous trouver une compagne. »

Le jeune homme soupira. Lui aussi n’avait pas oublié une de leurs anciennes discussions sur son rang et de la conduite qu’il faudrait adopter. La phrase lui revint alors immédiatement en tête : « vous appartenez à l’Etat ». C’est pourquoi il se résigna.

« Soit, monsieur Bolton. Mais heu… j’aurais résisté vous savez. Je n’aurais pas enfreint les préceptes de la Lumière, je vous assure. C’était… de… de simples baisers, voila tout. »

Le regard de Sa Seigneurie se durcit.

« Si vous le dites, Altesse. Que ça ne se reproduise pas, vous n’avez pas besoin d’un scandale religieux pour le moment. »

Et le premier ministre repartit. Bientôt, les ambassades seraient contactées et la noblesse mise au courant. On chercherait la future promise du prince héritier, celle qui règnerait un jour avec lui sur le trône de l’Empire…


Post by Thomas Bolton, Emp - July 11, 2010 at 12:43 AM

Un ciel sans nuage trônait au-dessus de la grande cité systérienne. Les rayons ardents du soleil illuminaient la cour intérieure du palais, malgré la présence écrasante du donjon principal. Cependant, tout le monde n’en profitait pas. Dans ses appartements du palais, le prince Maemor, âgé aujourd’hui de vingt-et-un ans, était agenouillé sur son prie-Dieu. Les yeux fermés, les mains jointes, il égrenait les perles de son chapelet thaarien. Un murmure inaudible semblait s’échapper en continu de ses lèvres qui remuaient légèrement. Les années avaient passé et sa foi avait gagné en force, se mêlant à une détermination farouche et sans faille. Sa volonté s’était affûtée, son esprit avait gagné en maturité. Il restait bien jeune évidemment, mais son éducation l’avait endurcit et rendu plus sûr de lui.

« Ainsi soit-il. »

La voix du prince-héritier se tut, alors qu’il achevait sa prière. Il se releva sans précipitation, pétrit d’humilité et se signa devant le petit autel, spécialement installé dans ce qui lui servait de chapelle privée. Il recula alors de trois pas, pour ne pas tourner le dos à Thaar, puis se retourna et quitta la pièce pour se retrouver dans ses quartiers. La décoration était superbe. Sur les murs, des tapisseries et des fresques représentant des scènes religieuses décrites dans les différents ouvrages théologiques dédiés à la religion de la Lumière Eternelle. L’artisan qui les avait réalisées devait être extrêmement doué. Les couleurs, la luminosité, les ombres, c’était le fait d’une main de maître. Il n’était pas rare que Maemor passe de longues heures à les contempler en silence…

Qui était cet artiste incroyable ? Un artisan systérien ? Un peintre brégunien ? Rien de tout cela. Il s’agissait de son propre frère, le dernier-né, Feredìr de Systeria. Âgé de 18 ans, sa maîtrise des différentes techniques artistiques était époustouflante. Et c’était sans compter les incroyables compétences qu’il avait développé en architecture et ingénierie. Au cours de ces dernières années, ses progrès furent fulgurants. Au grand dam du Surintendant, néanmoins, il était resté toujours aussi distrait, débordant d’idées. Une tour entière du palais servait à entreposer l’ensemble des projets qu’il n’avait pas mené à bien jusqu’au bout. Des toiles inachevées, des plans abandonnés, des maquettes incomplètes… Il bourdonnait de concepts novateurs, mais n’avait pas la concentration nécessaire pour tous les mener à bien.

Que faisait-il actuellement ? Dans ses modestes appartements, dans la plus haute tour du palais, il s’entretenait avec son tuteur, le duc en personne. Ses longs doigts fins trituraient avec hystérie une longue lunette de bois dans laquelle il insérait des pièces de verre bombé à divers endroits stratégiques. Thomas le regardait faire en silence, son regard d’acier rivé sur les gestes du jeune prince. Il ne l’interrompait jamais. Du moins, pas quand ce n’était pas nécessaire. Les sourcils du demi-elfe se froncèrent alors, quelque chose le gênait. Négligemment, il balança un des verres derrière son épaule qui alla se briser sur le sol. Le geste n’avait rien de colérique, non, c’était juste de… l’inadvertance. Ce morceau semblait faire obstacle à ses projets, aussi le mettait-il de côté.

« Ah ! Voila, Votre Seigneurie. J’ai terminé. Vous verrez encore mieux avec celle-ci. », lança-t-il en tendant la longue-vue vers son nouveau propriétaire.

Le duc eut à peine le temps de la saisir que Feredìr la lâcha pour aller retourner à la petite sculpture qu’il était en train de tailler dans du marbre rose. Il représentait Cybelle qui caressait une panthère. Pourquoi ce choix en particulier ? Sans doute l’inspiration du moment. Le Surintendant allait se lever pour tester cette nouvelle invention, quand quelque chose dans la pièce le troubla. Sans crier garde, la princesse Isaleïa fit son apparition au centre d’une bourrasque d’énergie magique, dans un coin de la pièce. Oh certes, il existait un bouclier de protection, mais après des années d’apprentissage à la Confrérie Pourpre, elle avait sans doute dû apprendre quelques petites choses.

Son frère se précipita vers elle pour la serrer dans ses bras, fortement, puis repartit aussitôt à sa sculpture. Elle tourna alors la tête pour examiner son ancien professeur. Leurs regards s’affrontèrent, comme à l’ordinaire, plus par jeu que par défi. Cette petite tradition s’était bien implantée dans leurs relations. Un sourire amusé se dessina alors sur les fines lèvres purpurines de la magicienne. Son intelligence avait toujours été extraordinaire, mais son apprentissage auprès des pourpres lui avait permis de l’affiner tout en cultivant la puissance du sang des El’Aglar qui coulait dans ses veines. Elle était somptueuse, dans sa robe mauve, ses longs cheveux roux descendant jusqu’à sa taille. La beauté des elfes alliée à une exceptionnelle puissance…

« Bonjour, Thomas. Comment allez-vous ? »

« Fort bien, Votre Altesse. Je constate que vous êtes au mieux de votre forme. »

Pour toute réponse, elle se contenta de hocher la tête avant de se rapprocher de son frère qui taillait toujours férocement le bloc de marbre. Une lueur malicieuse traversa son regard, elle se rappelait son enfance. Il fut un temps où elle se serait amusée à donner une vie éphémère à ce que le demi-elfe s’acharner à représenter avec fidélité. Mais c’était un temps révolu. Elle était désormais beaucoup plus responsable, beaucoup plus mature qu’avant, même si toute facétie ne l’avait pas quitté, ça ne faisait aucun doute quand on l’observait alors qu’elle se croyait seule…

La porte s’ouvrit alors pour laisser entrer Maemor. Son regard croisa celui de sa sœur. Ils se sourirent. Une marque d’affection sincère, même si leurs divergences étaient parfois sources de profonds désaccords. Feredìr continuait de sculpter, il ne semblait même pas s’être aperçu de la présence de son frère. Leurs liens étaient cordiaux, mais peu développés. L’aîné n’arrivait pas à comprendre et à accepter l’attitude de son cadet et ça avait freiné le développement de leurs affects. Ca n’avait rien de rare, dans les grandes familles, bien au contraire !

« J’ai appris que votre épouse avait accouché, Thomas. C’est une excellente nouvelle, j’imagine. »

Le dernier mot alluma une lueur malicieuse dans le regard du nouveau père. Il se contenta d’incliner respectueusement la tête pour la remercier.

« Quand aura lieu le baptême thaarien, monsieur Bolton ? »

Avant que Thomas eu pu répondre, Isaleïa s’en chargea.

« Ah ! Je me demandais quand est-ce que tu réussirais à nous parler de religion, mon frère. J’ai ma réponse. »

Un simple grommellement lui répondit. Il avait prit l’habitude de la laisser dire.

« Dans quelques jours, lorsque mon épouse aura récupérer suffisamment de force. »

« Lorsqu’elle s’estimera présentable, vous voulez dire ? »

Un sourire amusé se forma alors sur les lèvres pâles de l’austère premier ministre.

« J’ai appris que la Grâce Impériale était en cours de discussion, monsieur Bolton. L’Armée semble très bien placée. Pourquoi l’Ordre ne l’obtient-elle pas de facto ? »

« Parce que je laisse aux émissaires libre cours pour intervenir sur le sujet. Nous n’allons tout de même pas leur mâcher le travail ? »

« L’Ordre ne mérite pas plus la Grâce que l’Association. C’est la Confrérie qui s’est avérée utile en faisant la jonction entre l’île et Systeria durant le conflit. Nous sommes également responsables de cette victoire et nous comptons bien faire valoir nos droits. »

Le terrain qu’offrait le Collège des Guildes aux deux héritiers de la Couronne n’était qu’un prétexte. L’origine de leur problème était religieuse et Sa Seigneurie n’était pas dupe. Alors que Maemor s’était tournée vers la religion des systériens, Isaleïa avait choisi très tôt de développer un esprit ouvert et beaucoup plus critique que son frère. A l’autre bout de la pièce, Feredìr continuait de travailler, se moquant de ces histoires politiques comme de sa première chemise. Non, décidément, les responsabilités ne l’attiraient pas. C’était bien ce qui faisait son originalité dans la fratrie.

La discussion continua, dévia sur un autre sujet, et finalement, après une bonne heure de débats et de coups de burin, chacun retourna à ses occupations. Thomas dans son bureau, Isaleïa à ses études à l’Académie et Maemor à son entraînement quotidien…


Post by Thomas Bolton, Emp - July 23, 2010 at 10:14 PM

Un jour pluvieux, le prince héritier Maemor quitta ses quartiers après sa prière matinale pour traverser l’aile ouest du palais et se rendre dans le bureau de son précepteur, le duc Thomas Halvadius Bolton. Sa main droite égrenait les perles en bois d’un chapelet tout simple tandis que la gauche était posée sur la garde de son épée, un cadeau de son père pour son dernier anniversaire. L’arme était l’œuvre d’un forgeron d’Arnad’Idhren. Légère et élégante, elle était facilement maniable et extrêmement tranchante. Il la conservait toujours près de lui. Une certaine fierté l’y poussait également, lui qui s’était révélé être un combattant émérite.

Arrivé devant la lourde porte de fer, il tomba nez-à-nez avec le secrétaire particulier de Sa Seigneurie qui venait tout juste de quitter le bureau. Il était tôt, mais il semblait que le premier ministre avait commencé à travailler depuis plusieurs heures. Un véritable bourreau de travail. Le prince pénétra alors dans la salle, ce qui fit fuir une nuée de fonctionnaires. On les laissa seuls.

« Asseyez-vous, Votre Altesse, je vous en prie. », dit simplement le Surintendant.

« Monsieur Bolton. », salua le jeune homme en s’installant.

Le duc fit alors un peu d’ordre devant lui, empilant certains dossiers sur un coin de la table pour avoir plus de place en face de lui. Suite à cela, il y posa ses coudes et joignit ses mains sous son menton. Son regard sévère détaillait son élève.

« Bien, vous êtes là car votre mère m’a chargé de déterminer si vous étiez apte à lui succéder. Aussi ai-je décidé de vous rencontrer, vous et votre sœur, séparément. »

« Je comprends, monsieur Bolton. Mais une question demeure. La succession se fait d’ordinaire par primogéniture. Je ne devrai pas subir un tel traitement. Sauf votre respect, car je sais bien que vous faites cela pour Systeria. »

« Vous soulevez un point que j’allais aborder. D’ordinaire, c’est le cas, hors volonté impériale. Il s’avère que l’impératrice souhaite que son successeur puisse assurer à son peuple un règne stable et prospère, un règne dans lequel son souverain se retrouve. Un édit de succession sera alors nécessaire. »

L’aîné de la fratrie ne répondit pas, hochant simplement la tête. Il comprenait et même si cela lui occasionna un pincement au cœur, il se garda bien de le dire. Il devait rester fier et digne.

« Parlons de vos projets pour l’empire. Quels sont-ils ? », demanda de son ton neutre le Surintendant, fixant toujours le jeune homme avec son regard inquisiteur.

Maemor conservait son chapelet dans sa main, égrenant toujours les perles de bois. Il ne répondit pas tout de suite, prenant quelques secondes pour réorganiser ses pensées. Evidemment, il avait déjà pensé à tout ça, mais il avait besoin d’y remettre de l’ordre pour confier un discours posé et structuré. Il n’était pas prompt à l’emportement et à la passion.

« Améliorer le quotidien de mon peuple. Rehausser son niveau de vie et lui apporter calme et stabilité. »

« Et comment comptez-vous y arriver ? »

Une lueur vive s’alluma alors dans le regard azur du jeune homme.

« Grâce à Thaar. Malgré les efforts de l’Ordre du Soleil, la population continue de souffrir. Souffrir du manque de charité, souffrir du manque de spiritualité, souffrir du manque d’écoute que seule la religion thaarienne peut nous offrir. La paix de la Lumière Eternelle n’est pas assez respectée, pas assez promue à mon sens. C’est en dynamisant ses valeurs que nous pourrons accomplir cela. »

Le premier ministre restait silencieux à l’écouter attentivement. Il le pousserait dans ses retranchements. C’était un des buts de cette entrevue, après tout.

« C’était un des souhaits de Naeder Ier, votre arrière-grand-père. »

La phrase était lourde de sens. Le règne du souverain avait vu s’enchaîner les bûchers et les purges sauvages contre les hérétiques. Et le jeune homme le remarqua.

« Je déplore les excès fanatiques de son règne, monsieur Bolton. J’ai conscience que ses méthodes ont fait énormément de mal et ont causé beaucoup de souffrances. »

« Alors comment comptez-vous y arriver sans employer les mêmes méthodes ? »

« Par la pédagogie. Ensuite, je laisserai faire les effets. », lui fut-il répondu d’un ton très calme.

Le Surintendant décroisa ses mains pour présenter une carte d’Enrya sur la table. Plusieurs flèches partaient des pays, plus ou moins grosses, pour pointer l’archipel.

« Reconnaissez-vous ceci ? »

Les yeux du demi-elfe se plissèrent, pendant qu’il réfléchissait. Ils s’éclairèrent soudain.

« Des flux migratoires, monsieur Bolton. »

« C’est exact. Qu’en concluez-vous ? »

L’héritier fronça les sourcils, pour tenter de comprendre la signification de ce que voulait le premier ministre. Il voyait bien qu’il s’agissait des immigrés qui arrivent à Systeria, mais la conclusion lui échappait, il ne savait pas où il venait en venir. Quand soudain…

« Des cultures et des religions différentes. Vous pensez que je n’arriverai pas à les éduquer ? »

« En effet. Vous pourrez en convertir une partie mais les flux continueront de grossir les différentes communautés. Vous ne pourrez pas leur apporter à tous la foi Thaarienne. Il y en aura toujours qui resteront fidèles à leurs croyances originelles. Si je suis votre raisonnement, seuls ceux qui seront thaariens bénéficieront d’un meilleur niveau de vie. Est-ce là votre idée de la charité, Altesse ? »

Le demi-elfe fronça les sourcils, comme s’il venait de recevoir un coup qu’il ne s’attendait. Puis, un sourire se forma sur ses lèvres, alors qu’il regardait l’homme au visage austère, qui lui avait tant appris.

« Vous me mettez face aux incohérences de mon raisonnement, je le reconnais. Je reste toutefois persuadé que la Lumière doit être partagée et offerte en cadeau aux âmes égarées. »

Un long silence de quelques secondes suivi, alors que le premier ministre examinait le visage bienheureux de son filleul. Finalement, il passa à un autre sujet.

« En ce qui concerne les guildes, que souhaitez-vous faire ? »

« Rien. La situation actuelle est satisfaisante. Chacune bénéficie de son domaine de compétence et le met à profit lorsque la situation l’impose, sous le regard attentif de la Couronne. Je ne compte pas m’immiscer dans un processus qui fonctionne relativement bien. »

Et la discussion évolua vers de nombreux autres sujets sur le fonctionnement interne de la capitale, sur les projets diplomatiques et d’autres réflexions passionnantes pour tous les amoureux de la géopolitique. Deux heures s’écoulèrent avant que les deux hommes ne se séparent.

« Ce fut particulièrement fructueux. Je vous remercie pour cet échange, Altesse. »

« Moi aussi, monsieur Bolton. »

Le prince ouvrit la porte et fit mine de partir avant de se retourner et d’annoncer d’un ton déterminé.

« Régner est la raison de ma naissance. Je ne me laisserai pas détourner facilement de cette voie. »

Extrêmement sérieux, ses phalanges de la main droite étaient blanches alors qu’il serrait son chapelet. Toutefois, son visage restait doux et ouvert au dialogue, pas fermé ni revenchard…


Post by Thomas Bolton, Emp - July 23, 2010 at 11:58 PM

Le Surintendant attendait la princesse Isaleïa de Systeria. Cette dernière devait arriver d’une minute à l'autre au palais. Toutefois, quelque chose d’inattendu attira son attention. Une musique peu commune provenait du donjon central, de la grande salle de bal où se tenaient d’ordinaires toutes les réceptions officielles qui célébraient les grandes occasions du règne de l’Impératrice Cybelle Ière. Cette mélodie était peu commune car il ne s’agissait pas de la musique classique systérienne ou brégunienne. Il s’agissait d’un mélange de compositions elfiques et berguenoises. Une association qui aurait pu paraître extrêmement fruste mais qui semblait donner d’excellents résultats.

Le premier ministre savait déjà qui était l’origine de cette initiative. Il lui fallut peu de temps pour qu’il puisse confirmer son idée première. Lorsqu’il passa les portes de la grande salle, il vit une foule dense de courtisans rassemblés en cercle autour de la piste de danse. Sur l’estrade, des musiciens jouaient des percussions, des cordes et des chanteurs déclamaient dans une langue subtile mais rustique. De l’ancien berguenois apparemment. Il était difficile de ne pas sentir entraîner par le rythme dynamique. Des nobles dandinaient du bassin, les yeux rivés vers le cercle.

Et au milieu de ce cercle se tenait Isaleïa. Dans sa luxueuse robe pourpre, elle virevoltait avec une dextérité étonnante. Ses longs cheveux roux, qui lui arrivaient d’ordinaire à la taille, suivait ses mouvements gracieux chaque fois qu’elle exécutait un pas de danse. Ses mains n’étaient pas figées, elle remuait les doigts en rythme, avec la délicatesse qu’on lui connaissait si bien. La Cour était sous le charme. Le sang des elfes et ses extraordinaires vertus coulait bien dans ses veines ! Et lentement, la musique s’estompa, la princesse ralentit de plus en plus jusqu’à se figer. Son regard émeraude croisa alors celui de son précepteur.

« Bonsoir Thomas. »

Une telle familiarité laissa échapper un petit hoquet à la foule.

« Bonsoir, Altesse. Si nous allions discuter à l’étage ? »

Elle hocha la tête sans rajouter quoique ce soit, lui emboitant le pas, adressant quelques signes de tête aux courtisans en qui elle avait quelque estime. Autant le dire de suite : ils n’étaient pas bien nombreux ! Ils pénétrèrent alors dans la salle du trône et s’assirent sur un petit banc près d’une des fontaines intérieures. Le clapotis de l’eau était apaisant.

« Vous êtes là car votre mère m’a chargé de déterminer si vous étiez apte à lui succéder. Une tâche que j’ai en partie complétée après m’être entretenue avec votre frère aîné. »

Une nouvelle fois, elle resta silencieuse, soutenant le regard d’acier de ses prunelles émeraudes perçantes.

« Quels projets mûrissez-vous pour l’Empire ? »

Un sourire amusé se dessina alors sur les lèvres de la demi-elfe.

« En tant que souveraine ou en tant que frère du souverain ? »

Le ton était sérieux, mais on sentait un on-ne-sait-quoi de malicieux.

« A vous de voir, Altesse. »

« En ce cas, en tant que sœur de l’Empereur, je me chargerai de reprendre les rênes de la Confrérie Pourpre. Le Conseil des Magistères est suffisamment apte à gérer la guilde, mais nous manquons d’un Ancien efficace pour orienter de façon capable la politique de cette institution. Qui plus est, nous assurer le contrôle d’une telle organisation participera au renforcement du pouvoir impérial. »

« Développez. »

« Une présence active et soutenue, c’est ce qu’il manque au dirigeant de la Confrérie. Il faut également un dynamisme et un esprit critique qui sache prendre en considération les recommandations de ses magistères mais également réorienter les buts à moyen et long-termes de cette institution. Il faudra également envisager de construire des ramifications internationales et des échanges avec les autres académies. Celles d’Arnad’Idhren, notamment. Brethenburg ne se prêtera pas au jeu, malheureusement. »

« Quant à l’autre option ? »

Elle quitta le banc pour faire quelques pas dans la pièce, songeuse, les mains derrière le dos. Thomas la laissait en paix, lui permettant de prendre le temps nécessaire pour mûrir sa réflexion.

« Ouvrir les frontières à tous les peuples et à toutes les confessions. »

« C’est déjà le cas. Nos frontières maritimes sont d’ores-et-déjà ouvertes. »

« Ai-je parlé uniquement de frontières matérielles, Thomas ? », ajouta-t-elle, un sourire en coin.

Elle n’en dit pas plus et le duc ne lui demanda pas d’expliquer plus en détail sa pensée, car il l’avait saisi. Il n’eut pas besoin de la relancer, car elle enchaîna directement.

« Renforcer les guildes dans leurs propres domaines sans pour autant augmenter leur monopôle. Leur permettre d’avoir un meilleur contrôle législatif sur leurs secteurs, tant sur le plan géographique que sur le plan des compétences. En somme, poursuivre d’une certaine manière la décentralisation du pouvoir judiciaire et la simplification des textes de lois. »

Sa Seigneurie restait parfaitement silencieuse à l’écouter discourir. Il ne disait rien, ne laissait aucune expression se dessiner sur son visage, que ce soit pour exprimer son accord ou sa désapprobation.

« Je ne compte pas brader la Couronne pour autant. Son pouvoir sera d’autant plus renforcé. Je ne souhaite pas que nous diluions trop l’exécutif. La parole du détenteur du pouvoir est trop souvent rapportée à la Constitution alors que c’est la Constitution qui devrait astreinte à la parole du détenteur du pouvoir. Beaucoup de gens l’oublient, je ferai le nécessaire pour le rappeler. »

Une fois encore, la discussion évolua vers de nombreux autres sujets sur le fonctionnement interne de la capitale, sur les projets diplomatiques et d’autres réflexions passionnantes pour tous les amoureux de la géopolitique. Deux heures s’écoulèrent avant que les deux hommes ne se séparent.

« Ce fut particulièrement fructueux. Je vous remercie pour cet échange, Altesse. »

« De même, Thomas. »

Le duc se dirigea alors vers la grande porte bardée de fer quand la jeune femme lui lança d’un ton qui laissait entendre qu’elle n’était pas dupe :

« Je connais vos plans, Thomas. Je vous ai bien observé, je sais d’avance quel choix vous approuverez. »

Un sourire sans joie se forma alors sur les fines lèvres pâles du Surintendant.

« Grand bien vous fasse, Altesse. Grand bien vous fasse. », laissa-t-il échapper d'un ton énigmatique.

Et elle s’évapora dans l’éther, retournant à ses études à l’Académie. Dans les escaliers, Thomas se retrouva nez-à-nez avec une foule de courtisans qui se demandaient où était passée la danseuse la plus célèbre de l’Empire…


Post by Thomas Bolton, Emp - August 3, 2010 at 12:00 AM

Les jours avaient passés et le Surintendant avait d’ores-et-déjà rendu ses conclusions à l’Impératrice. Suite à cela, la souveraine et son premier ministre s’étaient rencontrés pour en discuter, en haut du donjon central qui domine l’ensemble du palais. Cybelle s’était montrée hésitante. Après tout, par le décret successoral, elle dépossèderait un de ses enfants d’un de ses rêves, d’une de ses raisons d’être. Que ce soit Maemor ou Isaleïa, les deux avaient des aspirations au trône et seul l’un d’entre eux pourraient y accéder. Arriverait-elle à surmonter la déception de sa progéniture ? La réponse était oui, car le duc Bolton était derrière elle pour la soutenir. Ca n'en restait pas moins difficile à supporter...

Le lendemain de cette entrevue au sommet de l’Etat, Sa Seigneurie convoqua le prince héritier. Ce dernier était pile à l’heure, comme à l’ordinaire, après avoir terminé sa prière matinale et ses ablutions. Le jeune demi-elfe était superbe, habillé de vêtements somptueux d’un blanc éclatant brodé de fils d’or. Dans ses yeux se reflétaient une foi puissante et profonde mais également une incertitude grandissante. Il savait que son sort serait fixé dans peu de temps et de façon officielle. Bien entendu, c’était lui qui était désigné pour régner selon la tradition. Toutefois, il avait une rivale de taille : sa sœur cadette.

Sa sœur cadette qui, au même moment, méditait profondément dans ses quartiers à l’Académie Pourpre, laissant son esprit parcourir l’éther sans aucune contrainte. La jeune princesse était beaucoup moins inquiète que son frère. Peut-être que le trône était moins important pour elle, qui sait ? Après tout, son destin à la naissance n’était pas de régner. Une réponse négative ne changerait strictement rien aux plans qu’elle s’était fixé. A moins qu’au fond d’elle, elle ne soit persuadée qu’elle était la mieux placée pour porter la Couronne ? Orgueil diraient certains, pragmatisme, diraient d’autres. La jeune demi-elfe aux cheveux de feu serait-elle capable d’endosser de telles responsabilités ? Elle, en tout cas, en était convaincue.

Dans une petite tour du palais, à l’écart de toute cette tension liée à la succession, le jeune prince Feredìr, le jumeau d’Isaleïa, était tout occupé à faire les cents pas, passant d’une toile qu’il était en train de peindre à la confection d’une nouvelle lunette de vue. Son esprit constamment en ébullition, il n’avait pas le temps de penser à lui. Ni aux autres d’ailleurs. Il lui fallait constamment concrétiser les idées qui lui traversaient l’esprit. Une pièce entière du palais contenait les outils, objets et autres maquettes inachevées de l’ingénieur en herbe. Il avait de grandes capacités, mais assurément pas celle de régner. Feredìr serait plus utile ailleurs que sur le trône.

Mais revenons-en à l’aîné de la fratrie. Il venait d’entrer dans le bureau de son tuteur et le regardait avec une certaine appréhension, mêlée d’une affection certaine. Le duc avait passé plus de temps avec lui que n’importe quel membre de sa famille. Malgré sa froideur, le Surintendant s’était révélé d’excellent conseil. Il lui avait appris énormément tout en le guidant à travers l’univers mondain de la Cour de Systeria. Une éducation qui s’était révélée très fructueuse. Ce faisant, il avait appris à le connaître également : quand il s’agissait d’affaires d’Etat, il n’était plus question de sentiments mais bien de pragmatisme.

« Bien le bonjour, Votre Altesse. Venez avec moi. »

Le premier ministre attrapa sa canne et emmena le prince sur les remparts, pour une petite promenade. Après quelques minutes, ils arrivèrent sur l’aile est. Devant eux, une vue superbe sur la Ville Haute et le dôme du Temple de Thaar, dans le quartier de l’Ordre du Soleil. Thomas posa sa main libre sur un des créneaux. A côté de lui, Maemor ne perdait pas une miette du spectacle qui s’offrait à lui. C’était un superbe spectacle, le marbre blanc rutilait sous les rayons du soleil. Quant au dôme en or du Temple, c’était autrement plus époustouflant !

« J’ai remis mes conclusions à madame votre mère. Je n’irais pas par quatre chemins. J’ai décidé de placer votre sœur en premier dans l’ordre de succession. »

Sitôt ces quelques mots échangés, l’héritier serra fortement le chapelet qu’il avait dans la main droite. Ses phalanges blanchirent. Sa mâchoire se contracta, il serra les dents. Quelque chose sembla s’écrouler tout autour de lui. La raison même de son existence. Ce pour quoi il avait été conçu.

« Je sais quel impact cette décision peut avoir sur vous et j’en mesure toutes les conséquences. Mieux que vous ne pouvez l’imaginer. », continua le duc, une lueur étrange dans le regard.

Toujours aucune réponse, mais il s’y attendait. Le demi-elfe fermait les yeux, toujours aussi tendu, toujours aussi crispé et terriblement dévasté.

« Vous avez des capacités et des compétences égales, vous et votre sœur. Néanmoins, elle possède une ouverture d’esprit beaucoup plus large que vous. Et c’est cela qui a motivé mon choix. Elle saura mieux établir son règne sur une population multiculturelle aux croyances hétéroclites. »

La vérité avant tout. C’est ce qu’attendait le prince, même si elle était si cruelle, si dure à entendre. Quelques larmes coulèrent du coin de ses yeux. C’était le descendant de deux lignées ancestrales mais il n’en était pas moins jeune et donc pas moins sensible… Malgré l’affection qu’il avait pour son précepteur, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver du ressentiment à son égard. C’est lui qui prenait ce genre de décisions et même si elle était la plus objective possible, il en éprouvait de la rancune. Tous les préceptes et toutes les valeurs thaariennes n’y pourraient rien. Il avait beau tenter de refouler ses émotions, rien n’y faisait.

« Ne pensez pas que je vous laisserai oisif. De multiples possibilités s’offrent à vous et je compte bien vous les faire exploiter. », finit par dire le duc avant de se murer dans le silence.

Maemor desserra alors les mâchoires.

« Non, monsieur Bolton. C’est moi qui choisirais ma propre voie. »

Le Surintendant hocha la tête, comme s’il se satisfaisait de la réponse, même si elle le contredisait. Encore une de ses attitudes alambiquées ?

« Dites à ma mère… dites lui que… je ne lui en veux pas. Je vais me retirer quelques jours. »

Et sur ces paroles, il fit volte-face pour s’enfoncer vers les étages inférieurs. Rapidement, il fit seller son cheval et parti à bride abattue vers l’extérieur de la cité pour rejoindre le monastère. Le père prieur fut surpris de cette visite à l’improviste mais l’accueillit les bras ouvert. L’aîné de Cybelle prit ses quartiers dans une petite cellule tout près du cloître et se consacra à la prière. La plupart du temps, il restait silencieux, réservant ses mots à Thaar. Une retraite de quelques jours s'imposait.

Thomas fixa le ciel un moment, comme s’il avait aperçu quelque chose. Au même moment, la princesse Isaleïa réintégra son corps, à l’Académie Pourpre, un sourire triomphant sur son doux visage…


Post by Thomas Bolton, Emp - September 5, 2010 at 12:15 PM

Les semaines avaient passé depuis l’annonce du changement dans l’ordre de la succession au trône de Systeria. Au palais, la vie suivait sont cours : les courtisans intriguaient pour se faire bien voir de l’Impératrice et le prince Feredìr continuait d’imaginer, de créer et d’inventer. La seule ombre au tableau était l’absence de l’aîné, Maemor, encore et toujours au monastère. Sa retraite n’avait pas encore pris fin. Cybelle s’en inquiétait souvent. De nombreuses fois, elle avait confié ses scrupules à son premier ministre. Elle avait confiance en son jugement mais elle avait déçu un fils et elle avait énormément de mal à l’accepter. Aussi, un beau matin, le Surintendant décida de se rendre au prieuré pour rencontrer Son Altesse.

Un jour, donc, peu après les matines, le carrosse du Surintendant quitta la cité pour se rendre droit vers le lieu saint où l’ancien héritier méditait sur son sort. Quand il arriva, les moines venaient tout juste de quitter la chapelle. Le duc mit pied à terre et se dirigea vers les grandes portes qui protégeaient du monde extérieur ces hommes dédiés à Thaar. Le sous-prieur vint lui ouvrir et le conduisit dans l’hôtellerie, le temps que son supérieur ne revête des vêtements plus adéquats : les habits de la messe ne pouvaient être utilisés que pour les offices. En dehors, la bure était de rigueur. Une fois prêt, le prieur alla accueillir son hôte de marque.

Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés, il y a plusieurs années. A son entrée dans le Clergé Séculier, Thomas Bolton avait été confesseur et le moine s’était confié à lui pour certains de ses péchés.

« Que nous vaut ce plaisir, Votre Seigneurie ? », demanda-t-il d’un ton affable, avec une pointe de formalisme.

« Je souhaite vous parler du prince. Vous a-t-il dit quand sa retraite pendra fin ? »

L’homme de dieu se frotta les mains et les cacha dans les larges manches de sa robe. Il grimaçait.

« Je ne peux répondre pour lui, vous le savez. Je pense qu’il n’en a pas fini. »

Les deux hommes s’engagèrent dans le cloître intérieur, se promenant autour du vaste jardin au centre du monastère. La canne du premier ministre résonnait sur le sol dallé.

« Pourquoi pensez-vous cela, prieur ? »

« Et bien, sa mission sur cette terre est sacrée et je ne vois pas d’un bon œil l’en détourner. »

Le Surintendant s’arrêta brusquement et plongea son regard d’acier dans celui du saint homme. Ce dernier soutint le regard, il était persuadé de bien faire dans le respect des règles de Thaar.

« C’est au premier-né de régner. Si toute son âme est dédiée à la Lumière Eternelle, je ne peux que l’encourager à persister dans cette voie. »

Thomas fronça les sourcils, examinant son interlocuteur en face de lui comme s’il cherchait à le transpercer du regard. Après quelques secondes d’un silence lourd et pesant, il ouvrit finalement la bouche.

« Il y a quelques années, père prieur, vous n’étiez pas si respectueux des règles thaariennes, si je me souviens bien. »

Alors que l’autorité suprême du monastère avait tenu bon jusque là, cette remarque lui fit immédiatement détourner le regard. Il toussa, s’essuya la bouche d’une main tremblante et toussa de nouveau.

« Mais… vous… vous ne pouvez pas, Votre Seigneurie. Le secret de la confession… »

« … peut être brisé en cas de crime contre-nature. Les années n’y changeront rien. »

Le prieur allait rétorquer que rien ne le détournerait de sa voie, mais il se ravisa. De telles révélations pouvaient le briser, même s’il n’y avait aucune preuve qui pourrait les alléguer.

« Je.. bien. Je lui ferai comprendre que… la seule voie est celle que sa mère a prévu pour lui. »

Le duc hocha la tête.

« Bien, je savais que vous vous montreriez raisonnable, père prieur. Je retourne au palais, transmettez mes amitiés à Son Altesse. »

Quelques minutes plus tard, le carrosse s’ébranla et rejoignit le palais. Trois jours après, le prince Maemor fit son apparition à la Cour. Il avait changé, il semblait plus maigre. Toutefois, on remarquait toujours cette détermination farouche dans le regard. Il avait sans doute modifié ses objectifs, mais il ne faisait aucun doute qu’ils resteraient liés à un idéal thaarien. Un homme de dieu lui avait fait comprendre que la Couronne n'était pas un but en soi. Quand au Surintendant, il venait de participer au renforcement de la stabilité politique de Systeria. Une querelle de succession aurait été catastrophique pour l'Archipel et son peuple.