Thorvald, fils d'Yngvarr
Post by Thorvald, CdP - May 8, 2008 at 6:33 PM
Première partie : la sépulture
Dans les hautes montagnes, un cor résonna.
La plainte funèbre atteignit les bourgades avoisinantes, son écho parcourut les monts jusqu’aux plus éloignées. Elle fut entendue des chasseurs de boucs et des bergers sur les plateaux fertiles. De nombreux barbares sortirent de leurs demeures et levèrent la tête vers les pics rocheux de Freirhaldt. Un poing sur le cœur, ils demeurèrent silencieux, écoutant le deuxième, puis le troisième écho.
Un guerrier était mort.
La source du signal, un jeune barbare d’une taille impressionnante, déposa la corne aux côtés du corps du défunt, sur un lit de rondins et de paille monté sur un foyer de pierres. De nombreux guerriers imposants, enlaçant d'un bras leurs femmes, de marbre, avaient du mal à retenir leur peine. Le jeune, lui, ne pleurait pas, il semblait fier.
Il jeta un regard vers l’Ancien qui s’approchait en titubant, se retenant péniblement mais obstinément debout avec une canne faite d’acier et d’os. Il était couvert de peaux d’animaux et de créatures de toutes tailles. Faiblement, il lança une poignée de souffre sur les jambes inertes du guerrier. D’autres s’approchèrent et firent de même, jusqu’à ce que tout le corps soit couvert d’une fine couche jaunâtre et poussiéreuse.
L’Ancien leva les bras au ciel, chantant dans une langue morte un air millénaire, passé de père en fils. Après sa mélopée, un cri retentit. Le jeune homme hurla sa douleur, tel un rugissement qui parcourut les mêmes lieues que les échos de la corne d’Yngvarr le Hardi. L’Ancien reprit sa mélopée. Le jeune rugit à nouveau.
*-Il est temps… *Signala l’Ancien, lui tendant une torche éteinte.
Le fils se contenta de pousser un grognement et la saisit de sa grande main. Il se rendit jusqu’aux marches sacrées du Temple de Vaerdon, passant devant les guerriers qui lui donnèrent tous un coup de poing à l’épaule en guise de sympathie. Leurs regards étaient francs. Leurs larmes aussi.
Il monta lentement les marches de pierres couvertes de mousses, vestige des premiers guerriers de la tribu. Au sommet, un brazier énorme crachait sa fumée entre quatre piliers de granit ayant jadis retenu un toît. La braise était vive, rouge, alimentée par le vent glacial des montagnes. Il y plongea la torche et la retira, flamboyante.
Les guerriers crièrent, frappant leurs bouclier de bronze avec leurs armes. Le fils s’approcha de son défunt père et hurla :
-YNGVARR! FILS D'ALFGEIR! FILS DE RAGNAR! FILS D’OSVALD! FILS DE BRÖM!
L’écho répéta plusieurs fois le nom de ses ancêtres.
Il approcha la torche; le corps s’enflamma des pieds à la tête dans un grand crépitement.
-Pars vers nos ancêtres et chante leur notre courage! Nous sommes fiers…
L'ancien, entre deux gémissements, continua le rituel :
-Qu’il parte comme un guerrier. Qu’il rejoigne les plus grands de tous. Vaerdon guidera ses cendres vers les cieux où les Dieux jugent le courage des hommes à la valeur de leurs actes.
L’Ancien tituba puis se retourna difficilement vers la foule massée près du Temple. Il déclara d’une voix fatiguée, mais autoritaire :
-Que les montagnes vibrent! Que le vent souffle! Que nul n’ignore la mort d’un grand guerrier!
Les barbares reprirent leurs cris, frappant leurs boucliers. Le fils demeura de marbre, fixant le corps enflammé de son père. Il y veilla toute la nuit malgré la fumée et les braises qui lui brûlaient la peau à chaque coup de vent.
Au matin, quand seule une fumée noire et étouffée se dégageait encore de la sépulture, une larme glissa le long de sa joue couverte de suie, laissant une traînée pale de son œil à sa bouche.
Post by Thorvald, CdP - May 8, 2008 at 11:36 PM
Deuxième partie : Un problème de troll
Des cris furieux fusaient de la taverne depuis près d’une heure. Les hommes étaient réunis en conseil de guerre. Un conseil qui se terminait souvent par une bagarre générale qui scellait l’avenir de la tribu.
Un guerrier barbare, cheveux et barbe noire, cogna durement sa chope sur la table de chêne en guise de protestation. La cervoise s’éleva quelques pieds dans les airs, puis retomba sur les cartes déroulées sur la table, sous un tollé de protestations rauques.
*-Vous êtes tous cinglés! *Hurlait-il.
- Ose donc répéter ça?
-C’est trop dangereux. C’est se tuer net! Ils sont des milliers là-dedans! Ouvre tes yeux! Même le vieux Greïr y proteste!
Le barbare à la crinière noire pointa dans la direction d’un vieillard tremblotant, rendu presque imberbe par âgisme, qui se contentait de balbutier d’une voix à peine perceptible « Faut pas. Faut pas. » en cognant sa canne faiblement sur le plancher.
-Il y connait rien! C’t’un fermier!
*-Respecte tes ancêtres! *Fit une voix dans la porte ouverte. Dehors, c’était le déluge.
Le barbare aux cheveux noirs fit un signe de tête au géant qui venait d’entrer. Certes, les barbares étaient tous grands, mais celui-là l’était encore plus. Sa tête effleurait les poutres du plafond. Le casque bosselé qu’il tenait à la main semblait appuyer la thèse selon laquelle les bâtiments où il était allé n’étaient pas tous aussi grands. Semblant soudainement se rappeler à qui cette silhouette appartenait, le guerrier noir éclata de rire et s’approcha de lui, bras ouverts.
-AH! AH! AH! Thorvald! Le fils d’Yngvarr le Hardi est revenu vider sa bourse!
Les deux colosses se firent une accolade et se donnèrent un coup de tête. Les autres guerriers regardèrent le nouvel arrivant d’un air indifférent, retournant à leurs cartes qu’une grosse femme essayait d’éponger.
-Mouais. Mais pas trop. L’empire a pris les forêts du sud. J’suis sans écu pour un bout de temps. Faudra que je trouve du travail… Héééé! Mais c’est le vieux Greïr!
Thorvald, souriant, s’approcha du vieillard qui riait, sautillant sur sa chaise de bois. Il lui tendait sa canne. Le barbare secoua vigoureusement celle-ci, ce qui exita encore plus le vieillard qui toussa fortement.
-Sois pas dur avec lui. Y devient fragile.
-Bah voyons! C’était un dur lui!
Les deux hommes rirent. Le vieillard acquiesça d’un signe de tête nerveux et se remit a taper sur le sol avec son bâton, pointant vers les cartes.
-Tu m’excuseras mon ami, mais nous sommes en conseil.
-Eh bien va! Après tu me raconteras tout ça.
Le colosse s’assit sur une grosse chaise de rondins et salua la serveuse qu’il semblait connaître. Pendant ce temps, le guerrier à la barbe noire écoutait un autre combattant proposer son plan. La serveuse dissimula un petit sourire et s’approcha.
-Alors Thorvald tu reviens dans le coin? Y’a beaucoup de filles qui diraient pas non à un type comme toi.
-Bah…
On hurla derrière lui.
-NON! Je vous dis! Arrêtez avec cette idée d’imbécile!
-J’t’en ferai un imbécile!
Thorvald prit une chope et sourit. Il faisait bon de rentrer chez soi. En plus rien n’avait changé.
-Alors, y préparent quoi?
La serveuse s’approcha encore plus de Thorvald, posant ses coudes sur la table en face de lui. Sa mère, la grosse femme, la fusilla du regard. Elle se redressa et s’assit un peu en retrait.
-Une chasse aux trolls.
Thorvald poussa un léger grognement puis déposa sa chope, attentif aux dires des guerriers, se contentant de hocher la tête et de faire « Hmm. Hmm. » à tout ce que racontait la jeune serveuse, qui n’était pas si mal, mais qui, malgré ses courbes et son galbe généreux, ne pouvait vraiment pas rivaliser avec tout ce qui touchait aux trolls.
Les protestations reprirent. L’homme à la crinière noire fracassa le nez d’un petit gros. Son cousin se rua sur lui et lui décrocha une droite qu’il esquiva et qui fila direct sur la mâchoire d’un grand bourru. Ce dernier, en retour, lança sa chope qui atterrit entre les jambes du vieux Greïr qui, surpris, éleva sa canne, faisant trébucher le cousin du petit gros sur la table d’à côté, renversant les chopes de cinq barbares passablement ivres. C’était reparti!
Après quelques rudes minutes le calme revint, accompagné de subtils gémissements de douleurs et de grands rires. La jeune serveuse et sa mère nettoyaient ce que la tempête avait laissé.
Thorvald se tenait maintenant près des cartes, observant l’endroit où était planté un couteau.
-La grotte de la passe des bleu-rocs. Son camarade tira une chaise et s’assis à sa droite.
-Mouais… Ils en sont jamais partis hein?
-Non. Pas depuis. Et ces idiots veulent entrer là-dedans en croyant pouvoir tout casser et tout tuer.
-Mauvaise idée…
-Et qu’est-ce que tu y connais de toute façon? T’es bucheron! Tu y connais rien! Déclara un guerrier ivre mort.
Le silence tomba. Certains semblèrent mal à l’aise. Les autres rivèrent leur regard sur l’imbécile qui venait de dire une telle connerie. Thorvald termina sa chope d’un trait et sortit sans demander son reste.
Le vieux Greïr se tortilla sur sa chaise et laissa s’échapper, comme une lamentation :
-Iii- Iiiiil en connait assez!
Post by Thorvald, CdP - May 13, 2008 at 2:22 AM
Troisième partie : La rencontre
Bien qu'il eût souvent chassé avec les siens, Thorvald était plus ou moins talentueux dans l'art strict de tuer des choses avec un projectile. Sa technique, primitive mais peu efficace, consistait à charger la bête, hache en main, en espérant réussir à l'atteindre, la coucher au sol et la taillader à mort. Bien sûr, il eut quelques moments de gloire en lançant une grosse pierre, mais rien ne semblait le prédisposer au maniement de l'arc. C'était surtout dans la pose de pièges que résidait le talent du grand barbare. Par contre, il usait peu souvent de cette technique apprise de son aïeul, qui l'avait mis en garde justement, car on qualifiait la pose de pièges de "ruse de femme". Gamin, Thorvald ait déjà sauvé la vie de plusieurs de ses camarades de cette façon, mais c'est une autre histoire.
Un jour, sous une plue diluvienne, il rencontra Erlina Pembroke. Cette dernière avait un don certain. Il l'observa quelques fois, assis non loin d'elle au Cercle de Pierre, perfectionner son maniement de l'arc sur des cibles de paille. Il observait chaque mouvement, se demandait quelle force était nécessaire pour tendre la corde et si il y avait un moyen d'utiliser plus de force, ou non. Bref, bien qu'il savait que la minuetie et l'agilité n'étaient pas son fort, il se disait qu'avec sa force, le trait irait plus vite vers sa cible et qu'elle tomberait probablement plus vite.
Thorvald avait aussi beaucoup de facilité avec les animaux. Bien qu'impressionnés par sa taille et son allure (et parfois son odeur), ces derniers finissaient par se soumettre ou accepter sa présence dès qu'il y mettait un peu de sien, ce qui n'arrivait pas souvent. Après tout, un barbare combat. Il n'a pas le temps de s'occuper de chiens hargneux, des chevaux fous dans la Cité, des oiseaux blessés et tout ça.
Dernièrement, l'achat irréfléchit d'une vieille monture malade vint ajouter à sa curiosité. Il s'était étonné de sa facilité à convaincre un vieux cheval courbé d'avancer, contrairement au marchand (improvisé) qui avait du le pousser hors de son écurie, jusqu'à ce que Thorvald prenne les reines, en lui disant que "C'pas bien pousser un cheval, faut le tirer".
Il était furieux d'avoir encore fait les frais de sa trop grande confiance envers les marchands (au bonheur des voleurs du coin, qui commençaient à flairer le poisson), mais il s'était découvert un côté plus spirituel. Compatissant, il avait relâché son cheval maigre dans une plaine verdoyante, loin des territoires fréquentés par les loups (il avait vérifié). La scène, qualifiée d'attendrissante par Séphyr de Sorgrad, avait été prédestinée. Thorvald l'avait vue en touchant la pierre centrale du Cercle, et bien d'autres choses encore.
***
Le groupe se tenait dans une plaine où trônaient cinq dolmens et les vestiges d'un autre.
Un vent les frappa de plein fouet, les deux qui touchaient une pierre se perdirent dans un autre univers l'espace d'un instant.
Ils voyaient le début et la fin des leurs, de toute chose, le renouveau et le cercle.
Thorvald vit sa place dans tout ça.
"Et alors? **Qu'est-ce que vous en pensez?" Demanda Séphyr au barbare qui titubait, semblant soit sortir d'une transe mystique, soit revenir d'une taverne de marins.
"Merci." Dit le barbare, le visage illuminé "J'ai trouvé ma place dans ce monde."