Annabelle de Surion dite Anna de Sorgrad

Annabelle de Surion dite Anna de Sorgrad

Post by Sakamae Nakaki, CP - November 22, 2007 at 11:01 PM

J’ai gratté dans la porte, gratté, gratté au point d’avoir les doigts qui saignent. Trop longtemps, combien? Je n’en sais rien. Des heures, sûrement. La panique s’installait au fond de moi et je sentais la bête dans mon cœur gronder comme un animal sauvage. J’ai hurlé, oui hurlé des heures durant, sans réponses, j’ai frappé de mes poings dans la porte jusqu’à ne plus sentir mes mains, mes bras. La peau et les muscles engourdis, des papillons dans l’estomac. Ce n’est que lorsque la lumière a cessé de filtrer au travers du trou de la serrure que j’ai entendu ses pas approcher de la porte. Mon calvaire n’était pas terminé, mais enfin, oui, enfin, je sortais du placard. J’ai vu la clef s’enfoncer dans le trou, et j’ai reculé, je devais me préparer à l’assaut qui me guettais. Quand mère repartais au cabaret, c’était contre moi qu’il se retournait. Je me suis enfoncée tout au fond du placard derrière les vêtements et j’ai regardé la porte s’ouvrir, laissant lentement apparaître sa silhouette obèse et rustre. Je devinais son sourire édenté, ses cheveux éparses étaient pêle-mêle, comme celui qui a trop bu et n’attend plus rien de la vie. Son petit nez porcin me donnait la nausée et je savais que j’aurais encore droit à une nuit cauchemardesque.

-« Démone! Enfant du Diable ! Tu devrais être reconnaissante que je t’accepte sous mon toit! »

Il m’a agrippée par les cheveux et m’a tirée vers lui. En me relâchant, à mi-chemin, mon front a heurté le coin de leur lit. Mes mains, déjà ensanglantés d’avoir gratté, frappé, supplié de me sortir de ma prison, vinrent retrouver le sol, et j’ai cherché à me relever. Mais sous le coup de son pied, le souffle m’a quitté. La douleur était atroce, mais jamais autant que l’humiliation. Je devinais son sourire carnassier au visage alors qu’il allait me répéter sa phrase préférée…

-« Attends, je vais te montrer moi, la signification des vertus, hein, démone. Je vais te montrer la compassion, ouii… »

S’en suivit d’un rire gras. Puis son énorme main vint s’abattre sur moi, sur mon corps, où mon âme a pleuré toute la nuit.

« Ouvre tes yeux, ma fille, regarde toi »

Pendant qu’il ruminait à se soulager de moi, j’ai eu un moment étrange. Oui, il n’existait plus, non. Il y avait lui, ou elle, qu’étais-ce? Je n’en sais rien.

« Ouvre tes yeux, ma fille, regarde le »

Puis comme si j’étais aspirée dans un corridor long et sinueux, rapidement tout un chemin a défilé devant mes yeux. Je courais très vite. Je ne comprenais pas ce qui étais arrivé, et en regardant derrière moi j’ai vu la maison, toute petite, disparaître sous la lumière de la lune. J’entendais encore nos chiens hurler, voraces. Et puis un haut le cœur m’a prise. Le paysage s’est mis à tourner, comme si je voyais partout à la fois, au sol, au ciel, devant et derrière, je me voyais, moi aussi. Je suis tombée. Mes mains, mes mains me faisaient souffrir. Je les ai essuyées un peu, et la douleur s’est faite encore plus vive. Quand j’ai daigné les regarder, mon sang s’est glacé dans mon dos. Comment avait-il pu savoir que j’étais une démone..? Une fente était placée au creux de chacune de mes mains. Où, par moment, j’arrivais à faire ouvrir un œil, et voir ainsi tout ce qui se trouvait partout, absolument partout autour de moi. Un moment extatique, comme une jouissance en toute pudeur, mon corps s’est mis à frémir de plaisir, mais que m’arrivait-il donc? La faim me rongeais, la soif, la douleur, mais sous la puissance de l’émotion, de ma découverte, je me sentais au dessus de tout, voyeuse. Puis le vide.

« Ouvre tes yeux, ma fille, tu y es presque… »

Les mains tendues, enrubannées de tissus sales, je quémandais sur le port de Systéria.

-« Un peu d’or, s’il vous plait, un peu de nourriture, je vous en prie. Un peu de votre générosité, messieurs dames, juste un écu ou deux… »

Mais non, pour la plupart, trop avares pour se dispenser d’un écu ou deux, se retrouvaient peu à peu vidés de dix ou vingt écus. C’est au bout de cinq cent écus que je me suis décidée à aller m’aventurer à l’intérieur des murailles, trouver la « voix ».