Le monastère

Le monastère

Post by Hydre - June 17, 2011 at 4:38 AM

Sous les gouttes de rosée souffle le tintement d'un carillon.

Voici l'épopée d'un lieu muet, ignoré. Havre de paix pour d'innombrables races d'oiseaux, retraite pour quelques personnalitées en marge de la société. L'on prête surtout des histoires de messes et de méditation au monastère. Ce n'est pas tout à fait faux, sauf que...


Les premiers rayons du soleil viennent se diviser dans la goutte de rosée qui s'est formée dans la courbure d'une feuille de trèfle. Admirablement, le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo et le violet se séparent l'un de l'autre pour tracer dans ce jour naissant une escadrille colorée. Avec la lumière qui, timidement, fait son apparition, la fraîcheur se creuse un chemin parmis les rampants qui retournent se terrer, au creux d'un gouffre humide. Les ombres rétrécissent, très doucement, et avec cette lueur naissante apparaît le chant de la vie. D'abord, c'est le sillement que produit les ailes des moustiques, que j'entend. Puis, s'en suit de quelques gazouillements d'un merle, du chant d'un coucou, de la tirade d'un cardinal, et puis l'orchestre de tous les autres oiseaux. S'additionne le cri du grillon, puis, officiellement, le jour est levé. Ainsi se dessine un matin ordinaire autour des murs de pierre du monastère de Systéria.

À l'intérieur, un peu avant que l'agitation du dehors ne soit absorbée par le roc des murailles, un chant vrombit avec majesté. Comme un écho magique, la voix d'un groupe monial s'éleve à l'unisson pour célébrer la grandeur de Thaar. Tous assis dans la cours intérieure de cette forteresse religieuse, on les prendrait pour des statues si ce n'était du frémissement de leurs lèvres. Rien ne saurait les troubler. De la cuisine s'échappe des tintements d'ustensils. Le repas en préparation laisse sortir des parfums modestes qui, pourtant, annoncent un repas qui saura combler chaque appétit vivant sous ce même toit. Le monde reprend vie, à l'intérieur. Et je retiens mon souffle.

Sous mes mains reposent les instruments lisses que je nettoie une énième fois. Ces instruments précieux, qui, un peu plus tôt dans l'histoire Systérienne, appartenait à l'une des âmes les plus bonnes de ces landes. La mère Prieure n'avait pas le profil d'un héros. Et pourtant, ses accomplissements dans ces murs étaient grands. Je les regarde encore et me rappelle que j'ai abandonné depuis fort longtemps désormais ma vie d'exhubérance, de richesse, d'opulence pour une vie plus simple et candide. Un râclement de gorge me ramène au moment présent. J'ai un invité inattendu. L'infirmerie était vide, il y a un moment à peine. J'ignore si c'est mon thé qui est prêt, ou bien si l'on me ramène un malade, un blessé ou encore simplement un curieux. Mes mains entrent par ce qui est devenu une habitude, dans les manches de ma trop longue toge. Je me tourne. Mes vêtements, rudes, exécutent une hymne de froufrous et je soulève mon visage voilé vers l'âme qui, volontairement ou non, a perturbé ma tranquilité.

"Que puis-je faire pour vous...?"


Post by Hydre - June 22, 2011 at 11:18 PM

Corps contre camphre.

Il se réveille avec ce mal qui l'habite encore et encore. Depuis un moment déjà que son nom avait disparu de la circulation: Mort enfin?

"Cela aurait fait sans doute plaisir à cette garce de demoiselle Eäm'Arylth. Son odeur me répugne autant que sa voix, et ses manières sont aussi grossières qu'un porc mangeant dans son auge."

Non. Il avait utilisé une carte magique que peu de gens connaissaient, l'invisibilité. Payer des messagers d'un jour pour lui ramener à manger. Sortir la nuit, déguisé. Humer l'air frais tandis que la journée il restait cloitré dans les profondeurs de ses draps. Tissus légèrement soyeux, seul confort que sa vie austère lui permettait. Mais aujourd'hui il se laissait aller tout doucement dans un décès. Tranquillement, ses pensées lugubres grossissaient autant que la tumeur à sa tête. C'était ça la vieillesse. C'était ça d'être mal né, mal aimé.
Les amis disparaissaient, ou la force d'aller les voir se perdait. Le moindre mouvement est un supplice. La guilde sombre, une plaisanterie, depuis que sa muse, sa démone et la main en étaient partis. Il avait pourtant planifié son départ avec Elle, mais la maladie aurait eu raison de lui.

"Mourir en Systéria c'est bien moche, si je pouvais faire souffrir une personne ou deux avant cela, j'en serais fort heureux."

Et c'est trois jours après, trois longs jours de marche, trois claquements pour un pas de fait. Trois petits chats, morts sur le chemin, trois enfants choqués de voir seulement sa main, trois coups de frappés aux portes épaisses de la bâtisse reclus, le monastère.
Le coeur du pauvre homme battait trop fort, il voyait trouble, même noir avant de s'effondrer contre la porte.

"Allez résiste encore."
"Meurs."

Sa main moite s'appuie contre la poignée pour s'engouffrer dans ce lieux d'encens et de sobriété. Il avance, sans faire trop attention autour de lui, laissant derrière ses pas l'odeur forte de camphre. Le mouvement qu'il provoquait faisait bouger très faiblement la flamme des bougies, dont la fumée s'élevait en osmose avec les chants autour de lui. Il bifurque dans un couloir, personne ne pose de questions. Car si la mère prieuré était morte, c'était sans doute lui qui en avait fait beaucoup pour le monastère les années précedentes, et tous le savaient.
Il passe alors une porte, se retrouvant devant la créature aux manches longues et au visage couvert.

"Que puis-je faire pour vous?"

"Il est temps pour vous, de faire ce que je vous ai de...."

S'effondrer avant d'avoir pu terminer sa phrase, à elle de deviner... un bouquet de camphre à ses pieds.


Post by Hydre - June 23, 2011 at 3:25 PM

Hymne à la mort.

Je lève mes yeux, et pendant que mon mouvement se fait ascendant, le corps de mon inconnu descend. Je vois sa silhouette s'effondrer comme une poupée de chiffon, sur le sol de pierres fraîches. Une phrase à peine sussurée un peu avant.

Je reste observatrice, pendant quelques secondes.

Je savais, intérieurement, qu'un jour, cela arriverait. Mais j'ignorais que ce serait aujourd'hui. La mort avait-elle ramenée avec elle cette pauvre créature négligée des Dieux? J'ai fermé les yeux et j'ai rejoué le tout en tête. La chorale des moines en écho, les bruits de pas traînants, le froufrou de mes tissus, la phrase murmurée, le fracas d'un corps sur le sol.

Doucement, je m'incline. J'ai touché ce corps pur. Ignoré par les demoiselles et les demoiseaux. Comme il était laid, et comme sa laideur le rendait beau, touchant. J'ai touché son coeur, ses mains, sa joue. Une caresse infinie. On aurait vu pareil d'une mère qui aurait bordé son fils. Et en tête repassait cette voix dont le souffle le quittait.

"Il est temps pour vous, de faire ce que je vous ai de...."

Comme il est curieux de constater que la Mort passe comme bon lui semble. Venir interrompre les dernières volontées d'un être malade, reprendre un intendant impérial lors de son impérieuse expulsion naturelle, voir mourir le plus grand des assassins du plus parfait des nectars dans sa coupe, ou encore un roi être poussé du haut de son balcon... La Guerrière du Dernier Moment n'a que faire des conventions. Elle vous touche au moment où elle le souhaite, dans la position qu'elle vous souhaite. Au fond, peut-être a-t-elle un immense sens de l'humour, si humour se trouve dans l'acte de quitter la vie. C'est tout naturel, après tout, une étape primordiale dans l'unité du cycle. Mais à ce moment précis, il lui avait été permis de me rejoindre, d'accomplir sa rédemption jusqu'au tout dernier moment. Mais comme on se joue d'un pantin, son apogée lui a été coupée, tel le fil de la vie.

Une couverture solide, blanche et propre. Je l'ai glissée sous mon visiteur. J'ai pris soin de l'installer dessus, à écouter si un dernier râle pourrait en sortir. Mais comme j'avais convoité la mort toute ma vie, je m'en étais fait une bonne amie, le trépas de mon patient ne m'effrayait pas du tout. Et, mine de rien, je croyais bien avoir compris ce qu'il avait voulu me dire. Je glissai donc mes courtes lèvres en forme de coeur près de l'oreille de Mon mort et lui sussurai ceci:

"N'ait craintes, mon ami, ils seront contactés..."


Post by Hydre - June 23, 2011 at 10:09 PM

L’apaisement

Sentir votre corps ne plus vous appartenir et rester conscient. Paralysie.
Votre mâchoire veut s’ouvrir mais une force supérieure à celle de votre minable cerveau s’y oppose. Cette force s’appelle le dysfonctionnement neuronal. Sentir votre odorat et votre ouïe se décupler lorsque les lèvres s’approchent de vous. Vos sens sont en alertes, et vous n’en perdez pas une miette. Vous ne pouvez plus bouger. C’est une mort programmée. D’abord vos muscles puis après votre âme viendra suivre le mouvement.

« Il perd le contrôle de lui-même. Je le prends en moi, je le grignote depuis des années, c’est l’apogée de sa souffrance. »

Cette petite voix qu’il aurait voulu faire taire s’amplifiait alors que la novice lui susurrait à l’oreille une phrase. Laquelle ?

« …crainte…amis…contactés »

Ne pas les contacter, pas eux. Ils se fichent du système, ils ne pensent qu’à copuler pour le plaisir. BOUGE.

« Non, il restera immobile, je prend le contrôle, cela fait trop longtemps que j’erre dans son être sans en prendre le pouvoir. Son règne est finit. Il ne s’appartient plus désormais. »

D’abord un ralentissement du pouls, puis de la respiration. Tranquillement la souffrance de la voix s’installait en lui comme la gangrène. Cet instant contre son oreille lui paraissait interminable. L’Homme sentait parfaitement le souffle de cette femme de l’ordre contre sa peau. Instant exquis qu’il aurait demandé à l’infini. Il fallait réfléchir, déjà sa jambe gauche lui paraissait inexistante.

« Péris… meurs… succombes… abandonnes… souffres»

La voix résonnait effroyablement dans son crâne, il avait l’impression qu’une chorale dans une immense cave s’égosillait. La sueur goutait le long de son visage comme la pluie le long d’un vitrail. Mais il avait vécu pire. Elle ne comprend pas : Ce n’est pas avec quelques gouttes qu’on pouvait le tuer alors qu’une l’avait rendu plus fort. Alors l’Homme revenait à lui-même, sa main moite et glacée agrippait le bras de la Novice comme un noyé s’aggrippant à la branche d’un arbre pour se sortir du néant.
Ses yeux s’ouvraient alors, la pupille marron dilatée était injecté de sang. Affolée au départ, elle s’apaisa en reconnaissant le visage en face.

« Je n’ai pas peur de la mort. Elle s’amuse depuis trop longtemps avec lui, elle aime ça… Je ne veux plus jouer mais elle si. Mon amie, quand est ce que je pourrai trouver repos ? »

Sa bouche était sèche et pâteuse et il regardait autour de lui. Combien de temps la voix avait elle joué avec lui ? Quelques heures ou la journée entière, l’Homme ne savait plus. Ses bras viennent trouver réconfort dans l’épais tissus de la servante du monastère, son corps aussi fragile que du verre, son esprit aussi puissant que celui de leur mère.

« Je veux que vous m’aidiez… je veux terminer mes jours ici, à vos côtés… »

Cet être qui paraissait le plus commun du monde prenait son temps pour terminer sa phrase, sa respiration devenue calme aux côtés de la femme. Elle pouvait le sentir plus froid que la plupart des êtres sur cette terre, elle pouvait le sentir mourant. Imaginer dans le cœur de cet être le fil de la mortalité, soutenant un long diamant encore scintillant, mais qui s’use.

« Promettez-moi une belle mort, car je sens qu’un simple poison n’aura aucun effet. »


Post by Hydre - June 26, 2011 at 4:31 PM

L'un immergé, l'autre submergé...

Le noyé remonte à la surface et je suis sa bouée. Sa poigne s'aggrippe à ma toge. Je sens les replis de tissus presser contre mes épaules. La rugueur m'irrite la peau. La panique de cette pauvre âme égarée me rend triste. Non, ce n'est pas de la pitié. La pitié est un sentiment qui nourrit les êtres faibles. L'émotion qui m'envahit est beaucoup plus riche. Je soulève les mains, pour soutenir les siennes, qui s'aggrippent à moi dans un geste de désespoir. Et le haut de son corps glisse ainsi, tout contre ma poitrine. Il trouve refuge au creux de mes bras comme l'aurait fait mon fils. Mon coeur est inondé d'une douce douleur. Ce mourrant, là, contre moi. Je ferme mes bras autour de son chétif squelette et c'est à ce moment qu'il m'adresse à nouveau la parole.

« Je veux que vous m’aidiez… je veux terminer mes jours ici, à vos côtés… »

Les aiguilles de l'horloges semblaient s'être suspendues dans le temps. Chaque déclic se déclaraient avec de plus en plus de lenteur. Le souffle de ce pauvre être en mal d'amour reprenait son cours normal. La froideur de son corps, la chaleur du mien, cette brillance dans son regard. Un diamant brut. En les taillant, on leur retire une solide couche. En les "perfectionnant" on les divise, on les dépurifie. On les souille. Je glisse ma main contre le visage émacié de cette pauvre chose. Si maigre, si faible et si forte à la fois.

« Promettez-moi une belle mort, car je sens qu’un simple poison n’aura aucun effet. »

Une demande cruelle. Mais la vie est faite ainsi. J'étreins une fois de plus cette âme qui a cherché refuge au creux de mes bras. Des larmes s'échappent de mes yeux. De ces gouffres amers, noirs et profonds. Je les ferme, laissant tomber cette immensité humide sur le crâne de mon mourrant et, dans un souffle, je lui assure:

"C'est promis..."

Tic

J'inspire.

Tac

J'expire.

Tic.

J'inspire à nouveau.

Tac.

Le temps s'arrête. Empathique. J'ai mal au fond de mes entrailles. Comme si des milliers de vers me dévoraient de l'intérieur. Je fais le mal... pour le bien. Pour le bien. Est-ce tout ce que l'on doit retenir? Dans la nature, il aurait été dévoré vivant par les prédateurs. Sinon, par les insectes. La voix des moines berce encore le matin. Les bruits de cuisine montent. J'entends la préparation de la soupe. On pourrait même la sentir, si tout ce camphre n'était pas si omni-présent devant ce couple chaste. Et je répète, de manière à peine audible:

"Promis..."


Post by Hydre - June 28, 2011 at 12:12 AM

Le soupir.
Le souffle de l’agacement, ici de l’apaisement. Insuffler l’air, remplir ses poumons jusqu’à leur apogées. Puis se vider, des mauvaises pensées, de la tristesse, de la souffrance et des poisons aspirés.
Il vous suffit d’un soupir pour que votre vision du monde change. Avant des pleurs, après un décès, il vous aide à surmonter les épreuves d’humiliation. Dans ses bras, dans tes bras, ce soupir est une libération.

Tic
Il presse son visage contre son corps. L’eau qui coule contre sa peau est bénie.

Tac
Sa main squelettique vient rencontrer le lourd tissu de la capuche. Elle l’enserre avec lenteur et douceur, car le temps c’est figé, la vie.

Tic
Il l’abaisse et lève son visage vers elle. Après toutes ces années, c’était comme une nouvelle rencontre. Contre toute attente les gouttes salées luisaient et roulaient en harmonie.

Tac
Les larmes d’une femme sont la rosée du matin. On la recueille avec attention du bout des doigts, trésor interdit.

Il veut lui parler, mais que voulez-vous, l’homme est assez faible pour succomber au visage féminin. Il ouvre la bouche puis la referme. Non il n’est pas faible. Revoir une ancienne amie dans cet état avait quelque chose de différent. Ils n’étaient plus. Ils avaient changé. Faire le mal pour le bien, un bien pour un mal, mais le mal existe chez les gens bien, et plus qu’ils ne l’avaient cru. Il assumait cette perte de confiance, elle était là pour ça. Elle ne se moquerait pas, elle ne l’a jamais fait.

« J’ai besoin d’une bassine, d’eau froide et de quoi me laver. Je me sens sale. Est-ce normal ? »
Son esprit petit à petit reprenait le contrôle et il laissait son démon dormir au fin fond de son crâne. Il était intelligent, du moins l’avait il été à une époque. La torture qu’il subissait était autre, et la novice ne tarderait pas à en savoir l’origine.
Enfin alors, il se détacha avec regret de cette étreinte, la toute première qu’il eu avec quelqu’un. Peut être la dernière. Sa main gauche fouilla un instant dans son vieux sac rapiécé, pour en sortir un objet scintillant orangé. Il vient lui prendre la main, accrocher le métal fin autour de son poignet.
« KH »
Il se détourna ensuite, un court instant. Le soupir, signe de lassitude, ou de regret. Oui, du regret.

« Ils avaient enfermé ça avec le reste des affaires, au fin fond d’un coffre. »
Et de nouveau un soupir, enfin, l’agacement.


Post by Hydre - June 28, 2011 at 9:30 PM

Les ondulations de l'eau

Le bijou à mon poignet. Ma main est pesante comme si on y avait posé une montagne. Un arrêt. Je sombre dans mes songes.


Tranche de vie.

La cuisine est voilée d'une brume d'odeurs. L'encens de bois de santal, la vapeur de nos thés d'herbes des bois côtoyés d'un rhum bien sec dans un gobelet de bonne facture. Les cheveux blonds descendant un peu sur son visage, son sourire mystérieux, le tatouage autour de son oeil avisé. Ses mains qui secouaient habilement les cartes. Sa langue qui roulait les "r" lorsqu'elle lisait la prémonition du tarot. La jupe à volants dont les replis étaient montés contre ses genoux, les bracelets à sa cheville qui tintaient un rythme interdit. Le chant de sa flute désormais éteinte, désormais éteinte...

Gitane.

Lointain passé douloureux.


Je me sens sale aussi. Il le sait. Il le sent. Nous avons perdu l'amour de notre vie. Il y a bien longtemps. J'aurais dû, j'aurais pu... mais ne l'ai pas fait.

La douleur de mon ami me rejoint. Une symbiose. Ce que deux personnes ayant beaucoup vécu peuvent partager. Inutile de parler. Inutile de crier ou de pleurer. Il est de ces gens qui se connaissent au point de pouvoir comprendre en lisant dans le regard de l'autre.

"C'est normal, mon ami, de te sentir sale, c'est normal, car je me sens ainsi, moi aussi..."

Je le dépose sur une civière de l'infirmerie du monastère. Il est léger. Même pour moi. Je le regarde encore, comme si ce fut la dernière fois. Bien que je sais qu'il sera encore présent à mon retour. Je ne veux plus rien manquer, oublier ou masquer. Tant de choses futiles ont eu de l'importance par le passé. Tant c'est devenu inintéressant et redondant désormais. Je le quitte sans parler davantage. Son souffle est trop précieux pour que je le gaspille à des conventions inventées pour satisfaire la vanité de l'Homme.

Mes pas résonnent dans ma tête, contre ma mâchoire. Je sens la mollesse de mes bras trembler. Pourtant je ne suis vraiment pas grosse. Mon pas est lourd. Un autre me quittera.

Dans le jardin du monastère, les oiseaux chantent. Quelques rayons percent et descendent jusqu'à se baigner dans le puits, où je puiserai l'eau moi-même. Je m'arrête un moment. Mon coeur est lourd. En avoir la possibilité, je m'effondrerais au creux de bras solides. Je pleurerais toute la tristesse qui a suivi mon parcours. J'avouerais tous mes péchés, j'aurais l'humilité d'admettre toutes mes fautes et celle de voir mes bons côtés. Les rayons entrent dans l'eau du puit. En y pénétrant, ils se mettent à créer des ondulations chatoyantes, mais je trouble cette Lumineuse beauté en y plongeant un vieux sceau. Et lorsque j'en ressors le bras, les gouttes qui s'échappent rejoignent l'essence mère de leur nature. Comme les âmes de ceux qui ne sont plus...

Ils créent des ondulations.


Post by Hydre - June 29, 2011 at 9:23 PM

« Lorsque la fin vient, l’on se surprend à fermer les yeux, et notre vie défile comme une mauvaise série, avec de mauvais acteurs. Notre rôle est principal puisque c’est celui de notre vie. Sauf pour moi, je ne suis même pas le second rôle pour moi-même. Mais le souffleur, celui qui écoute, qui retient et qui répète. Le fauteur de troubles. Je suis l’effet papillon. J’aime les petits plaisirs de la vie comme s’il s’agissait d’une épopée fantastique. Mais après tout, la découverte d’une fleur aux reflets d’or ne vaut elle pas celle d’un dragon ? Ne faut il pas être aussi doué pour torturer un corps que pour peindre une toile?
Je crois que si.Tout est une question de point de vue. Profiter de la brise du vent, du parfum, de son parfum, est une douce dépendance aussi forte que les drogues dures.

Les pions vont au front. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont des marionnettes, dirigés par des égocentriques riches, abusant de leur pouvoir pour faire dans leur dos les pires obscénités de la société. La société, mais quelle étrange phénomène auquel je n’arrive pas à adhérer. C’est plus qu’un nom de ville, c’est l’ensemble des relations entre les guildes, officielles ou secrètes. Quand l’une tombe dans la déchéance, elle entraine toutes les autres avec elle, et c’est le déreglement total. Le chaos. Mais n’est ce pas ce que nous avons toujours désiré ? Je crois que je me suis trompé. Je n’ai jamais eu besoin de croire en notre mère ou en notre père, pour que l’homme provoque sa perte. Le fait d’y croire, c’est se rendre compte de notre propre pourriture.

Ils arrivent à assassiner des milliers d’orcs, à en faire un tapis de sang et de boyaux, mais ils sont choqués dès que quelques enfants sont morts entassés dans une maison. L’Homme est hypocrite, hypocrite, hyyypoooocriiiite. »

C’est ainsi que la mort de ma chère gitane provoqua le renversement et le déséquilibre autour de moi. »

Il ferme les yeux, pour une fois qu’il était en accord avec son démon. Allongé sur la civière, il avait noté sur papier ses paroles, car elles seraient importantes pour la novice. Une rédemption, un testament, un épanchement, lui qui n’avait jamais rien dit.
Sa main était fébrile, voir cassante, mais les mots sortant de l’encre étaient limpides et la lettrine appliquée. Le temps qu’elle aille à la fontaine, qu’elle remplisse son sceau, qu’elle lise dans l’eau et il laissait glisser ses doigts contre le parchemin rude.

« Je n’ai plus cru en rien après sa mort. Je n’ai plus eu aucun choix car sur ma tête planait la dague de ses assassins. Ironie, je ne crains pas la mort. Plusieurs fois ils ont essayé, mais en vain. J’ai longtemps regretté de n’être qu’un sujet de conversation, de dégout, mais aujourd’hui je sais que j’ai accomplit bien plus. J’ai permit la libération d’un peuple. Celui qui vous a tout appris et les autres seront libres grâce à un antidote sans effet secondaires. »

Il s’arrête, il se sent faiblir, et met le parchemin de côté. Il entendait son pas revenir, ses yeux noirs venaient alors trouver sa silhouette. Il s’essaya un sourire rassurant, mais peu convainquant.

« Il est tout de même amusant de savoir que nous ne serons pas mieux ailleurs que dans la maison de Thaar, n’est ce pas ? A la fois une prison et une protection. Je vous remercie pour l’eau. J’ai des nouvelles de votre famille, si vous le souhaitez. Mais je crains qu’elles ne soient pas très bonnes. »

De ses doigts fins, il vient plier le parchemin, et lui tendre. Ecrit inachevé, mais bien utile. Car notre Homme n’avait plus la force d’autrefois pour parler, alors elle pourrait lire ses mots, et y répondre à sa guise. Pour la suite, le tutoiement s’imposait.

« Ta descendance est un échec total… Elle est une honte pour ta famille. J’en ai honte moi-même, elle me dégoute et ternis tout sur son passage, la splendeur, la femme, même le tissus qu’elle porte, pourtant de qualité, est une immondité tellement ça pue l’opulence. J’en suis navré de te dire ça ainsi, mais ça me porte sur le cœur, moi qui ai entendu battre son cœur à travers ton ventre. »

Il vient essorer un morceau de tissus dans la bassine, s’épongeant son front. Qu’il avait mal. Puis il releva la tête de nouveau ce regret dans son regard.

« Je… suis désolé… de n’avoir pu faire autrement… »

Une tête qui se baisse alors et un silence.