L'amnésie transcendante d'un poussin

L'amnésie transcendante d'un poussin

Post by Élaine d'Amaury, AdC - May 10, 2012 at 6:05 AM

I. Que dois-je comprendre ?
Ambiance !

Elle s'éveilla, d'elle même, dans son lit. Sa stupeur ne manqua pas d'apparaître lorsqu'elle s’aperçut qu'elle n'était pas dans sa chambre. À vrai dire, elle ignorait tout à propos de sa véritable chambre, si véritable chambre il y avait. Cet endroit lui était, au premier regard, inconnu ; cependant, quelque chose de familier y errait. En se levant, elle put examiner plus amplement l'endroit où, vraisemblablement, elle avait passé la nuit.

C'était une pièce modeste. Les murs étaient en bois, un bois d'une qualité bien discutable. Hormis le petit lit, il y avait une armoire, une table, une fenêtre due pour un coup de chiffon, et une porte. D'ailleurs, sur la porte, il y avait un bout de papier. Elle s'en approcha, calée dans suffisamment de perplexité pour le faire avec prudence. La note allait comme suit.

Mon poussin s'est réveillé ! Enfin !

Nous allons, toi et moi, avoir autant de plaisir qu'autrefois, sinon plus, je l'espère.
Première chose, prend la clé sur la table. C'est la clé de ton navire. Car, oui, tu possède un navire ! Il se trouve au port, tu n'as qu'à demander à un marin où il se trouve. Il répond au doux nom de Voile Ghoulique. C'est effrayant, je te l'accorde. Tu en feras ce que tu voudras.

Une fois à bord, ouvre la cale. Tu y trouveras divers objets, dont un uniforme masculin de la Confrérie Pourpre, un trousseau de clé pratiquement complet de la Confrérie Pourpre, un foulard de l'Ordre du Soleil, un chapelet en or à l'effigie de Thaar et d'autres clés que je ne nommerai pas, pour ta sécurité !

En fait, vide la cale, tout simplement. **Balance tout par dessus bord. **

Prochain arrêt, la banque. Demande les indications si tu ne te souviens plus du chemin. Une fois là bas, tu n'auras qu'à te nommer pour qu'on t'amène tes avoirs. Avoirs est un terme juste, car tu ne possède rien de moins que 180.000 écus. Une belle petite somme. Tu en feras ce que bon te sembleras.

D'ailleurs, si des gens t'abordent, prétendant te reconnaître, ne leur accorde pas d'attention. De toute manière, je doute qu'ils soient encore nombreux.

Peut-être te parleront-ils d'une Goutte ; **ne tend pas l'oreille à leurs folies. **

Bonne chance, mon poussin.

L'état de confusion dans lequel elle trempait déjà ne fit que s'approfondir après la lecture de cette étrangeté. Un peu déboussolée, elle rassembla ce qu'elle croyait être ses effets personnels, s'empara de la clé, et quitta la pièce. De l'autre coté de la porte, elle n'eut pas à chercher très longtemps ; elle était déjà dans le port. Les gens s'affairaient à leurs dernières tâches sous un ciel de fin de journée. Accostant ce qui semblait être un brave homme, elle demanda, poliment.

"Bonjour, monsieur ! Je cherche euh'm... un navire. Pouvez-vous m'aider ?"

"Bien sûr, ma p'tite dame ! Vous avez son nom ?", demanda le gaillard, toujours ravi de venir en aide aux demoiselles dans le besoin.

"C'est.. Oui, je crois.. euh.. La Voile Ghoulique, c'est ça.. Ça vous dit quelque chose ?"

"C'est un drôle de nom. Jamais entendu par-.. Ah, si ! C'est un vieux navire, tout délabré, à l'extrême ouest du port."

"Merci beaucoup.", s'enquit-elle simplement, coupant la conversation.

Puis elle poursuivit son chemin vers un destin qui ne lui disait que brouillard et incompréhension, sous l’œil sceptique du marin. Un destin étrange certes, mais qui venait secouer, au plus profond d'elle-même, une curiosité innée.

L'embarcation était belle et bien réelle. Le mat tenait à peine en place, la voile était en lambeaux, mais l'ensemble flottait toujours, tranquille, dans son coin du port. Sans qu'elle sache pourquoi, elle s'assura d'abord que nul ne l'observait, puis, elle embarqua, le pied prudent. Il y avait, à l'arrière, comme prévu, une cale verrouillée par un vieux cadenas. Elle y inséra la clé, puis tourna. À sa grande surprise, elle y trouva les articles en question.

Cela ne faisait aucun sens. Elle ne put freiner le sentiment ridicule qui l'envahissait, alors qu'elle lançait à l'eau, une à une, des clés de toutes les couleurs et de toutes les formes, et en si grand nombre. Puis, il y eut l'uniforme, en bon état. Elle soupira, étourdie, à le voir ainsi s'assombrir, coulant dans les eaux froides, avec le reste.

Était-ce une blague ? Une plaisanterie ? Difficile à dire, car elle ne semblait avoir, comme souvenir, qu'une idée vague de ce qui lui arrivait, de Systéria, de ce qui se passait, de tout cela... Encore plus étrangement, cette lacune de connaissance ne l'importunait pas. Elle était incapable de décrire les 6 derniers mois de sa vie et pourtant, ça ne l'inquiétait qu'en surface.

Alors qu'elle reposait pied sur le quai, le cliquetis de la pluie se réveilla aux alentours. Elle ouvrit son parapluie, parapluie inconnu, tout autant que le reste de sa garde-robe, puis s'en alla, à pied, sous cette douche.


Post by Élaine d'Amaury, AdC - May 11, 2012 at 6:24 AM

II. Terreur nocturne à Sainte-Élisa

Ça y est, elle entrait dans la chambre. Il y avait, à ses cotés, cette généreuse infirmière, Evelyn Roseren. Après toute la confusion qui, depuis cet étrange réveil, n'avait cessé de dévorer, à grande bouchée, l'essentiel de son courage, sa fatigue atteignait un point presque survoltant. Ici, dans le silence de la campagne, en cette fin de soirée, elle se sentait enfin chez soi.

Elle ne pourrait y rester éternellement, seulement, elle souriait tout de même à cette idée, alors qu'Evelyn venait tout juste de quitter la petite chambre. Elle commença par s'asseoir sur le lit ; le tissus n'aurait su être plus immaculé, du moins, c'est l'impression qu'elle en retirait. En se dévêtissant pour la nuit, les paroles du médecin Esmeral retentirent, une fois de plus, dans son esprit ravagé.

"Cela dépend.. Dans les cas les irrévocables, il s'agit probablement d'un télépathe expérimenté, qui tiens bien son bout. Peut-être plus, peut-être un nécromancien.."

Ces paroles, ces courtes phrases, suffisaient à la ramener à la réalité, à ses inquiétudes, aux signaux d'alerte constants que lui imposait son corps. Qu'allait-elle faire, si une telle éventualité se présentait ? Chassant ces pensées noires, elle s'apprêta pour une bonne nuit de sommeil.

Comment pouvait-elle s'inquiéter de son existence alors qu'elle en ignorait tout ? Elle se sentait comme une étrangère, et ce, au sein de son propre corps.

Quelques secondes furent suffisantes pour qu'elle s'isole dans un sommeil profondément réparateur.

________________________

*Il faisait chaud. Autour d'elle, il n'y avait rien. Que du sable. Le Soleil déclinait à l'horizon et les chameaux, le siens y compris, commençaient à ralentir. Un homme, en tête de file de ce qui semblait être une caravanne commerciale, adressa une instruction au reste des cavaliers. *

"Nous, nous allons nous arrêter là ! Jahim, continue vers l'Ouest. Alim, continuez au Nord, il y a aura un autre dénivelé."

Puis, la bande se sépara en plusieurs petits groupes. Bientôt, elle se retrouva seule au coté de ce même homme qui semblait être le capitaine de la caravanne. Il descendit de monture, puis s'approcha d'Élaine, l'aidant à descendre. Une évidence la transperça alors, une information subite et désormais acquise : il s'agissait de son père.

"Lenah, quelque chose ne va pas ?"

Elle secoua la tête et accepta l'étreinte solide de son paternel. Une fois au sol, son père entama l'édification de la tente. Elle lui porta main forte, bien qu'elle ignorait comment il fallait procédér. Au sein de ce songe, cela semblait inné. La nuit vint bien assez tôt couvrir les chauds espaces du désert.

Alors que la lune s'élevait à l'est, elle se retourna et aperçu, au loin, les derniers feux des tours d'Allabram. Ils n'avaient pas fait beaucoup de chemin en une journée ; cela s'expliquait par les caprices, à cette saison, des dunes et des vents.

"Le diner est prêt, Lenah."

*Elle prit place avec son père. Ils étaient là, tous les deux, autour d'un bon feu et d'un bon repas, comme au bon vieux temps. *

"C'est notre dernier voyage Lenah. Ce sera à toi, après cette livraison, de tenir la caravane. Je me lève et affronte le soleil à tous les jours, seulement, la pensée que tu es plus inquiète qu'il n'y paraît hante mon esprit.", déclara l'homme, visiblement concerné par l'avenir de sa fille bien aimée.

"Tout va bien, père. Je te l'assure.", répondit-elle, percevant en elle même ce réel sentiment de sécurité.

Un moment de silence s'en suivit, puis l'homme ne put retenir son sourire. Le reste de la soirée se déroula paisiblement et, bientôt, il fut l'heure de se coucher. Elle entra dans la grande tente alors que son père évidait un sceau d'eau sur le feu.

Cette nuit, néanmoins, elle ne put trouver sommeil. Alors que le ronflement modeste de son géniteur ponctuait le silence, un bruit attira son attention. Des pas, lents, trainés, d'une cadence saccadée, venaient titiller son oreille. Prise d'une vigilance toute naturelle, elle prêta l'oreille plus attentivement.

Ces longs soupirs laissés dans le sable s'approchaient, si bien qu'ils semblaient n'être qu'à quelques enjambées de là. Puis, plus rien. Ce fut le silence nocturne typique du désert ; un silence venteux, sans insectes ni cours d'eau. Elle tapocha l'épaule de son père, du bout de son pied.

"Père ! Il y a quelque chose, dehors, là bas !", marmonna t-elle, pour ne pas envenimer la situation.

"C'est probablement une hyène.."

Il se leva en tirant une longue épée de son fourreau.

"In Sar !", clama, tel un aveu, une voix inconnue.

Le pauvre nomade s’époumona de douleur, puis céda à l'inconscience. Elle eut à peine le temps d'entendre la carcasse de son père heurter les sables que cette chose, cette horreur, s'invitait violemment dans la tente.

Étendue dans son futon, elle s'ébattit du mieux qu'elle pu pour échapper à ce cadavre ambulant. Alors qu'elle était adossé à son dernier rempart, il s'approchait, ses yeux enflammés par tous les vices braqués sur sa seule panique.

Il arma son bras. Le frisson la glaça jusqu'à la cime des cheveux.

________________________

Elle se réveilla en sursaut, les poumons vides. Elle était étendue sur le sol froid de la chambre, à droite de son lit.

Elle tenta tant bien que mal de verser le tout sur papier. Au sommet de sa crise, elle renversa l'encrier.

Le fracas de la vitre l'élança dans les bras de sanglots dévorants qui, malgré elle, la firent trembloter jusqu'au matin.


Post by Élaine d'Amaury, AdC - May 16, 2012 at 8:08 AM

III. Retour à Sainte-Élisa
Ambiance !

Alors qu'elle croyait avoir laissé l'établissement hospitalier derrière elle, un nouveau malheur vint faire ombrage à son existence. Plus tôt ce soir là, au Coin Chaud de la Moyenne-Ville, l'essentiel de sa force l'avait quitté, et ce, sans préavis. Les bornes de sa conscience s’effaçaient, précipitant son enveloppe en face à face avec la moquette. Heureusement pour son intégrité physique, Selicia Coval ne s'était guère fait attendre pour lui venir en aide, sitôt épaulée par la poigne protectrice de Merlius, un grand gaillard qu'Élaine ne connaissait qu'à peine. Tous les deux, ils en étaient vite venus à une conclusion ; il était impératif d'amener la demoiselle à Sainte-Élisa.

En piètre état pour refuser ou accepter quoi que ce soit, Élaine n'avait évoqué aucune objection. Le trio quitta donc le Coin Chaud. Elle, faiblotte, était recroquevillée dans les bras maillés du grand Merlius. Lui, marchait droitement, soutenant cette charnelle cargaison comme s'il en avait porté des plus lourdes. Puis, Selicia fermait la marche.

La temporalité l'avait, aux alentours des instants de sa faiblesse, partiellement quitté. Or, elle avait tout de même conscience de l'efficacité à laquelle ses deux sauveurs avaient su faire face à la situation. Une fois qu'elle put sentir la texture douillette de Sainte-Élisa, bien ancrée sous son dos, il n'en prit pas beaucoup pour que le sommeil frappe à sa porte.


Son cortex s'éveilla, encore une fois, au fond d'un songe. Cependant, sa situation profilait cette fois vers quelque chose de bien plus abstrait, hors des réalités physiques et concrètes qu'elle connaissait. Elle baignait dans une essence noire, infinie et presque absolue. Cette homogénéité venait à être violée par une luminosité lointaine, au dessus d'elle. On aurait dit une lumière sans couleur et sans saveur, qui n'avait comme dessein que de rendre la matière perceptible, bien qu'il n'y ait rien aux alentours sur quoi ses yeux pouvaient s'encrer.

Lorsqu'elle remarqua qu'elle se tenait debout, dans le corps qui semblait être le siens, son sens de la tangibilité reprit le sens qu'il avait perdu. Alors que des éternités semblaient passer, l'idée préconçue d'un contenant et d'un contenu finit par l'avoir entièrement imbiber. Après cet éclair de lucidité et cette nouvelle considération, elle put apercevoir, dans le lointain qui n'en était pas vraiment un, l'extrémité de la substance unique dans laquelle elle baignait.

Elle marchait maintenant depuis un temps à la durée trop abstraite pour qu'il soit légitime d'en parler. Puis, il y eut finalement quelque chose. Quelque part devant elle étaient discernables deux orbes enflammés, à la symétrie idéale. L'un à gauche, l'un à droite, ils s'agrandissaient devant l’entièreté de l'attention qu'Élaine savait leurs adresser.

Lorsqu'elle s’aperçut qu'il s'agissait de quelque chose de concret, une panique timide épousa les parois de son entendement. À première vue, il s'agissait d'un loup ordinaire. Néanmoins, c'était un loup qui, en contraste avec cet environnement parfaitement noir, paraissait bleuâtre, nimbés par un aura de reflets aux origines surnaturelles. Elle restait figée devant la course modérée de cet étrange canin qui, bientôt, s'arrêta à quelques pas de la femme.

"Que s'est-il passé ?"*, demanda une voix masculine. *

*Instinctivement, Élaine attribua cette question à l'animal devant elle. Après tout, il était l'unique "autre", l'unique entité extérieure à tout ce qui pouvait bien la concerner elle. *

"Que s'est-il passé ?", résonna une fois de plus dans son esprit.

Le loup arqua la tête de coté, ses deux yeux de flamme croisant ceux d'une Élaine intérieurement subjuguée.

"Qui nous a fait ça ? D'où pouvait-il bien venir ?"

Elle restait sans réponse. Lorsqu'un changement passa dans les yeux du loup, et qu'il marcha les derniers pas les séparant, elle s'effondra. Elle s'enfonçait dans cette étendue homogène où nul dualité ne pouvait avoir lieu d'être, et où elle ne tarderait donc pas à être associée pour faire partie intégrante de ce tout vorace.

Avec la même intensité que précédemment, le loup, désormais trop haut pour être aperçu, s'exprima encore.

"Vous manquez d'énergie. Il faut vous nourrir. Il vous a enlevé la mémoire... Vous devez réapprendre. Vous manquez d'énergie."

Sans qu'elle n'en ait entièrement conscience, quelque chose au fond de son être venait de changer. Ce noir bouillon dans lequel elle trempait rétrécissait, elle le sentait. D'entre leurs deux natures confrontés en ces lieux où il ne pouvait y avoir de dualité, c'était l'absolu vide qui s'insérait en elle. Son âme ressortait à la surface d'un monde qu'elle connaissait au plus profond d'elle même. Un monde où il n'y avait qu'elle, un monde où elle n'était plus l'esclave de lois énergétiques stagnantes.

Lorsqu'il n'y eut plus qu'elle, sa force et son énergie vitale, le loup parla une dernière fois.

"Il faut prendre. Ne jamais donner."