La fin des El'Urhem

La fin des El'Urhem

Post by Thomas Bolton, Emp - September 17, 2010 at 11:51 AM

Plusieurs années de cela, alors que le Surintendant Bolton n’était encore que Consul Impérial et qu’Armika Recaedre était encore une duchesse de Systeria, un meurtre eut lieu au palais de Briganne. Ou plutôt deux. Il était même possible qu’il y en ait eu trois, mais vu l’âge du dernier, le temps restait une variable qu’il ne fallait pas négliger. En une nuit, la plus vieille dynastie humaine d’Enrya disparaissait sous les coups répétés des intrigants. Et ce soir-là, on imputa un des homicides à la veuve du Surintendant Mundus Recaedre. Etait-elle coupable ? La revêche brégunienne avait-elle réellement poignardé le prince héritier du trône du Saint-Empire ?

Qu’elle en soit ou non à l’origine importe peu. L’important, c’est ce que croit la majorité de la populace. Les conséquences furent désastreuses. D’une part pour elle, expulsée et considérée comme une horrible criminelle par sa terre natale qu’elle tenait en si haute estime ; d’autre part pour sa famille, détentrice d’un vieux marquisat de province dans la région de Posdrenia. En effet, ce jour-là, madame El’Urhem, veuve Recaedre, venait de marquer le glas de sa famille. Elle pouvait toujours se rattacher à Systeria, la patrie de son défunt mari, mais ce n’était pas le cas pour ses parents. De sévères réprimandes eurent lieu…

« Marquis El’Urhem, par la Grâce de Sa Majesté Impériale Grisbald Ier de Brouxg, vous êtes déchu de vos titres, fonctions et biens. »*, hurla le héraut, dans la grande salle du manoir qui appartenait au dit noble. *

« Mais… mais… pourquoi donc ? C’est un outrage ! », bafouilla puis hurla l’homme, hors de lui.

« Votre fille est convaincue d’homicide. Votre crime est de l’avoir enfanté puis de l’avoir vendu aux systériens qui s’en sont empressés d’en faire une des leurs. Vous ne pouvez vous y opposer. »

Effectivement, des hommes en armes arrivèrent à la suite du héraut, expulsèrent sans ménagement les occupants qui se retrouvèrent dehors, sous la pluie, en atours luxueux. Ils étaient déshonorés. En remontant la route, ils croisèrent un carrosse qui portait les armoiries du marquisat qu’ils venaient de perdre, avec quelques petites modifications : sans doute un partisan des De Brouxg qui avait su obtenir quelques faveurs…

« Qu’allons-nous faire, ma mie ? »

« Vous souvenez-vous de cette demeure dont vous cachiez l’existence au percepteur ? Nous allons nous y établir. Ensuite, nous poserons recours devant Sa Majesté. », déclara froidement la femme aux yeux d’émeraude.

C’était un manoir de campagne qui avait souffert d’un cruel manque d’entretien. Or, sans argent, il était impossible d’y apporter les réparations de première nécessité. Chaque fois qu’il pleuvait, le toit fuyait. Chaque fois qu’il ventait, des courants d’air froid s’engouffraient dans les vastes couloirs de la bâtisse. La première semaine, leur recours se perdit dans la machine bureaucratique impériale. Pour survivre, ils vendirent les somptueux vêtements qui leur rappelaient leurs jours glorieux. Ça ne se fit pas sans difficultés, mais il fallait bien s’y résoudre. Adieu le bœuf rôti, adieu les poissons bien gras accompagnés de légumes exotiques… C’était des miches de pain de seigle et quelques pommes qui accompagnaient leurs repas. Parfois, ils pouvaient même profiter de viande séchée.

Pour subvenir à leurs besoins, ils vendirent tous les meubles inutiles, les tableaux, les vieilles tapisseries. Les mois passèrent, la Couronne continuait d’ignorer superbement les demandes de révision des El’Urhem. Un soir d’orage, l’aile ouest du bâtiment s’écroula : les fissures dans les murs, le mortier fragilisé par les fuites du toit, autant de facteurs qui favorisèrent la destruction d’une bonne partie de l’édifice. Décidément, Thaar était contre eux. Très croyants, comme la plupart des bréguniens, ils ne pouvaient y voir qu’un signe du Ciel contre leurs péchés passés. La Lumière Eternelle leur refuserait-elle les portes de son Temple Céleste ?

Plusieurs années passèrent et une nouvelle leur parvint, un jour de marché dans un petit village près de la côte de Posdrenia.

« Oui, j’te jure, un marin m’l’a dit. La régicide a épousé le Surintendant de Systeria ! »

« Bah décidément, elle les cumule. Après le vieux rigide, elle s’acoquine avec le zantherien ? »

Tout le long de la journée, madame El’Urhem élabora un plan. Bancal, certes, mais c’était leur dernier espoir. Elle en fit part à son époux le soir venu, alors qu’ils se serraient sous la couverture pour se tenir chaud.

« Pourquoi ne pas la contacter ? »

« Vous n’y pensez pas, ma mie ! Regardez où elle nous a mis, à tuer Tiberius ! »

« Et alors ? Que voulez-vous que nous attendions de Grisbald, mon cher ? On nous a oublié. Elle doit avoir des appuis puissants, chez les sauvages. »

Le père d’Armika se tordit les mains et grommela avant d’ajouter :

« Moui… Un peu d’or ou une petite maison sur la côte systérienne… Ça nous changerait. »

Un beau jour, le duc Thomas Halvadius Bolton reçut donc une lettre plaintive adressée à madame son épouse. Elle détaillait la déchéance dans laquelle le couple s’était retrouvée suite à l’accusation portée par le pouvoir sur leur fille.

« Ta famille t’a écrit, Armika. Ils demandent assistance pour les maux qu’ils subissent à Brégunia. »

Le visage froid de l’ancienne duchesse devint glacial. Elle attrapa le document et le froissa sans même en faire la lecture.

« Qu’ils pourrissent dans leur trou ! », lança-t-elle de façon hargneuse.

« Tu ne lis pas ? », lui demanda simplement son époux.

« A quoi bon ? Ils m’ont traité comme une moins que rien toutes ces années et ils reviennent la queue entre les jambes. Qu’ils croupissent à Posdrenia, je m’en moque. »

Et la conversation s’arrêta là. L’histoire des El’Urhem ne s’arrêta pas pour autant. En voyant un coursier les approcher, une semaine après, leurs cœurs éprouvèrent un vif espoir que leurs supplications aient été entendues.

Aux époux El’Urhem,

Madame mon épouse ne donnera pas suite à votre demande.

T.H.B.

Le Surintendant avait pris la peine de les informer. Dans quel but ? Il était bien difficile à définir. A la lecture du document, tout espoir fut anéantit chez le vieux couple…

Le soir même, ils revêtirent leurs plus beaux atours – qui n’avaient rien de beaux, d’ailleurs. La femme rédigea un petit mot sur une page arrachée d’un vieux livre, pendant que le mari faisait des nœuds coulants à deux cordes robustes. Très consciencieusement, il les accrocha aux larges poutres de chênes qui soutenaient le plafond. Ses gestes étaient précis et minutieux, malgré un tremblement qu’il tentait de contenir. Sa femme plaça alors deux tabourets sous chacune des cordes. Lorsqu’ils eurent terminés, ils se firent face et se prirent les mains. Ils se regardèrent droit dans les yeux, une longue minute et s’embrassèrent. Un baiser respectueux et digne. Ils grimpèrent alors sur les tabourets, passèrent la corde autour de leurs cous, au même moment. Une nouvelle fois, ils échangèrent un regard…

… puis ils sautèrent. La corde comprima leurs trachées, leurs visages prirent une violente couleur écarlate, leurs yeux sortirent de leurs orbites, des borborygmes s’échappèrent de leurs bouches. Le rouge se transforma en violet, puis la vie quitta leurs corps. Le violet laissa place à une couleur bleue pâle.

Deux semaines plus tard, un marchand itinérant découvrit les deux corps.

On ne sait trop comment, la nouvelle arriva à Systeria pour trouver directement Armika Recaedre. Le petit mot lui fut également confié.

Nous te demandons pardon.


Post by Armika Recaedre, CP - September 17, 2010 at 6:22 PM

*Assisse sur le fauteuil près du feu, elle le regardait fixement. Ses valises posées derrière elle, elle ne bougeait pas d'un pouce. Ses yeux clignant à intervalle régulier, ils étaient sèchent, fixent et troublés. Le mot tracé de la main de sa mère était posé sur le petit guéridon à son côté. Il avait du vécu, les coins cornés, certaines lettres pratiquement effacés, le papier jadis blanc, taché à quelques endroits. Elle se rappelait, se rappelait tout. Cette dernière fois qu'elle avait réellement piquer une colère. Ses grands-parents n'y étaient pour rien. Ce n'était que leur petite fille, ils n'avaient pas vraiment de pouvoir sur elle, et n'avait jamais vraiment voulu s'en occuper. Aujourd'hui elle s'en rendait compte. Ils l'avaient aimés à leur façon, mais ça n'avait pas suffit. Elle avait 15 ans, et elle s'en rappelait comme si c'était hier. *

-Je veux savoir!! Vous devez me le dire, vous avez parlé de moi je le sais! Rhaaaa. Dit-elle en hurlant à tue-tête, réveillant ainsi toutes personnes pouvant dormir à cette heure-là.

-Du calme Mademoiselle, cessez de hurler ainsi, c'est inutile. Calmez-vous et je vous direz tout ce que vous voulez savoir.
Là, c'est beaucoup mieux. Je crois que vous m'avez donné la migraine, s'a y ait.
Bien, voilà tout ce que vous devez savoir. Vous n'êtes plus une enfant à présent. À vôtre âge, pendant que vous êtes encore jolie, il faut vous trouvez un mari. Vôtre père tâche d'obtenir la meilleure partie pour vous, et la meilleure dot bien entendu.

C'était tout ce qu'elle avait dit. Et c'était la dernière "conversation" qu'elle avait eu réellement avec sa famille. à partir de ce moment, elle s'était promis de faire sa vie toute seule, mari ou non. Elle avait snobé ses parents du moment où elle avait appris qu'ils les enverraient sur cette île de sauvage. Étrangement tranquille, elle venait de fêter ses 16 ans, une fête qui était passé sous silence. Jamais depuis sa naissance elle avait été aussi silencieuse, aussi calme. Tout le monde s'accordait à dire qu'elle serait une bonne épouse si elle continuait de la sorte.

Elle se rappelait le bateau et cette cabine qu'elle n'avait pas quittée une seule fois. Elle se rappelait se petit ponton de bois qu'ils appelaient un quai. Elle se rappelait de cette homme qui l'attendait, cette homme qui avait l'âge de son père, voir son grand père. Elle avait instantanément détesté l'homme, détester la ville, détester le manoir. Elle ne voulait pas les aimés, coûte que coûte, elle s'évertuait à les détester un peu plus chaque jour.

Un regard à nouveau vers le papier. Elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle les avait envoyés vers la mort en ne répondant pas à leur demande d'aide. Elle ne pouvait pas s'empêcher de les haïrent malgré tout, malgré la mort. Quand elle avait eu le plus besoin d'eux, ils l'avaient vendu comme l'un de leur cheval pur sang. Une bonne génisse, des dents saines, une belle robe...que demander de plus pour quelques pécules.
Elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'ils n'avaient que ce qu'ils méritaient.

Et puis... elle pensa à ses enfants. Jeta un œil à ses valises.

Brégunia n'était qu'un miroir de bonté.
Thaar n'a jamais été ce qu'il prétendait être.
Mundus était mort depuis longtemps.
Et elle répétait les mêmes erreurs avec ses enfants.

Il y avait des choses qui devaient changer.

Elle brûla le papier taché, se leva, replaça les plis impeccables de sa robe, et partie vers le petit bureau pour écrire.

Il y a des fois où, les choses doivent changer.