Doctrine juridique : L'interprétation des lois

Doctrine juridique : L'interprétation des lois

Post by Vincent DeLorime, juge - January 18, 2007 at 2:04 AM

De l’interprétation des lois

Envisagée au plan strictement terminologique, la question de la définition de l’interprétation des textes législatifs fait apparaître au moins trois sens à ce terme. Il désigne d’abord le processus par lequel sont déterminés le sens et la portée des règles énoncées dans le texte. Ainsi, interpréter un texte de loi consiste, pour le juriste, à établir le contenu de la règle dont le texte fournit le support matériel ainsi qu’à fixer le domaine d’application (temporelle, territoriale, personnelle, etc.) de cette règle. Dans ce premier sens, l’acte d’interprétation d’un texte se distingue de l’acte d’application de ce texte. Une fois précisés le contenu et le domaine d’une règle, il faudra souvent l’appliquer, c’est-à-dire la rapporter à des faits pour en tirer les conséquences juridiques. Bien que distinctes au plan conceptuel, l’interprétation et l’application constituent deux activités en interaction : l’interprétation influe sur l’application, mais l’inverse est aussi vrai.

Le terme interprétation, dans un second sens, plus restreint, ne désigne pas tout processus de détermination du sens et de la portée des règles de droit qu’un texte législatif énonce, mais fait référence à ce processus dans la seule hypothèse où il demande au lecteur un effort particulier, effort exigé par la présence d’une obscurité qu’il faut élucider. C’est dans ce second sens qu’on affirmera qu’il n’est pas nécessaire, ni indiqué, d’interpréter un texte clair, car sa seule lecture suffirait à en faire apparaître le sens et la portée.

Dans un troisième sens, interprétation désigne le résultat du processus d’interprétation. On dira, par exemple, que telle interprétation est préférable à toute autre.

Ces définitions, quoique utiles, restent cependant à la surface du phénomène : elles ne nous disent pas grand-chose sur la nature de cette entreprise qu’on appelle interprétation de la loi. Pour cela, il faut plutôt interroger les théories de l’interprétation. L’interprétation d’un texte juridique apparaît en effet comme un phénomène extrêmement complexe et difficile à cerner. Il est cependant possible de déduire une certaine conception que consacre la pratique juridique dans l’empire.

Tout le processus par lequel le juriste systérien recherche le sens et la portée des textes législatifs repose sur une théorie implicite consacrée par des autorités reconnues, en l’occurrence par les tribunaux, et, dans une moindre mesure, par le législateur lui-même.

L’interprétation est vue, dans la théorie officielle, comme un élément d’une activité de communication entre l’auteur du texte et le lecteur. L’auteur d’un texte juridique (le conseil impérial, les guildes, etc.) a adopté un texte en vue de transmettre à un destinataire une idée, plus précisément pour lui communiqué une règle de droit. L’interprétation d’une loi consistera, en partant du texte, à reconstituer l’idée que son auteur a voulu transmettre, la règle qu’il a voulu décréter.

Puisque l’interprétation se comprend dans un cadre communicationnel, l’objectif de l’interprétation, c’est la recherche de l’intention de l’auteur du message, du législateur.
Cette notion d’intention du législateur, centrale dans la théorie officielle, soulève de nombreuses difficultés. Il faut particulièrement souligner l’ambiguïté de l’expression. Elle désigne tantôt le sens que l’auteur du texte a voulu donner à celui-ci, tantot l’objectif pratique recherché par le législateur.

Pour le juriste, l’intention du législateur ne s’identifie pas à la pensée réelle, subjective, psychologique et historique qui a pu habiter l’esprit des personnes qui ont contribué à l’élaboration et à l’adoption du texte juridique. Rechercher cette pensée subjective serait déjà une entreprise difficile lorsque le texte procède formellement de la volonté d’une seule personne, comme c’est le cas lorsqu’il faut interpréter un arrêté impérial. Elle se révèlerait cependant proprement irréalisable lorsque le texte traduit la volonté collective (celle du Conseil), volonté qui n’a aucun lien nécessaire avec l’état d’esprit des personnes qui ont effectivement contribué à l’élaboration et à l’adoption du texte.

L’intention du législateur se révèle donc plutôt une construction de la doctrine juridique, un concept technique, un fait institutionnel ; c’est un fait dont l’existence est affirmée par la pratique juridique afin de répondre à des impératifs méthodologiques.

L’intention que le juriste recherche, c’est en pratique celle qu’il conviendrait d’attribuer à une personne raisonnable qui aurait rédigé le texte dans le contexte dans lequel il a été effectivement rédigé. En dernière analyse, l’intention du législateur, c’est l’intention du texte, l’intention que le texte manifeste. On suppose que l’intention que le texte manifeste correspond à la volonté de ses rédacteurs, de ses promoteurs ou de ceux qui ont voté en faveur de son adoption.

Reconnaître que l’intention du législateur constitue un fait institutionnel ou un concept technique ne diminue en rien l’importance primordiale de ce concept pour l’interprétation en droit. Il donne à celle-ci son but principal et détermine par conséquent la plupart de ses méthodes. Il établit clairement la suprématie de la volonté de l’auteur du texte, volonté qui s’impose au juge comme justiciable, favorisant ainsi la prévisibilité des décisions de justice et la sécurité juridique.

Vincent DeLorime, juge