Discussions théologiques...
Post by Rédacteur Eru - February 1, 2010 at 8:57 PM
Dans une des salles de lectures de la Bibliothèque Impériale, deux érudits discutaient. Leur sujet de prédilection : évoquer le Panthéon. Les deux hommes se vantaient d’être des théologiens émérites et ils aimaient passer de longues heures à échanger leurs connaissances réciproques. Non sans prétention, d’ailleurs. Le sujet actuel était un sujet qu’on n’abordait peu sur la place publique…
- Le Prince Noir n’est pas le souverain que tu prétend. Il n’a que le titre, pas la fonction.
- Voyons ! Comment oses-tu dires ça ? C’est la divinité sombre par excellence. La grande antithèse thaarienne.
Son confrère secoua la tête comme si ce qu’il venait d’entendre était la pire des âneries.
- Avant, peut-être. Ca fait belle lurette que ce n’est plus le cas. C’est Enyde-Mä qui mène la danse et depuis plusieurs siècles maintenant.
- La Vierge des Douleurs ? Foutaise ! C’est une divinité de bas étage, elle n’est là que pour le décorum !
Pour donner plus de force à ses propos, il frappa la table du poing. Des chhhht de mécontentement jaillirent tout autour d’eux.
- Avant peut-être, jusqu’à ce que Yhagshul se fasse séduire. C’est un dieu mais il n’en est pas moins homme. En deux coups de cuillère à pot et la voila qui en profite pour lui sucer une bonne partie de ses pouvoirs.
L’autre grogna de mécontentement mais ne répondit pas. Avant, c’était plutôt l’Ecole de Yhagshul qui prédominait, affirmant le statut souverain du Prince Noir. Désormais, les théologiens supportaient en majorité la thèse qui faisait de la Mère Noire la divinité maléfique suprême…
A quelques mètres de là, dans une taverne enfumée, deux hommes jouaient aux cartes. L’un semblait plus chanceux que l’autre, à en juger par le tas de pièces d’or qu’il accumulait sur le coin de la table. Finalement, le joueur lésé abattit son tas sur la table en grognant :
- J’arrête. Pu moyen d’gagner, ce soir !
- Bah, c’est que t’a pas la chance de ton côté, c’est tout !
Pour consoler son ami, le chanceux de la soirée commanda deux bonnes pintes de bières brunes qu’ils s’empressèrent de goûter en une grosse gorgée revigorante.
- Bah, la chance, ça s’commande pas, c’est qu’une histoire de hasard tout ça.
- Peuh, le hasard ça arrive, mais c’est pas là-d’ssus qu’il faut s’baser. C’est pas la Shaelim qu’aide ses fidèles comme ça !
- Mais c’est que c’est une grande déesse, Shaelim ! Le hasard tout ça, c’est d’son domaine.
- Grande déesse, grande déesse… Franchement, j’en doute. Depuis qu’elle roupille, elle fait plus grand-chose. L’est comme qui dirait toute amorphe. Moi, je prie Gaphaël et regarde ça ! Ca fonctionne bien, j’ai gagné à chaque coup !
- Mouais… Gaphaël, chais pas trop…
- Ben, une divinité majeure bien en vue ! Vénéré par tous les gens qu’aiment bien l’or. Moi, j’veux de la chance, j’le prie, j’en ai. Faut pas se demander pourquoi Kar Bed’Joul est si riche, hein !
Etait-ce vraiment Gaphaël qui avait aidé le gagnant ? Quelle que soit la réponse, le fait est que le dieu du commerce avait une influence capitale dans tous les domaines financiers…
Post by Thomas Bolton, Emp - February 12, 2010 at 8:38 PM
Plusieurs semaines plus tard – parce qu’à vrai dire, les discussions de ce type intéressaient peu les commères et les lavandières – le contenu des diverses rumeurs traversèrent les solides grilles d’acier du palais. Après tout, il ne fallait pas oublier qu’avant d’être Surintendant, le duc Bolton avait été théologien. Et une pointure, qui plus est ! Les différentes écoles de pensées qui s’affrontaient, se livrant guerres d’influence sur guerres d’influence, l’intéressaient toujours autant.
« Avez-vous entendu, monseigneur ? Il semblerait que la déesse sombre ait prit le pas sur son homologue masculin, dans le cœur des théologiens. »
Le premier ministre haussa les épaules. Ce sujet éveillait en lui plusieurs souvenirs, du temps où il faisait ses classes au monastère. A l’époque déjà, les choses semblaient commencer à changer…
« Ce n’est pas étonnant, Cressen. Lorsque l’on regarde la masse des fidèles de l’un et de l’autre, la différence est flagrante. Toutefois, les théories s’affronteront toujours… »
Le secrétaire haussa un sourcil intrigué.
« Comment cela, monseigneur ? »
Le duc caressa un moment la balance qui trônait sur son bureau, en parfait équilibre, avant de répondre d’un ton toujours aussi monotone, sans fausses notes :
« Certains théologiens pensaient que les pouvoirs d’un dieu résidaient dans le nombre de ses fidèles. D’autres affirmaient que c’était la force de leur foi et de leurs idéaux qui faisait leur puissance. Pas le nombre. Il y en avait même qui supposaient que leurs facultés étaient originelles et immuables… »
Le fonctionnaire hocha légèrement la tête, comme s’il cherchait à assimiler les trois théories. Puis, piqué par la curiosité, il demanda :
« Et vous, monseigneur ? »
Le Surintendant le regarda, haussa un sourcil, comme s’il semblait étonné par la question.
« Et moi, Cressen ? »
« Oui, monseigneur. Que pensez-vous de tout ceci, monseigneur ? Si je puis me permettre, bien évidemment, monseigneur. »
Un sourire sans joie se forma sur les fines lèvres pâles du premier ministre.
« Je ne suis plus théologien, Cressen. Je laisse le soin de démêler le vrai du faux à ceux qui sont là pour ça... »
Ah, décidément, c’était toujours aussi difficile de tirer les vers du nez du duc !