Serval et sa double vie
Post by Serval, Ind. - June 27, 2008 at 6:24 PM
Le vent dans les feuilles.
Le craquement des troncs.
Le souffle du vent sur sa peau.
Le silence et la douce solitude pour seule compagnie.
Voilà tout ce qui a du sens.
Pour cette forêt, je suis bien jeune. Les arbres que je touche; ceux qui me frôlent de leurs branches, sont tous beaucoup plus âgés que moi. Ils sont mes parents, ma maison.
La nature me fournit ce dont j’ai besoin pour vivre. La chasse, qui était autrefois un sport, est devenue mon mode de vie. Je suis passé de chasseur à prédateur; de chien à loup.
J’ai eu la chance de vivre une double vie.
Il y a vingt ans, ma mère donnait naissance à Isaac Plumonyx, mon existence débutait. J’étais à l’époque un jeune garçon qui rêvait de devenir chevalier et de vaincre mille dragons.
Isaac… Ce nom me semble si lointain! Comme un fantôme du passé qui ne ferait qu’un avec mon ombre.
Dans la forêt, les noms perdent leur sens et sombrent dans l’oubli. Et alors, seulement alors, on peut goûter à l’ivresse d’être réellement soi-même.
Mon Père, Adrian, et ma mère, Cassandre, étaient tous deux issus d’une famille noble d’importance moindre. Toutefois, mon père était fort habile à manipuler l’or, si bien qu’on ne manquait jamais de rien. J’avais un frère aîné, Justinien, et un plus jeune, Charlemagne. Je n’ai jamais été très près de ma famille, à l’époque. J’étais toujours ailleurs. Les cours d’économie que me dispensait mon père m’étaient réellement pénibles. Je n'en garde que le souvenir de l’ennui à présent. J’avais plusieurs amis. Certains me sont restés après les années, d’autres sont partis. Julian, Magnus et Icare sont toujours heureux de me revoir lorsque je fais escale à Systéria pour rencontrer ma famille, et prendre des nouvelles du monde. Ils ont tous des familles attachantes et semblent mener la vie qu’ils avaient toujours rêvé (sauf Magnus… qui a marié une femme étrange…). Ma famille et mes amis sont probablement mes dernières racines à la civilisation. Leurs yeux reflètent toutefois leur incompréhension à mon égard. Je les rends mal à l’aise… malgré mes tentatives de m’improviser citadin.
J’aurai pu vivre ainsi moi aussi… Mais il en fut autrement.
J’ai toujours eu l’impression de vivre une double vie, par peur de déplaire. Mes plus grands de bonheur me viennent de mon adolescence. Je partais souvent à cette époque, seul. Éperonnant mon cheval, faucon au poing, j'allais chasser tout ce qui pouvait l'être. Je pouvais passer des jours en forêt. Bien vite on ne s’inquiéta plus de ces disparitions fréquentes. Mes escapades ont toujours déplu à ma famille : ils souhaitaient tous que j’apprenne une manière de semer et de récolter l’or. Le rêve qu’ils avaient pour moi était si grand, qu’à une époque, ils remplacèrent les miens. Je tentai de les rendre heureux, comme c’est le devoir de tout fils. Justiniens et Charlemagne, qui excellaient à ce jeu m’aidèrent à apprendre quelques rudiments d’économie. Et ça dura jusqu’à mes seize ans.
Je réappris à vivre… pour mieux sombrer.
Eleanor…
Pourquoi une simple femme peut faire chavirer tout un monde?
Dans la nature, tout est simple…
L’amour y est à la foi pur et bestial. Il n’est pas maquillé, drapé, masqué et dénaturé.
Environné de pierres, dans un environnement artificiel, on se perd soi-même.
J'aimais cette jeune femme, et elle m’assurait de la même chose. Mais, pour plaire à sa famille et à la société, elle a dû épouser un autre homme. Elle a ainsi pu vivre avec aisance.
Je lui ai proposé de fuir avec moi. Mais elle a préféré m’oublier, et apprendre à aimer l’homme avec lequel elle passerait sa vie à présent.
Je tentai de me convaincre que j’étais heureux pour elle. Elle pouvait alors avoir tout ce que je n'aurais jamais pu lui offrir! Mais tout ça sonnait faux. J’étais vide...
La vie me semblait n'avoir plus aucun sens. Je réfléchis longtemps, m'isolant complètement de ma famille pendant une longue période.
Un éclair de lucidité: j'ai alors constaté que je vivais ma vie pour les autres! Ils m’avaient bien apprivoisé. Ils avaient fait croire au loup qu’il était un chien.
Mais on ne garde pas un aigle en cage.
C’est alors que j’ai compris tout le non-sens des hommes.
Notre vie est courte! Et pourtant, nous la passons à vivre la vie des autres.
Ma vie serait alors mienne. Je vivrais, et nul ne m’importerait la pensée des autres à présent.
Je choisissais la solitude et la liberté; comme un loup solitaire depuis trop longtemps dominé.
J’ai à présent oublié cette femme, Eleanor, et je la cite comme un chapitre désagréable, mais indispensable de ma vie.
Alors Isaac, tel qu’on le connut; celui qui se pliait à la vie citadine est mort ce jour-là.
J’ai alors recommencé mes errances forestières, pour ne jamais arrêter par la suite. J’étais à présent assez habile pour subvenir à mes besoins. J’évitais tant bien que mal les périls de l’île de Systéria, devenant chaque jour plus fort. Les créatures que j’avais appris à craindre me devenaient un peu plus familières chaque jour. La frayeur qu’elles m’inspiraient se mutait peu à peu en respect. La loi du plus fort régit la nature. Chaque jour je gravis un échelon.
Je cueille le jour. Je suis le prédateur qui se lève avec le soleil. Je maîtrise la forêt, et je me plie à sa volonté. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais chaque jour elle me dispense ses secrets.
Les serres de mon défunt faucon sont devenues mes flèches. Je garde ses plumes en empennage. Je manque toujours d’assurance et de précision. Mais, avec une patience et une volonté sans faille, le talent vient avec le temps.
J’arpente la forêt, je connais certains secteurs comme ma poche. Je fais parti d’elle.
Le vent dans les feuilles.
Le craquement des troncs.
Maintenant, je ne sais plus si je suis bête ou homme.