Une invitée attendue

Une invitée attendue

Post by Thomas Bolton, Emp - June 6, 2009 at 2:31 PM

La nuit tombait sur la cité. Déjà, son épais manteau d’obscurité recouvrait la ville où les lumières des chaumières commençaient à s’éteindre, une par une. Attablé à son bureau, le duc Bolton étudiait les dossiers en cours, dont un qui revêtait beaucoup d’importance. Eclairé par la seule chandelle qui brillait dans la pièce, son regard d’acier semblait perdu dans ses pensées à élaborer on-ne-sait-quel plan alambiqué, quand soudain on frappa à la porte.

Le Grand Chambellan pénétra alors dans la pièce, se tordant les mains. L’homme était toujours aussi dodu et sa voix se révélerait toujours aussi nasillarde. Leur dernière rencontre ne s’était pas très bien passée – voila ce qui se passe quand on tente de flouer le Surintendant – aussi gardait-il quelques tics nerveux.

« Hmm hmm, bonsoir monseigneur. Je… hmm hmm venait vous annoncer que hmm hmm ce que vous m’aviez demandé, hmm hmm, est prêt. Une chambre, tout ce qu’il a de plus confortable, hmm hmm. Pour Madame. »

Le premier ministre se retourna lentement et fixa le préposé aux appartements du palais avec un regard particulièrement froid.

« Parfait. Autre chose ? »

« Hmm oui monseigneur. Il semblerait que hmm hmm, le navire de Madame soit arrivé au port. Hmm hmm. J’ai heu… un carrosse pour elle. »

« Enfin une initiative appréciable de votre part, Grand Chambellan. Vous pouvez disposer. »

Et quelques minutes plus tard, le Surintendant quitta son bureau pour se rendre aux grandes portes du palais. La porte de l’habitacle s’ouvrit lentement. La première chose qui en sortit fut un pied vêtu d’une chaussure à talon violette. Suivit bientôt une robe luxueuse de même couleur, des mains gantées de violet dont la droite tenait un éventail violet. Mais ça n’avait rien d’une Lenne Vespari, bien au contraire.

Le visage était différent, les traits étaient à la fois fins et acérés, un regard ambitieux et déterminé. Elle avait quelque chose que les rares personnes présentes pouvaient reconnaître en la personne du Surintendant. Etaient-ils apparentés ?

« Mes salutations, Madame. », annonça ce dernier d’un ton monocorde.

« Bonsoir Thomas. Mes appartements sont prêts ? », lui répondit-elle d’un ton que l’on pouvait qualifier de familier.

« Bien évidemment. Laissez-moi vous y conduire. », annonça-t-il en lui tendant sa main.

Et c’est ainsi qu’il la conduisit vers la chambre qu’il lui avait fait préparer au palais. C’était pour un court séjour, bien sûr, mais l’acte démontrait une certaine influence sur la mécanique du palais. Elle détailla la pièce d’un air extrêmement pointilleux. C’était décoré de larges tentures violettes. Le lit à baldaquin était apprêté avec la même couleur majoritaire, avec quelques dentelles noires.

« Ah, tu as donc respecté mes goûts. C’est excellent. On n’aurait pu rêver mieux, Thomas. »

« Mais je vous en prie ma tante. Passons dans mes appartements, voulez-vous ? »

Cette petite réunion de famille continua donc dans l’aile sud-ouest du palais. Une carafe contenant un précieux cognac attendait déjà sur la petite table de bois. La décoration était singulièrement différente dans l’aile qui avait été donné au duc : tout était sobre, pas de luxe ni de fioritures.

« Mon dieu, tu n’as toujours aucun goût. A quoi bon atteindre les hautes sphères du pouvoir si c’est pour rester aussi austère, Thomas ? Uses-en, que diable ! »

Un sourire froid se dessina alors sur les fines lèvres pâles du premier ministre, alors qu’il répondait à sa tante :

« Peu m’importe mon enrichissement personnel et l’étalage d’un luxe bien inutile. Je vois que les années vous ont conforté dans les nouveaux fondements patriciens d’Exophon ma tante. »

Elle éclata alors d’un rire sonore et franchement amusé. Cette femme semblait être l’extravagance même. Ou peut-être n’était que l’image qu’elle voulait montrer d’elle. C’était fort possible. Avec cette famille, tout était possible !

« Je suis venu te féliciter. La dernière fois que nous nous sommes parlés, tu n’étais que baron et maintenant te voila duc. Je vois que tu as fait du chemin. Mais permets-moi de nuancer mes propos : la haute aristocratie ne te va guère, mon neveu. »

Il haussa les épaules. Pour elle, pouvoir signifiait richesse. Et richesse signifiait luxe à outrance. Le Surintendant ne pensait pas de la même manière. C’était secondaire, par rapport aux objectifs qu’il s’était fixé : Systeria. L’administrer, faire fonctionner la complexe mécanique institutionnelle de l’empire. Pour certains, ça pouvait ne pas être une fin en soi. Pour lui, ça l’était.

« Les choses vont cependant changer. Vous aurez l’occasion de le constater par vous-même pendant votre court séjour, Madame. »

« Vraiment ? Tu sais comme j’adore assister aux bouleversements d’une société ! Je suis sûr que cette invitation n’est pas qu’une coïncidence. », répondit-elle, franchement amusée, en utilisant avec vigueur son éventail.

Deux verres furent remplis et chacun goûta au précieux liquide ambré.

« Mais dis-moi, qu’advient-il de ta fiancée, la duchesse Recaedre ? »

« Dans un premier temps, elle n’est plus duchesse. Et dans un second, je ne sais pas. Elle se terre dans son manoir, n’ose plus sortir. Sa fille, même, a été radiée du barreau. Je ne sais pas ce qu’il en est. »

Il avait prononcé cette phrase avec une neutralité parfaite, ne laissant pas voir à son interlocutrice s’il éprouvait un quelconque sentiment face à cet état de fait.

« Une montée au pouvoir si rapide et une chute tout aussi brutale. Quelle déchéance ! Le vieux lion doit se retourner dans sa tombe. »

« Rien n’est jamais acquis à Systeria, ma tante. », dit-il de façon proverbiale, terminant son verre.

C’est un petit ricanement qui lui servit de réponse.

« Il se fait tard, je vais vous raccompagner à votre chambre… »

Ah, décidemment, ce séjour promettait…


Post by Thomas Bolton, Emp - June 8, 2009 at 2:59 PM

Quelques jours plus tard, le discours sur la dissolution du Conseil et l’ouverture des hautes sphères de l’Etat aux guildes fut prononcé. Parmi l’attroupement de bourgeois dans la masse des citoyens, le duc avait aperçu une femme vêtue de violet, échanger quelques messes-basses avec certains de ses voisins. Ca ne l’avait pas surpris, il s’attendait à ce qu’elle vienne fourrer son nez aquilin un peu partout. Peut-être même était-ce la raison principale pour laquelle il l’avait invitée à venir à Systeria.

Peu après midi, le Surintendant retourna dans ses appartements. Soudain, on toqua à la porte…

« Bonjour, mon neveu. »

« Madame. Je vous attendais justement. »

Et effectivement, c’était le cas. Sur la petite table basse se trouvait une théière – origine zantherienne – ainsi que deux petites tasses d’où s’échappait une légère fumée. C’était du thé noir, comme ils l’adoraient tous deux. La femme vint s’installer, déposant son éventail sur la table et se saisissant d’une des tasses.

« Quel retournement de situation ! Ca alors, si je m’y attendais ! », prononça-t-elle d’une voix amusée et sincère.

« Vraiment, Madame ? »

« Bien entendu. Dissoudre l’administration au profit des guildes, ça se justifie parfaitement par le système systérien. Mais limoger ses ministres et les personnes de confiance au profit d’une bande d’individus mus uniquement par leurs intérêts… tant personnel que professionnel… sans avoir aucune idée de leur loyauté… »

Thomas laissa un sourire amusé se dessiner lentement sur ses fines lèvres pâles. Il trempa doucement ses lèvres pour apprécier le goût du thé et apporta une réponse aux interrogations de sa tante.

« Madame, voyons. Vous me décevez. Si j’en crois ce raisonnement, cela signifie que vous statuez que tous les politiques et conseillers, quels qu’ils soient, sont tous doués de bonnes intentions. »

Suite à quoi elle éclata d’un rire sonore.

« Non, c’est vrai. Mais tout de même. Là c’est multiplier les risques. »

« Sa Majesté restera bien entourée. Elle ne sera pas broyée par les revendications de chacun. Je puis le gager. »

Elle le regarda d’un air curieux, intéressé. Puis elle se contenta de hausser les épaules pour toute réponse. Après une longue minute de silence, toutefois, elle enchaîna :

« Tu as réussi à tirer ton épingle du jeu, en tous les cas. Initiateur de la réforme, oreille de la Couronne conservée et toujours précepteurs des héritiers. »

« C’est cela, la confiance. Je vous disais que rien n’est jamais acquis à Systeria. Jamais je n’ai relâché mon attention et j’ai toujours œuvré pour Systeria. C’est un juste retour des choses. »

*Puis la conversation vint évoluer vers d’autres sujets, personnels ou plus généraux. Rien qui ne se montrerait pertinent ici… *


Post by Thomas Bolton, Emp - July 25, 2009 at 7:47 PM

De nombreuses semaines s'étaient écoulées et Madame avait singulièrement profité de son petit séjour à Systeria. Son départ avait sans cesse été reporté pour la simple et bonne raison que sa curiosité la poussait à rester. A voir comment se déroulerait la mise en place de cette réforme. Et comment elle évoluerait. Et vint finalement le soir où…

« Bonsoir, Thomas. Je vais repartir. »

« Bien le bonsoir, ma tante. Je me doutais bien que vous finiriez tôt ou tard par reprendre le large. »

« J’ai fait mon temps ici, je vais maintenant aller le dépenser ailleurs. »

Sa Seigneurie gardait son expression stoïque, hochant lentement la tête pour faire comprendre qu’il avait assimilé l’information. Il savait très bien qu’il n’aurait pas à lui réserver une place sur un navire, elle s’en serait déjà chargée.

« Ca n’a sans doute rien à voir avec le fait que votre concurrent le plus féroce durcit sa politique commerciale à l’encontre de vos intérêts à Zanther, je présume ? »

Lentement, ses fines lèvres pâles s’étirèrent en un sourire singulièrement amusé. Elle n’escomptait pas lui cacher cette information, tout de même, si ? Elle le regarda pendant quelques secondes, silencieuse, le foudroyant du regard. Puis, finalement, elle se détendit et éclata de ce rire cristallin qui lui allait si bien.

« Les maisons-closes de Medelia n’offrent aucune confidentialité pour les secrets qui s’y trouvent. Vous devriez le savoir. »

« Peu importe. J’aurais dû m’en douter. Je me fais fort de le briser, quoiqu’il arrive. J’ai mis du temps à obtenir tout ça, je ne vais pas me laisser faire. Ce n’est qu’un piètre individu. »

Le duc la laissa parler. Pourquoi ne fit-il pas écho ? A la fois parce qu’il connaissait la situation, parce qu’il connaissait Madame et aussi parce qu’il la laissait gérer ses affaires, tout comme elle le laissait gérer les siennes. Une famille bien… étrange.

« Oh, une petite question me trotte dans la tête… J’ai rencontré du monde au palais, mais une personne m’intrigue toujours autant. »

« Je vous écoute. », répondit dans un souffle Sa Seigneurie.

« Je vois souvent cet homme aux habits riches, installé sur un banc de la cour intérieure, qui fixe les gens, qui fixe l’heure, toute la journée, sans cesse. Le regard vide. »

« Ah, vous avez fait connaissance avec le mari de l’ex-Régente. Une de ses marionnettes préférées, je crois. »

« Ah. Bien, je pars. Non navire va quitter le port dans une demi-heure. Nous restons en contact, Thomas. »

Le premier ministre acquiesça sans rien rajouter. Elle repartirait vers ses propres objectifs et chacun ferait sa route de son côté avant un bon bout de temps…