Une étrange livraison
Post by Cornelius Aigrepont, Ind - February 6, 2009 at 6:01 PM
Il avait perdu cet air propret qui l'avait toujours caractérisé. Les longues nuits passées dans les bois et les rations de nourriture magique l'avaient endurci depuis sa dernière visite en ville - catastrophique. Il avait eu la chance inouie de croiser la personne qu'il détestait possiblement le plus au monde (bien que tout le monde sût qu'il détestât l'entièreté de Systéria): Sarälondë Taur'Amandïl, épouse Balgor. Une conversation incongrue devant les portes de la cité, qui en aurait fait rire plus d'un, mais les deux protagonistes étaient extrêmement sérieux: le mage pédant était allé jusqu'à proposer une amitié à la directrice adjointe de l'hôpital. Son stratagème machiavélique impliquant un portail inconnu n'avait malheureusement pas marché (sans quoi il l'aurait emprisonnée sur le toit de la bibliothèque jusqu'à ce qu'elle décède d'inanition et soit mangée par les vautours, évidemment). Et ce chat, ce damné chat qui lui avait sauté dessus et qui l'avait ridiculisé devant sa némésis. S'il revoyait jamais ce satané animal, il le grillerait ou commanderait des élémentaires pour l'écraser.
Une multitude de poils ornait désormais le bas de son visage, telles des pousses de légumes au tout début de l'été, puisqu'il n'avait pas eu l'occasion de se raser depuis longtemps. Son manteau beige était taché de boue et son bâton, fendu. Cela ne correspondait assurément pas à l'idéal de beauté que s'était toujours donné Cornelius, mais il n'avait pas le choix. Retourner à la ville eut été suicidaire. Il avait omis de se présenter auprès de l'Ordre du Soleil pour purger une semaine de prison, tel que prescrit par les instances juridiques (et ce par pure paresse), ce qui lui valait désormais d'énormes ennuis. Il était certain de se retrouver pris au piège dans leurs geôles pour beaucoup plus longtemps s'il venait à tomber entre leurs griffes.
Pendant les quelques semaines qu'ils avaient passées loin de la ville, il avait eu l'occasion de réfléchir au gâchi que sa vie était devenu depuis ce jour où l'Intendant les avait convoqués tous deux: lui, le diplomate prometteur, elle, la pauvre infirmière sotte. Sa première impression de cet être (qu'il considérait comme intellectuellement retardé, si bien qu'il avait longtemps pensé à offrir une statue en l'honneur de son mari, un homme qui devait avoir beaucoup de difficulté à la supporter) avait été mauvaise, et ne s'était pas démentie par la suite. La haine avait été palpable entre les deux fonctionnaires dès le tout début. Lors de cette entrevue fatidique, si importante dans sa vie (bien qu'il ne l'ait réalisé que beaucoup plus tard), l'Intendant avait démontré définitivement sa préférence pour la directrice adjointe. Quelques semaines plus tard, Cornelius avait perdu son emploi et vagabondait depuis. Ses mésaventures juridiques contre son ennemie jurée n'avaient contribué qu'à l'enfoncer davantage dans le cercle vicieux de la médiocrité, ce qu'il ne réalisait pleinement que désormais.
C'est donc résigné, au mois de Feuil, qu'il résolut de se présenter auprès de l'Armée des Mercenaires. À l'aide d'une rune (précieusement conservée depuis qu'il savait lancer des sorts), il se rendit illico presto à la caserne afin de se rendre... Car la simple idée de s'offrir à une guilde qui avait jadis hébergé la vile Sarälondë le répugnait. Aussi préférait-il retourner dans les geôles glauques de cet établissement lugubre (heureusement retapé quelque temps auparavant) plutôt que de souffrir l'humiliation et une peine beaucoup plus longue en se rendant aux autorités saintes.
Les bras ballants, le bâton accroché dans le dos, il se présenta devant le sergent Kirby en attendant que quelqu'un vienne lui répondre...