Les quartiers riches se désagrègent...

Les quartiers riches se désagrègent...

Post by Thomas Bolton, Emp - November 27, 2010 at 12:39 PM

Quelques semaines avant la publication du décret sur la rénovation de la Ville Haute, le Surintendant se trouvait dans le Manoir Recaedre. Avec son flegme habituel, il gérait les affaires de son épouse qui était demeurée à Zanther pour profiter de son fils, Mavolio Bolton. Les finances de Madame Recaedre devaient être traitées avec le plus grand soin. Elle avait beau avoir perdu son titre, elle n’en restait pas moins riche. Et à ce titre, chaque investissement qu’elle avait effectué devait être surveillé avec une grande attention. Son regard sévère plongé dans les registres comptables, le duc travaillait donc avec l’extrême concentration dont il savait faire preuve sans beaucoup de difficultés. Ca aurait pu durer des heures, mais le destin en décida autrement.

Enfin, parler de destin est un peu présomptueux. Parlons plutôt d’architecture et d’érosion.

Quelle ne fut pas sa surprise, donc, quand une plaque de plâtre se détacha du plafond et alla s’écraser juste devant le bureau. Un nuage de poussière envahi la salle, recouvrit les feuilles du petit arbre de Tsen d’une pellicule blanche et laissa échapper une toux à notre austère zanthérien qui fronça les sourcils. Calmement, il reposa les documents qu’il examinait et s’écarta du centre de la pièce. Cet événement peu commun continua avec un grondement sonore et puissant dans le couloir. Attrapant sa canne d’un geste vif, le premier ministre quitta la pièce promptement et trouva dans le couloir une dizaine de fissures qui venaient d’apparaître.

« Mathilda, veuillez faire venir l’architecte du quartier, je vous prie. », ordonna-t-il à la gouvernante qui se pressa de faire envoyer une servante.

A peine une demi-heure plus tard, un homme richement vêtu se présenta à la porte du Manoir. Faire attendre l’homme le plus important de l’Empire n’était pas une bonne idée, aussi avait-il quitté son atelier à toute vitesse, prenant à peine le temps de confier ses instructions à ses apprentis. Sa Seigneurie lui désigna avec sa canne les fissures et le plafond dont le plâtre s’était détaché. L’homme se mit rapidement au travail pour établir un premier diagnostic qui permettrait de se faire une idée globale de la situation.

« Hmm… C’est exactement ce qui arrive chez la baronne de Talenbert, un peu plus loin sur l’avenue. J’ai remarqué les mêmes fissures chez le marquis Thébland. Le quartier est en train de tomber en ruine, Votre Seigneurie. »

Le Surintendant assimila les informations sereinement, hochant la tête. D’un ton monocorde, il demanda à l’expert :

« Savez-vous ce qui est à l’origine d’un tel phénomène, Tralles ? »

Richard Tralles haussa les épaules, réfléchit un moment puis haussa à nouveau les épaules.

« Je pense que c’est lié à l’acidité des sols. Ca attaque les fondations et le marbre est particulièrement réactif à tout changement géologique. Je doute qu’il soit possible d’enrayer le problème. »

« Quelle solution préconisez-vous ? »

« Je vous demande une semaine, le temps d’étudier le quartier de fond en comble et de faire une analyse complète. Je vous remettrai ensuite mes conclusions, Votre Seigneurie. »

Le bruit courait que le duc était un homme rigide qui n’acceptait pas d’attendre. C’était faux, bien entendu et il le prouva une nouvelle fois.

« Vous l’avez. Je vous laisse disposer. »

Après cet échange, une semaine passa. De nouvelles fissures apparurent dans les murs du Manoir Recaedre comme dans d’autres demeures du quartier de la Haute-Ville. A la vitesse où le problème avançait, l’Ordre du Soleil aurait bientôt une ruine à protéger. L’accélération brutale du problème prouvait que les causes latentes devaient être à l’œuvre depuis de plus d’une année. Et personne n’avait rien vu, ce qui était en soi tout aussi préoccupant. Une semaine après, donc, l’architecte revint. Le temps pour le premier ministre de développer quelques idées.

« Voici mon rapport, Votre Seigneurie. Je vais le résumer : il s’agit bien de l’acidité des sols. La plupart des résidences et commerces de la Haute Ville vont devoir être rasés. Certains sont épargnés, d’autres moins touchés, je pourrais agir à la source et renforcer les murs porteurs. Pour les matériaux de construction, je préconise de la pierre brute, mais taillée qui résiste mieux à une acidité extrême. Ce sera pour le rez-de-chaussée. Les étages, quant à eux, seront un mélange de plâtre et de boiseries, c’est beaucoup plus léger, le poids sera moins important sur les fondations. Ca permettra de percer de plus grandes fenêtres et de faire entrer plus de lumières. Ces maisons dureront plus longtemps. »

Le seigneur Bolton écouta l’exposé avec attention, les bras posés sur les accoudoirs de son fauteuil. Lorsque l’architecte eut terminé, il lui confia des instructions supplémentaires.

« Je vous charge d’organiser les travaux pour démolir, rénover, reconstruire. Sa Majesté et moi-même souhaitons cependant faire de ce futur quartier un centre économique et financier extrêmement développé. Nous ne voulons pas une prolifération de petites maisons comme c’est le cas. Nous voulons de larges manoirs, des places esthétiques, des commerces novateurs. J’attends vos plans dans la semaine. Une objection ? »

La dernière question fut posée pour la forme. Etant donné l’expression antipathique affichée sur le visage du Surintendant, il aurait été malavisé de refuser.

« Aucune. »

Et à nouveau, une semaine plus tard, les plans furent déposés sur le bureau du Surintendant qui les accepta après les avoir examiné minutieusement. Dès cet instant, les travaux commencèrent : la Ville Haute était prête à briller de nouveau sur la capitale, après des années de discrétion…