Point de non retour

Point de non retour

Post by Shogost, Ind. - July 6, 2011 at 7:38 PM

Qui suis-je?... Rien de moins que la somme de mes expériences incarnées dans un réceptacle articulé. J'ai perdu dans les méandres de ma conscience les souvenirs précédant mon voyage vers l'île de Systéria. Peu de fragments d'avant subsistent en moi, de moi je ne connais que le nom, Shogost, signifiant ''voyage sans retour''. J'ignore si je fus un homme bon, prompt à secourir l'inconnu glissant d'une falaise, ou celui qui donne la poussée.

En revanche, je me souviens d'une obscurité opaque, la sensation des menottes de fer sur la peau, des chaines reliées aux poutres; impossible de baisser les bras. Des gens se trouvent près de moi, ils gémissent, mais je n'y comprends rien. Je ressens les vagues me bercer et je sens la puanteur, cette suffocante, indescriptible puanteur. Par soubresaut je psalmodie un mantra, ''Mon corps est un carcan, mon esprit ma délivrance ''. La perte du temps, elle, est un bourreau bien plus pernicieux. Elle fait perdre à l'esprit ses repaires, le condamne à perdre tout espoir que le purgatoire n'est pas éternel.

Au bout d'un tunnel sans fin vint ce moment de grâce, où tout s'arrête, plus de vagues, plus de voix. J'entends une trappe s'ouvrir au-dessus et soudain la nuit se mue en reflet aveuglant, me transperce les yeux, m'éclate les tempes. Des pas approchent, on m'enfile une cagoule sur la tête et trainent par les bras mon corps affaibli, en montant les marches on m'écorche les chevilles. Là-haut, pour la première fois depuis des temps immémoriaux je vois des nuances de lumière, filtrée par le tissu poisseux. Tandis que les rayons du soleil me pourlèchent de la tête aux pieds, un marin me donne appui sur son épaule et me guide vers une barque. Arrivé au rivage, on débarque, l'eau salée me brule les plaies, puis le sable chauffé au fer blanc s'amuse avec la plante de mes pieds.

À peine rendu, on me matraque la nuque. Au réveil, je me trouve perdu dans une forêt dense; émerveillé par la mer végétale; j'en fis mon refuge, mon lieu d'apprentissage, de contemplation. Encore aujourd'hui, je creuse les abysses de ma mémoire, à la recherche de bribes éparses par l'écueil. Si je sens les vagues de frustrations, se glisser à mes pieds, je regagne mon refuge mon océan végétale, et trempe mes tempes de contemplations.