Migraine et résolution

Migraine et résolution

Post by Samuel Vance, Ind - March 18, 2012 at 11:04 AM

Minuit était largement passé, mais la plupart des tavernes en Basse-Ville étaient encore ouvertes, avec leur lot d’habitués, imperturbables piliers de comptoirs, capable de braver la bise et la tempête pour aller se désaltérer de plusieurs remontants, mais incapables de faire preuve de la même prouesse lorsqu’il s’agissait de se rendre au travail. Ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce soir, c’était un homme, attablé dans la grande salle de la Rose Cendrée. Dans cette même salle stagnait une épaisse fumée émanant des pipes sur lesquelles tiraient encore avec ardeur de vieux ivrognes. Les serveuses, fatiguées, commençaient à en avoir assez, mais il n’était pas encore l’heure de fermer boutique.

Dans un coin, un homme d’une quarantaine d’années sirotait un whisky de mauvaise qualité – mais qui avait au moins l’effet escompté, à savoir vous esquinter directement les neurones à la première gorgée, si petite soit-elle. Mal rasé, il avait les cheveux coupés court, châtain mais avec des tempes poivre et sel. Bref, il avait dans les quarante mais en paraissait cinquante. Une peau burinée, marquée par des rides d’expression. Ses vêtements avaient dû être propres et de bonnes factures, mais c’était il y a longtemps. Ce devait être le genre d’homme qui gardait dix ans les mêmes affaires, à moins qu’il ne soit tout simplement fauché.

« Un autre ! », aboya-t-il à l’adresse d’une jeune femme.

Il était loin d’être aimable. Mais elles ne lui en voulaient pas. C’était le stéréotype typique de l’homme ravagé par quelque démon intérieur. Et ça, elles en voyaient à longueur de temps.

« Sam, c’est pas sérieux. C’est déjà le sixième. », le réprimanda doucement la serveuse.

Samuel sortit de sa poche une bourse, relativement peu remplie mais suffisamment pour se payer encore plusieurs verres de ce whisky frelaté. Il la fit tinter bruyamment.

« J’ai encore de l’argent, tu en as encore dans ton stock, je crois qu’on peut arriver à un accord, non ? », répondit-il sèchement.

La fille leva les yeux au ciel, soupira et se résigna à accomplir ce pourquoi on la payait. Alors qu’elle se rendait au bar, un bûcheron aux limites de l’obésité lui donna une claque sur les fesses et la tire vers lui pour l’assoir de force sur ses genoux.

« Hey ! », protesta-t-elle en essayant de se libérer de l’emprise du malotru.

« Allons ma jolie, c’est aussi pour ça que t’es payée, fais pas l’innocente ! »

Samuel observait la scène. Sous son crâne, les quelques rouages qui fonctionnaient encore se mirent à crisser très lentement. La conclusion de cet exceptionnel exercice lui sauta aux yeux. Il avait beau être un ivrogne, il n’en était pas moins droit dans ses bottes. D’un geste sec, il rejeta la tête en arrière et tenta de capturer les quelques gouttes qui restaient au fond de son verre et se releva en croisant les bras.

« Laisse-la, Childeric. C’est pas une façon de traiter les demoiselles. », tonna-t-il en essayant de se donner de la contenance.

Oh, Samuel avait été soldat par le passé, ça pouvait se détecter pour un œil avisé, même si les années et l’alcool avaient ravagés sa silhouette. Les épaules carrées, il n’en demeurait pas moins malingre. Ses muscles avaient fondus en grande partie. Le bûcheron le fixa un moment et éclata de rire. La serveuse en profita pour se carapater. Sam s’approcha alors vivement de lui et lui décocha un coup de poing en plein visage. Il accusa le choc tant bien que mal puis finit par reprendre ses esprits. Du haut de son mètre 90, il se releva.

Dans quel pétrin est-ce que je me suis encore fourré ?, pensa Samuel à ce moment précis.

Il n’eut pas le temps de trouver la réponse, s’effondrant au premier coup que l’obèse lui décocha dans la mâchoire.

Puis ce fut flou.

Jusqu’au lendemain matin, où il se réveilla avec une migraine épouvantable. Il avait réussi à revenir chez lui, visiblement. Quelques flashs lui revinrent en mémoire, titubant dans la rue, arpentant les ruelles en tentant de repérer son chemin. Heureusement qu’il connaissait la ville comme sa poche !

Il se dirigea vers la bassine qui lui servait à faire sa toilette et s’aspergea le visage. En relevant la tête, il aperçut son reflet dans le miroir. Une vision d’horreur ! A sa peau burinée, marquée par de profondes rides d’expression au niveau du front et du coin des yeux, à sa barbe grisonnante mal rasée, s’ajoutait maintenance des yeux bouffis et rougis par l’abus d’alcool et le manque de sommeil. Une vision qu’il voyait souvent.

Mais ce jour-là, sans trop savoir pourquoi, elle provoqua un déclic.

« Bon dieu mon vieux, serait peut-être temps de te bouger. »

Il passa sa main droite sur son visage fatigué, se pince l’arête du nez et tenta de reprendre ses esprit.

« Grand temps de te reprendre en main, mon vieux Vance. », se dit-il en se fixant toujours dans le miroir.

Cet homme était droit dans ses bottes, mais l’alcool l’amenait à en sortir souvent et c’était-là un bien épineux problème. Oui, après toutes ces années, il était grand temps de se reprendre en main. Malheureusement pour lui, ça ne serait pas si facile…