À lire à vos risques, si vous souhaitez être pourchassés...
Post by Tryptophan - May 23, 2008 at 5:47 PM
‘’Systéria…
Jusqu’au mois dernier, jamais ce nom n’était parvenu aux Oreilles de Tryptophan. Pourtant, coursier de métier, celui-ci s’était durant tant d’années targué de connaître tous les recoins de ce monde auprès de clients potentiels. Oui, jusqu’à il y a quelques mois déjà, bien que cela ne lui paraissait encore davantage, Tryptophan avait toujours été convaincu de par ses voyages nombreux, bien que souvent routiniers, de l’étendue de son expérience à travers le monde. Si bien que lorsqu’il eut vent de l’existence de cette petite île, si petite elle pouvait être désignée, il fut tout d’abord perplexe et suspicieux. Après tout, n’avait-il pas parcouru toutes les terres de ce monde… ?
Si en faisant référence à toutes les terres de ce monde, l’on considère que toutes les régions habitables se résument aux quelques pays entourant Lutèce, alors oui, il était sans nul doute le plus chevronné des voyageurs de ce monde. Il dut se rendre à l’évidence, par contre, de l’étroitesse de sa connaissance lorsqu’il fut convoqué pour un contrat disons, spécial, impliquant un homme qu’il avait découvert inconscient au cœur de l’immense forêt entourant la Cité dont, pour des raisons de confidentialité et pour me protéger par la même occasion disait-il, il se refusa toujours à révéler le nom.
Selon quelques parcelles de l’histoire que j’ai pu glaner ça et là, l’incident s’était produit au retour d’un contrat routinier en compagnie de son associé, compagnon et ami dont, toujours pour d’énigmatiques raisons de confidentialité, il s’obstina également à taire le nom. Étrange comportement, je vous le concède, compte tenu du fait que personne ici, de près ou de loin, n’est sujet à connaître, reconnaître, ou encore avoir jamais entendu parler d’un des individus formant son histoire, hélas malgré mon insistance, mes menaces, et jusqu’à mes supplications, il tînt bon. Peut-être a-t-il bien fait, compte tenu de votre présence ici, et de cet interrogatoire non désiré. Quoi qu’il en soit, une fois peut-être aurais-je eu la chance d’en apprendre un peu plus alors qu’il laissa presque échapper le nom de sa Cité d’origine, mais en apercevant ma mine avide de renseignements, il se résorba rapidement dans un mutisme têtu. À partir de ce moment, je cessai de le questionner à propos des questions plus personnelles, craignant qu’il n’en puisse conclure que je ne suis qu’un tavernier bateleur à la langue trop bien pendue.
Selon ce qu’il partagea avec moi de son histoire au cours des quelques jours qu’il passa ici à attendre l’arrivée du navire sur lequel il quitta la ville, il revenait donc d’un contrat avec cet associé, cet ami, lorsqu’ils furent tous deux pris d’un étrange malaise. Leurs montures elles-mêmes, habituées à l’exercice physique de par les kilomètres sillonnés chaque jour, semblaient subitement mal en point, sans explication précise. Plus ils avançaient au cœur de cette, oh combien grandiose forêt, dont évidemment je ne su jamais le nom, plus les symptômes s’intensifiaient.
À un certain moment, ils étaient si désorientés et nauséeux qu’ils se résolurent finalement à s’arrêter au bord du sentier qu’eux seuls, ou presque, empruntaient régulièrement afin de regagner la Cité. Rassurez-vous, je ne vous relaterai pas tous les détails de cette histoire, car il n’y aurait probablement pas suffisamment d’eau dans toute cette ville pour étancher ma soif tant je devrai faire travailler ma langue, mais selon ce que j’ai pu en comprendre, ce moment précis fut l’élément déclencheur qui chamboula toute la vie de Tryptophan, si tel est son vrai nom, vie que je considère routinière bien qu’un peu plus hors des sentiers battus habituellement empruntés par les gens.
Je n’ai jamais vraiment su quel détail capta son attention, peut-être était-ce un reflet métallique, le craquement d’une branche, ou simplement un sixième sens inné en certains d’entre nous, mais il n’en demeure pas moins que ce dénommé Tryptophan aperçut quelque chose un peu plus loin en contrebas du sentier. Sans trop savoir pourquoi, il sentait sa gorge se nouer de plus en plus à chaque fois qu’il jetait un coup d’œil dans cette direction, et son instinct lui dit que quelque chose clochait. Après tout, tant d’années à explorer ces bois avaient imprégné en lui chaque son, chaque odeur et chaque couleur, et toute anomalie lui apparaissait clairement.
La tête lui tournait de plus en plus et une odeur indéfinissable imprégnait l’air ambiant de façon de plus en plus insistante lorsqu’il décela enfin ce qui clochait : hormis leurs montures, aucun animal ni même insecte ne semblait présent dans les environs. Le bruissement même des feuilles s’était éteint, procurant une atmosphère des plus inquiétantes aux boisés avoisinants.
C’est à ce moment qu’il parvint à distinguer une cauchemardesque silhouette, dressée au-dessus de ce qui semblait être un corps étendu, bien qu’il fût difficile de le déterminer avec assurance à ce moment. Pourquoi qualifier une silhouette d’un tel adjectif ? Tout simplement, parce que sa simple vue suffisait à dresser les poils sur la peau de Tryptophan et ce avant même qu’il n’ait pu voir la chose, car il ne s’agissait certainement pas d’un homme, malgré sa forme humanoïde. Ce ne fut que lorsqu’il distingua clairement le reflet métallique d’une arme à la main de la chose, et constata que son compagnon avait également sombré dans l’inconscience qu’il se décida à intervenir.
Les détails ne sont que peu importants à ce point, et quand bien même voudriez-vous les connaître, ils sont demeurés plus que nébuleux dans l’esprit de Tryptophan de par son état nauséeux, si bien qu’il ne put me les relater avec exactitude. Il y eut un étrange combat, pas comme ceux du genre d’un altercation à la sortie d’un bar, ni du genre d’un combat entre deux guerriers, ni même comme un coupe-jarret l’aurait fait, non, c’était plutôt un court effet de surprise, suivi de ce que Tryptophan me décrivit comme étant plutôt de la curiosité de la part de la chose. Au cours du combat, malgré la capuche dissimulatrice de son adversaire, il me dit avoir entrevu un visage qu’il décrivit comme étant écaillé, de forme à la fois humaine et à la fois… monstrueuse. Vision qui somme toutes, est probablement attribuable à son malaise.
Il n’en demeure pas moins que la chose s’en fut finalement, après un coup de dague très chanceux de la part de Tryptophan. Elle ne sembla pas vraiment affectée par la blessure et s’en fut d’une vitesse qualifiable uniquement de par le mot : surhumaine. Jamais il ne trouva réponse à savoir pourquoi lui-même ne s’était-il pas affaissé sous l’influence malsaine de la chose, car il ne faisait aucun doute dans son esprit que cet individu était l’origine de leur malaise. Heureusement, il n’avait pas couru tous ces risques sans raisons : il y avait bel et bien une victime au sol, qui lui apparut comme étant seulement évanouie. Tryptophan ainsi que son compagnon fabriquèrent un brancard pour le ramener en ville où il pourrait recevoir des soins plus appropriés.
Je ne puis vous raconter en détails les événements suivants, car Tryptophan se refusa de me donner des détails précis sur ceux-ci : je sais seulement, que l’individu en question demeura dans un profond coma, et que les deux coursiers furent convoqués pour acheminer un courrier d’urgence dans une très lointaine Cité qu’ils n’avaient jusqu’alors jamais explorée. Ce n’est qu’à mi-chemin de ce voyage ardu qui leur nécessita plusieurs semaines, que les deux compagnons, d’une manière qui m’est inconnue, découvrirent qu’ils avaient été dupés.
Je ne puis que vous dire que ce qui suivit me semble être une très longue histoire plutôt triste, où la tromperie et la confiance se sont chevauchées à maintes reprises spécialement en ce qui a trait à l’amitié, l’amour et la volonté. Bien qu’il fut innocent de ce dont on l’accusa par la suite – ne me demandez pas ce dont il s’agit, car il ne m’en a guère informé - la supercherie était originaire selon ce qu’il m’a révélé, d’une ancienne connaissance du dit Tryptophan et lui causa plus de malheurs qu’il n’en pouvait supporter, lui coûtant sa bien-aimée, sa demeure, son emploi et jusqu’à son droit de demeurer en son propre pays.
Quant aux raisons qui l’ont poussé à s’embarquer sur ce navire vers l’Île de Systéria, je les ignore. Voilà tout ce que je sais à son propos, messieurs. Eussiez-vous employé la torture, que vous n’auriez rien tiré davantage de ma part. À mon avis, votre meilleure chance de le retrouver, serait de vous embarquer sur un navire dans cette même direction, et bien que cela me dégoûte de vous avoir révélé cette information, je n’ai guère connu ce Tryptophan assez longtemps pour qu’il en vaille la peine d’être protégé au coût de ma vie. Maintenant, je vous en prie, mais j’ai beaucoup à faire, et raconter la vie d’un simple coursier sans envergure du continent n’est certainement pas au palmarès de me spriorités. ’’, termina le tavernier de la petite ville côtière.
Les quatre hommes en armure sombre se jetèrent des regards entendus. Celui qui semblait être le chef du groupe régla la note et le quatuor se dirigea d’un pas assuré vers la porte de sortie. Les trois premiers hommes s’emboîtèrent le pas et disparurent dans l’embrasure de la porte. Le quatrième toutefois, le chef, se retourna une dernière fois avant de quitter définitivement l’endroit. La lumière du crépuscule filtrait à travers les poils de sa barbe fournie de longueur moyenne tout en étant taillée à la perfection, camouflant son expression en aveuglant partiellement le tavernier.
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\tSi jamais, à notre arrivée sur cette île, nous sommes informés que vous nous avez bernés et nous avez fait faire ce long voyage simplement pour brouiller les pistes, soyez assuré que nous reviendrons vous voir et ce ne sera pas une visite de courtoisie. Si, en arrivant ici, vous vous êtes enfui, vos amis, votre famille, la ville entière, peu importe qui, paieront pour vous jusqu’à ce que vous reveniez, et ce ne sera pas en écus d’or croyez-moi, déclara-t-il d’un ton solennel et malveillant.
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\tPourriez-vous me dire, alors, de quel crime est-il coupable pour être ainsi pourchassé de par l’océan, et quel châtiment l’attend ?, s’enquérit le tavernier.
-\tAuriez-vous su de quel crime il fut coupable que j’aurais du vous faire subir le même châtiment que lui-même, répondit l’homme en armure.
-\tEt quel sera-t-il ? , renchérit à nouveau le tavernier.
-\tCapital, déclara simplement l’homme avant de refermer la porte d’un claquement sec.Le tavernier soupira et s’empara d’une choppe vide. Astiquant le contenant en secouant la tête de dépit, il se promit bien de ne plus jamais poser autant de questions aux voyageurs qui passaient par son établissement, de risque de se mettre les pieds dans les plats inutilement. Et pourtant, il savait bien que d’ici quelques jours, il aurait probablement oublié cet incident, et la curiosité reprendrait assurément le dessus sur ses craintes, aussi bien fondées soient-elles.