L'art de recevoir, sans rien demander

L'art de recevoir, sans rien demander

Post by Saeril D. Al'Kazar, Ods - November 11, 2010 at 12:46 AM

C’était l’une de ces journées qui débute maladroitement, en posant le pied gauche hors du lit. Souffrante sortie des draps chauds pour se laisser couvrir de l’air ambiant glacial du matin et vous donner une mine agacée. Quelques pas à l’aveuglette dans un fouillis apocalyptique et une joyeuse ecchymose sur le petit orteil; cadeau d’un coin de meuble. Une petite pause avant d’affronter les escaliers et d’entreprendre la Grande Descente. Bref, une matinée grise et froide, à faire envier son lit pendant encore quelques heures.

Tout en silence, avec quelques ronronnements de Trèfle, ce chat obèse qui avait désormais sa place de choix dans l’appartement de la toute endormie, la jeune femme débuta son trajet vers le rez-de-chaussée tant redouté. Il lui fallut ouvrir un peu plus les yeux pour considérer ces quelques lettres qui avaient trouvé refuge sous sa porte.. La Templière était-elle si convoitée pour recevoir autant de messages sur son plancher usé?

Elle les sonda à tour de rôle en prenant le temps de considérer sa dose de courage pour les affronter toutes. L’une d’entre elles fut misérablement posée de côté par manque de cran – pauvre Bakhir.. – alors qu’une en particulier lui fit lâcher toutes les autres au sol sans plus de tracas.

C’était toujours cet effet que lui procuraient les nouvelles du désert. À chaque fois, elle vivait un agréable retour en arrière qui lui arrachait multiples sourires et agréables soupires nostalgiques. Ce sentiment ne put qu’être multiplié à la vue de cette écriture familière; souvenir d’une amie chère, presque aussi proche que sa propre jumelle. Petite foulée d’images lui revinrent en tête alors, à la simple odeur du parchemin. L’espace d’un instant, elle fut tirée hors de son monde catastrophique.

Mais…

Comme toute bonne chose a une fin, celle-ci ne dura qu’environ une minute et peut-être aussi le temps de laisser les quelques grains de sable filer au sol à l’ouverture de la missive.

Saeril Al’Kazar,

C’est par de bien tristes circonstances que nous vous contactons pour signifier le décès de Demoiselle Silva, votre amie, que nous savions très proche. L’un des campements fut attaqué il y a de cela deux semaines par une troupe de brigands et les ravages furent considérables.

Le but de cette missive n’est toutefois pas simple. Sachez que, déjà, ce qui vous revient de droit et selon les volontés de votre amie chère est déjà en route vers Systéria, étant donné votre statut de seule famille pour la défunte.

Nous espérons que vous saurez en prendre grand soin et qu’il vous apportera réconfort.

Recevez nos sincères sympathies,

Dans l’espoir de vous recevoir à nouveau.

Juan Di Duca
Avocat

À cet instant, il ne régnait d’autre bruit que le tremblement du parchemin entre les doigts de la jeune archère.. et il en fut ainsi pendant de longs instants. Les deuils semblaient vouloir s’accumuler sur ses épaules dernièrement et ils y atterrissaient avec le poids de dix armures de plaques. Rien pour arranger son moral déjà si instable, la pauvre.

**

Le lendemain matin, aux premières lueurs de l’aube, la jeune femme patientait à l’entrée de la ville en guettant frénétiquement les environs. Attendait-elle un paquet? Une lettre? Un cheval? Elle n’en savait absolument rien encore. Sa silhouette demeura ainsi postée jusqu’à ce que le soleil se fasse plus présent et que le vent se lève tranquillement, juste pour venir agacer sa coiffure pitoyable. Il ne devait y avoir que cela qui animait partiellement son minois d’insomniaque. Puis, avec les bourrasques de vent s’ajoutèrent le son des sabots qui approchaient des murailles jusqu’à ce qu’une calèche ne s’arrête droit devant la petite Templière.

Quel était donc ce fameux héritage et cette probable source de réconfort?

...

Un gamin.. Haut comme trois pommes, avec cet air.. cet air de peste qu’elle avait à ses dix ans, encore plus redoutable qu'un dragon.

Puis vint ce cocher, avec un air excédé : "Le petit se prénomme Léonardo. Joli, mais drôlement féroce."

Les vigies appréhendaient peut-être déjà le scandale..

Saeril, mère célibataire.


Post by Saeril D. Al'Kazar, Ods - November 16, 2010 at 4:08 AM

Quelques bruits de verre cassé, un miaulement strident et deux ou trois grondements ; c’est ce qu’on entendait de par la ruelle, tout près de la petite maisonnée de la Basse.

Le voisinage, tout de même habitué au brouhaha de l’archère fougueuse, commençait à se demander si des brigands avaient trouvé refuge dans son bordel. Toutefois, les soupçons se dissipèrent lorsqu’on vit cette chère Saeril sortir le bout de son nez avec un gamin sur l’épaule qui battait des pieds dans tous les sens, criant pour qu’on le dépose.

Où s’était-elle rendue? C’était là un grand mystère.. Néanmoins, la petite racaille revint bien propre, les cheveux encore détrempés. Visiblement, la demoiselle avait plus d’un tour dans son sac pour faire adopter la bonne hygiène aux enfants désobéissants; il fallait au moins lui accorder cela.

Son nouveau rôle de mère adoptive (ou plutôt de mère héritière) se faisait de moins en moins mystérieux et les causes de sa fatigue devenaient bien plus évidentes. Le coquard pour une tentative d’alimentation aux fèves, quelques taches de peinture pour un exercice supposément créatif, quelques poils de moins sur le dos de Trèfle et déjà cinq assiettes ruinées en éclats suite à une petite altercation bien enfantine. C’était là les joies de la toute nouvelle aventure maternelle de la demoiselle aux airs de gitane.

Il n’était arrivé que depuis quelques semaines et l’amélioration n’était malheureusement pas notable encore. Il fallait d’ailleurs préciser que le jeune garçon vivait encore un deuil effarant, pour l’âge de dix ans. Nombreux facteurs qui rendaient la templière comme une terrible maman de remplacement qui ordonnait de manger des fèves. La toute échevelée n’était peut-être pas faite pour ce rôle purement féminin, après tout.. Mais, enfin, elle méritait qu’on lui laisse quelques temps encore..!

Bientôt, peut-être, la tornade monterait peut-être jusqu’en Moyenne, à l’occasion.. avec muselière et laisse dans la besace!