Une femme
Post by Sakamae Nakaki, CP - September 25, 2010 at 4:08 AM
Je m'éveillai par trois fois. Comme s'il cherchait encore à m'emprisonner aux plus profonds de mes songes. Trois fois, j'ouvrit les yeux, convaincue de la réalité, qui n'en était pas une. Un frisson avança, comme les petits pas d'une ballerine, sur la soie de ma peau brune.
Des pleurs étaient venus me chercher dans le monde sacré de la déesse Shaëlim. À mon réveil, ils étaient encore si bien imprégné dans ma mémoire que j'eus l'impression de les avoir ramenés avec moi. C'était un sentiment inconfortable. Surtout après ces années de vie recluse dans le manoir Taur'Amandïl. Les pleurs, je les connaissais. Saralondë les échappaient souvent, lorsqu'elle croyait que toutes dormaient. Jamais je n'avais manifesté la moindre réaction à leur apparition. Je ne souhaitais pas comprendre ce qui lie une femme à un homme. Je déteste les hommes. Ils sont sales, menteurs et brusques. Ils sont étranges, et surtout, ils sont corrompus de par leur unique poignard.
Ces pleurs ne ressemblaient en rien à ceux de celle qui m'avait recueillie, des années plus tôt. Ils étaient beaucoup plus déchirants. Ils n'avaient pas cette belle dignité que gardait la marquise. J'étais encore étendue dans mon lit, au milieu de mon irresponsable désordre. Entourée de tous les ouvrages publics concernant de près ou de loin le dieu Thaar. C'était une belle illusion que de croire qu'en l'installant tout autour de moi, je serais davantage protégée de moi-même. J'avais les yeux ouverts. Mon plafond était encore noir d'ombres. De mon imaginaire, j'arrivais à les faire danser, à recréer les fantômes qui représentaient mon passé, que j'avais honteusement fui. Je pouvais encore entendre certains d'entre eux me parler. Comme si, du plan des morts, ils pouvaient encore m'approcher. Rien de très concret. À peine un chuchottement, comme une personne qui vous sussure à l'oreille des mots doux.
"Petit singe..."
S'il y avait un singulier personnage qui venait régulièrement hanter mes cauchemards, c'était Elrog Minh Yu. L'aura vert toxique de son regard avait sû percer mon âme jusqu'à sa plus profonde terreur. Je n'avais que quatre ans à l'époque. Et je n'étais pour lui qu'un petit singe. Je le détestais. Je le déteste toujours.
Une main sur la couette de mon lit, j'y ai pris appui pour sortir. Le tapis était froid. Ma robe de nuit blanche me donnait un air irréelle. Je me doutais bien qu'une des couettées de la maison viendrait me rejoindre dans mon excursion nocturne. Je sortais si peu souvent, par peur de ma propre personne. J'espérais secrètement que ce soit Sarä. Je voulais lui parler de lui, encore. Lui dire que mon cauchemard était revenu. Je suis sortie de ma chambre, et j'ai été me poser devant le miroir de la salle du bain.
Mon reflet était là. Immobile. Longue, féminine. T'sen. Les tresses cherchaient désespérément à ramener l'enfant, mais, hélas, il n'y avait plus que la femme qui se présentait à moi. Un corps trop grand, trop souple. J'avais encore peur. Je voulais encore me blottir dans ses bras. Mais je restais là. Arrogante.
"Regarde-moi à présent. Je suis une femme et tu es mort. Qui de nous deux aura duré... Le petit singe, ou le veilleur des morts..."
Post by Sakamae Nakaki, CP - September 28, 2010 at 4:49 AM
Des gouttes d'eau tombent. Plic. Ploc. Elles me font penser aux notes que joue Sarälondë dans ses moments de solitude. Elles ont un cri similaire. Comme celui de mon coeur. Sur la surface de l'eau du bain, des ondulations. De petits cercles, d'abord bien définis, puis qui s'érodent, qui s'écoulent et s'effacent. Comme le temps, comme le temps...
Je glisse mes doigts sur la surface. J'ai plaisir à m'imaginer le sommet de l'eau tel une surface solide. Mes mains y patinent avec patience. L'eau est douce. Comme ma peau. L'eau sent bon. Son parfum embaume mes cheveux. Mes cheveux. Ces algues gluantes qui recouvrent peu à peu la surface alors que je me laisse couler au fond. Je me laisse submerger, je garde mon souffle. Là où je suis, les sons ne me parviennent plus. Seulement des chuchottements. On hurlerait près de moi, ce ne serait qu'un murmure doux et agréable. Il est triste que je ne puisse y rester qu'un court instant. Emmurée. Dans l'eau.
J'ai changé. Je suis toujours la même. Je suis différente. Les perceptions sont si confuses. Est-ce cela, devenir adulte? L'air frais vient mordre la pointe de mes orteils. Je sors la tête, et j'inspire tout mon soûl. L'air fait mal tellement elle entre vite en moi. Oui, ça fait mal quand ça entre trop vite en soi. Violée par un manque indéfinissable.
Je hais les hommes.
Je suis une femme. Je sors du bain, une traînée de gouttes sur mon passage. Je devrais plutôt dire flaques, même si, essentiellement, c'est du pareil au même. Une flaque n'est rien de plus qu'un amas de gouttes. Et ce n'est que de l'eau. J'ai froid. Ma chair pointe, partout. Ce corps est étrange de sensations. J'ai honte, je suis dégoutante. J'aimerais ne pas ressentir. J'ai froid en dehors, mais j'ai chaud, en dedans.
Je suis une femme, mais je ne veux pas. Je me couvre, et retourne à ma chambre. Aurais-je un peu de répit... Cette nuit?
Post by Sarä Taur'Amandil, OdS - September 28, 2010 at 5:23 AM
Jamais capable de dormir en paix
Dans ce manoir maudit
La marquise Taur'Amandil se retournait encore et encore dans son lit, inlassablement, puisqu'incapable de dormir. Ces insomnies désagréables l'agaçaient sérieusement et plus elle était agacée plus elle ne parvenait pas à dormir. De plus lorsque notre pauvre conseillère réussissait enfin à trouver le pays des songes, elle faisait de bien étranges rêves qui la laissait dubitative à son réveil, à la fois de manière positive et négative. La demi elfe ne l'avouerait pas, mais elle avait encore plus de difficultés à trouver le sommeil depuis que son grand lit était plutôt vide et froid. Son ancien mari avait au moins la qualité d'être confortable...
Enfin bref, Sarälondë était toujours éveillée alors que la jeune femme qu'elle avait prise sous son aile errait dans le manoir. La voix de cette dernière attira d'ailleurs l'attention de Sarälondë. Sakamae se trouvait alors dans la salle d'eau, pièce adjacente à la chambre de la maitresse de maison. La porte était fermée mais la T'sennoise parlait assez fort pour que l'ouïe fine de la marquise saisissent les mot... Ces bien étranges mots.
« Regarde-moi à présent. Je suis une femme et tu es mort. Qui de nous deux aura duré... Le petit singe, ou le veilleur des morts... »
Sarälondë fronça légèrement les sourcils, la tête collée contre la porte et la main sur la poignée mais alors elle n'osa pas ouvrir. Plusieurs longues secondes passèrent avant que finalement elle entende l'agitation de l'eau. L'étrange T'sennoise qu'elle considérait comme sa fille prenait un bain. À cette heure? Voilà qui était tout de même inhabituel. La porte restait fermée afin de préserver l'intimité de Sakamae mais la marquise restait là à attendre le moment où elle pourrait enfin sortir pour avoir une discussion nocturne avec son « enfant ».
Les sons cessèrent enfin et le froissement du rideau marqua pour le départ de Sakamae qui retournait vers sa chambre. Mademoiselle Taur'Amandil pu enfin ouvrir la porte. Bon, la première chose qu'elle constata naturellement était l'espèce de déluge que venait de laisser sa petite adoptée. La demi elfe ne pu s'empêcher de rouler un peu les yeux, elle qui détestait les tâches ménagères s'imaginait déjà en train d'éponger le tout, mais au lieu de s'attarder la dessus et elle continua son pas pour aller rejoindre l'objet de sa curiosité. Notons le, la marquise a faillit se casser le cou en glissant, malgré le fait qu'elle prenait garde, mais elle s'en remettrait assez rapidement... Il y avait plus important.
Quelques instant plus tard, un léger toc toc à la porte de la T'sennoise et la voix claire de Sarälondë...
« Sakamae, est-ce que tout va bien...? Tu es malade? Quelque chose ne va pas? »
Post by Sakamae Nakaki, CP - September 28, 2010 at 5:31 PM
Arrachée des rêves, un cauchemard.
Je referme la porte derrière moi. Un déclic. Je me tourne face à la pièce. Je ne me retrouve cependant plus face à cet univers rassurant. Celui dans lequel je m'enferme si souvent, pour lire. Parfois, je ne sors pas du tout dans une journée. Non. Tout est blanc. Tout. Comme un univers de chaos où le blanc se détache du blanc. Il se déchire, se consume, se refait, comme une tempête, un orage. Un sillement me vrille les oreilles. Je n'ose pas avancer, j'ai peur. Je ne comprends pas ce qui arrive. Loin devant moi, une silhouette tombe, et éclate en de nombreux éclats de blanc. Et de vert. Un vert toxique, qui me donne la nausée.
Elle éclate.
"Toc, toc."
Éclate. J'ai la nausée. Une faiblesse.
« Sakamae, est-ce que tout va bien...? Tu es malade? Quelque chose ne va pas? »
Mes genoux ramollissent, ne me soutiennent plus, ils ressemblent aux tricots que porte Ysen. Je me raccroche à sa voix. Le regard vert toxique. Je me raccroche à sa voix. Ma main pressée sur la poignée, la porte s'ouvre, et je me retrouve à genoux. Une tour de livres tombe partout sur et autour de moi. Trop engourdie pour avoir mal. Ma chambre redevient celle que je connais. Rassurante, bordélique. J'ai encore le regard perdu dans l'autre monde. Je voie bien la silhouette de Sarä qui se penche vers moi. Je dois avoir fait beaucoup de bruit pour qu'elle semble si inquiète. Je veux lui parler, la rassurer, mais j'ai la gorge sèche.
Est-ce que j'ai oublié de manger aujourd'hui, de boire? Ou bien est-ce autre chose? J'arrive à capter la fin de la série de phrases courtes que ma "mère" m'énonce rapidement, et j'acquiesce. Plus par nécessité que par compréhension.
"J'ai... soif."
Post by Sarä Taur'Amandil, OdS - October 7, 2010 at 8:38 AM
Encore une nuit sans sommeil
Dormir c'est pour les faibles
« J'ai... soif. »
Un léger hochement de tête tout en délicatesse et l'ancienne madame Balgor s'éclipsa hors de la chambre pour aller chercher de l'eau fraîche à sa protégée des contrées T'sennoises sans la faire attendre. Dans l'obscurité de la nuit, vaguement éclairée par les lueurs de la lune, la marquise se cogna le gros orteil contre la première table qu'elle croisa histoire de continuer dans sa veine de malchance entamée un peu avant avec sa quasi chute dans la salle d'eau. Sarä pinça les lèvres en fronçant les sourcils pour dévisager dans le noir l'objet de sa douleur et se passa en tête quelques expressions Systériennes qu'elle n'oserait pas dire à voix haute. Décidément les nuits n'étaient pas toujours de tout repos au manoir Taur'Amandil. Si seulement c'était quelque chose d'autre qui rendait ses nuits mouvementées... Mais ça, c'était définitivement une autre histoire qui ne serait pas racontée ici.
Quelques instant plupart, Sarälondë revient avec de quoi boire. Elle offrit à son retour, en plus d'un verre d'eau fraîche, silencieux un léger sourire à Sakamae, vous savez ce genre de sourire qui se veut rassurant mais qui est offert par une personne elle même incertaine que les choses vont vraiment bien. La jeune femme buvait l'eau, maintenant assise sur le lit près de sa mère officieuse. Cette dernière la fixait en silence comme si elle cherchait ce qu'elle pourrait bien dire. Ce n'est qu'au bout de quelques longues secondes que sa voix claire se fit entendre à demi ton. Elles avaient beau être seules à l'étage, les murmures avaient toujours ce je-ne-sais-quoi incitant à la confidence...
« Il n'est plus là. Ce n'était qu'un rêve... Mais je sais que les rêves semblent parfois la réalité.»
Quelques secondes s'écoulèrent et la demi elfe à la chevelure si magnifiquement mouffetée reprit parole avant que Sakamae ne puisse pousser un mot.
« Nous pouvons lire ensemble si tu veux... Nous finirons bien par dormir. »
Une longue nuit en perspective mais cela ne semblait pas déranger la petite dame pourtant considérée comme un des êtes les plus méprisantes de Systéria. C'est à croire que la médecin Taur'Amandil avait un cœur.
Il faut bien quelque chose pour pomper le sang qui nous fait vivre après tout*.
* Sauf dans certains cas de Morts-vivants.
Post by Sakamae Nakaki, CP - December 3, 2010 at 6:17 AM
Les choses avaient bien évoluées depuis cet épisode... et pourtant...
Assise sur la chaise dans le hall d'entrée. L'Étrange s'avança vers la cuisine. Son pas était délicat, silencieux. N'être pas aussi perdue en tous temps, elle aurait entendu les hoquets de sa "mère". L'espace autour d'elle semblait différent. Devant ses yeux, comme des fenêtres sur lesquelles une tempête de pluie déforme le paysage. Avancer à tâtons. Mélancolie, mort dans l'âme.
Et le coeur qui flanche. Main sur la poitrine, tristesse franche. Amour égaré, déchirements, séparation. À jamais, vraiment? Peut-être, dit-elle... Peut-être...
Et la haine. Celle qui empoisonne l'âme. Le vert, tout ce vert. Comme une fumée opaque qui voile la tête, qui remplit les poumons et qui intoxique la vie. Je meurs. Non pas à proprement parler. Je meurs, de douleur.
Mon souffle m'abandonne. Et je m'arrête, un instant. J'écoute. Seule. J'y suis habituée. Mais seule, toujours. Muette parmi le silence. C'est effrayant.
Je serai forte, promis.
Mensonge.
C'est promis, je serai forte.
À demi-vrai.
Adieu, je t'écrirai.
Je t'aime...
Maman.
Sa porte s'était fermée. Elles avaient fait comme si elles se reverraient le lendemain. Mais la jeune t'Sen savait bien que ce ne serait pas le cas. Elle vint s'adosser contre la porte. Une unique larme vint perler de ses petits yeux plissés. Elle ne fut pas secourue, glissa comme un cascadeur sur une baie vitrée, puis vint s'écraser sur la mousse du tapis. Rien de plus. C'était immense. La seule depuis qu'elle avait été emmenée pour la première fois dans ce grand manoir...