Le récit de Tyar
Post by Ex-Tyar - August 21, 2011 at 11:09 AM
L'Elfe
En vérité, ce n'est pas d'un elfe, que parle ce récit. Ce n'est de rien, ni d'un elfe, ni d'un homme, qu'il dresse le portrait. Le présent sujet est un semi-homme et un semi-elfe, il est de ceux que l'on désigne comme les demi-elfes. Cette vérité, toutefois, il n'en fera mention qu'ici, de toute sa vie. C'est à vingt-cinq années, c'est aux cent ans qu'il s'est inventés, qu'il écrit ces quelques lignes:
Le récit de Tyar
Moi, je suis venu deux fois au monde. Je suis né il y a de cela cent ans, déjà, dans le corps d'elfe dont je rêve tant, mais je suis aussi venu au monde en tant que demi-elfe. Depuis vingt-cinq ans, j'endure l'enveloppe immonde qui me relègue au rang de demi-être. Heureusement, elle apparaît plus elfique qu'humaine et c'est de cet heureux hasard que je tiens mon personnage. Ce personnage, c'est l'elfe que j'interprète, à chaque jour. Il est doté de la sagesse et de l'intelligence remarquable qu'ont la plupart des siens, celle que j'envie. Lui, l'Elfe, arbore une beauté et une délicatesse qui lui est propre, il n'a rien de l'irrégularité et de la bêtise humaine. Je lui donne la centaine d'années, soit l'âge adulte elfique. C'est à peu près à cette époque que j'en suis moi-même, dans mon développement de semi-chose.
Ma seconde naissance, celle que je préfèrerais ne pas avoir connue, est le fruit du viol d'une elfe par un pirate. Ma mère était à bord d'un vaisseau elfique qui faisait la navette entre le royaume des sages et Systéria lorsqu'un navire regorgeant de pirates l'a abordé. Sans surprises, c'était les odieux humains qui produisaient leurs ignominies. Il semblerait qu'elle fût l'une des rares à survivre aux atrocités des pirates, l'une, puisque les mâles étaient égorgés puis jetés à la mer. C'est tout ce qu'elle a bien voulu me laisser savoir, ma pauvre mère. Chez moi, au pays des elfes, je n'y ai passé que vingt ans, juste assez pour me lasser du regard que me portaient le peuple que j'envie, un regard dédaigneux et profondément méprisant. Les cinq années suivantes, je les ai utilisées afin d'approfondir ma connaissance de la bêtise humaine: j'ai voyagé dans les différents villages portuaires sur les côtes du continent du sud, on y retrouve bon nombre d'humains...
C'est à cette époque que j'ai renié la deuxième partie, il me semble. Ce n'était pas très difficile, que de me faire passer pour un elfe. J'avais tout apprit d'eux, après tout. Mes traits faciaux étaient bien plus près des elfes que des hommes, puis, l'absence de pigments dans ma pilosité me permettait de ne pas laisser voir les petits poils qui émergeaient en guise de barbe.
C'est à ces quelques mots que se résumait la première page que contenait le carnet.
[Si quelqu'un arrive à mettre la main sur le carnet en question, parce qu'il existe en jeu, son personnage pourra savoir tout ce qu'il contient et contiendra, puisque j'ajouterai de nouvelles pages éventuellement.]
Post by Ex-Tyar - September 9, 2011 at 1:19 AM
L'Elfe
Souvent, lorsqu'on voyait Tyar, il était plongé dans ses travaux. Une plume bleutée à la main, le demi-elfe non avoué garnissait son fidèle carnet de nouvelles lignes. La journée où il rédigea celles-là, il était assied au Coin Chaud, sur le seul siège qu'on lui connaissait, et écoutait les diverses conversations ambiantes. Tout près, à la table voisine, de jeunes gens s'échangeaient des paroles à voix basse. Il y avait là un jeune homme d'apparence soignée qui arborait fièrement l'emblème de l'ordre du soleil ainsi qu'une courte demoiselle qui ne manquait pas de charme.
- Des amoureux, encore, grondait Tyar pour lui-même.
\tLeurs yeux étincelaient et chacun semblait en proie à des sentiments divers, desquels Tyar décela la timidité et un bonheur si exagéré qu'il l'irritait, du moins, c'est de la façon dont il le décrivait. Bientôt vint le temps des aveux, le garçon dévoila son amour avec tous les excès que cela comprenait, tant en compliments qu'en déclarations. Malheureusement pour le couple, le demi-être y coupa court.
-
C'est tout à fait puéril, déclarait-il, de façon audible, cette fois-ci.
-
Que... mais le garçon fût rapidement ramené à l'ordre par sa compagne, alors qu'il s'énervait.
-
Venez, mon aimé, ne gaspillons pas notre temps à discourir avec cet être abjecte.
Comme seule réponse à l'insulte, le maigrichon trempa sa plume dans son encrier et poursuivit son oeuvre:
Le récit de Tyar
\tVous imaginez comment ce dû être humiliant, pour une elfe, une vraie, que de mettre au monde un truc du genre? Pourtant, ma mère s'était engagée à me tenir compagnie dans l'exil que je m'étais forcé. C'était une mère formidable, elle m'avait élevé comme l'un des leurs. Je suis navré, honnêtement, pour une fois. Nous aurions mérité bien mieux, moi comme elle, nous aurions mérité un véritable elfe. Toutefois, bien que j'estime sa honte très grande, ce ne pu, en aucun cas, rivaliser avec ce que je vivais à tous les jours.
\tOn dit des elfes qu'ils sont bons, foncièrement, indubitablement bons. C'est vrai, ils ne m'insultaient pas et ne se moquaient pas de ma vraie nature. Au contraire, ils m'ignoraient et, lorsque par malheur je devais croiser leur regard, j'y lisais un mépris sans bornes. Chez eux, au sein d'êtres qui semblent imperméable aux nombreux maux qui gangrènent les hommes (malice, jalousie, avarice, perfidie...), un individu susceptible de renfermer ne serait-ce qu'un de ces odieux défauts est rapidement radié de tout ce qui concerne le plan social.
L'exil, j'avais donc cerné le meilleur moyen d'accéder au bonheur et à la paix d'esprit, cela ne faisait plus aucun doutes, l'exil était la meilleure option et surtout la seule. Nous étions partis, moi et ma mère, aux confins du pays, à la frontière nord de ce dernier, sur la côte. Rapidement, nous avions découvert un village portuaire où les hommes étaient plus nombreux que les elfes. Je feignais d'être satisfait puisque c'est tout ce qu'elle désirait, que je le sois. Un régime de sourires exagérés et de compliments sur «ce beau coin de pays», comme je disais à l'époque, avait suffit à assouplir sa vigilance. Deux mois à peine après notre arrivée, je quittais, lors de sa méditation.
\tPourquoi, je quittais? Parce que ma moitié elfique suffisait à me conférer assez de sagesse pour comprendre. En effet, j'avais saisit que mon exil ne serait jamais complet que sans ma mère et loin de ma terre natale. Afin de devenir quelqu'un d'autre, l'elfe, je devais impérativement me soustraire à ceux qui connaissaient Tyar le demi-elfe. Il y avait également le fait que ces hommes, ici, avaient découvert avec quoi mon elfe de mère demeurait. Si un autre humain avait déjà réussi à l'engrosser, peu importe la façon, pourquoi pas eux?
\tMa mère, elle était mon seul lien avec les gens de ce pays. Les elfes préféraient s'éviter ma compagnie et, quant aux hommes, je leur jouais le même tour. Si j'avais eu la force ou le courage de protéger ma mère des avances ou même des attaques que les hommes auraient pu tenter, croyez bien que je l'aurais fait. À mon grand malheur, je priorisais la fuite à une tentative avec aussi peu de chances de succès.
Alors qu'il s'apprêtait à poursuivre, un grincement le ramena à la réalité et il leva les yeux. Devant lui, assied à sa table, se trouvait une demi-elfe avec qui il avait l'habitude de converser. En toute hâte, celui qui se voulait elfe referma son carnet, rangea ses effets et salua enfin la bâtarde.
- Vous ne voulez pas que je sache en quoi concernent vos travaux? s'inquiéta la jeune femme.
C'est alors, qu'avec le même empressement dont il avait fait preuve pour ranger son matériel, Tyar nia en bloc ce qu'insinuait son interlocutrice. Puis, après quelques mensonges bien construits, il conclut:
- De toute façon, je n'ai pas la maladresse de vous ennuyer avec mes travaux. Parlons plutôt de choses qui risquent de vous intéresser, voulez-vous?
Post by Ex-Tyar - September 26, 2011 at 5:40 AM
L'Elfe
Ce n'était pas une journée différente des autres, le demi-elfe continuait de relater sa vie dans son carnet habituel. Aujourd'hui, Tyar œuvrait à l'extérieur, sur un banc tout près du Coin Chaud. Sa plume grattait doucement le papier pendant que les passants le regardaient d'un mauvais œil. Parfois, quelques-uns le saluaient, mais c'est en toute hâte que d'autres venaient les ramener à la raison, il ne fallait pas discourir avec Tyar, de toute évidence, il était à éviter. Maintenant qu'il arrivait à paraître elfe, on le répugnait pour autre chose. Un jour ou l'autre, il en avait conscience, les choses changeraient. Par moment, il soulevait le regard afin de s'assurer que personne ne l'épiait, c'est lors de l'un de ces moments qu'il reconnue l'une des rares silhouettes familières dont il appréciait la compagnie.
[...]
-
L'heure est venue, n'est-ce pas? osait Tyar en replaçant son masque.
-
Je vous raccompagne à la sortie.
[...]
Il entendait la porte se refermer derrière lui, dans un grincement, alors qu'il était encore sur le pas de cette dernière. Poings fermés, muscles crispés, le maigre disparu dans la nuit en maugréant. À nouveau, il allait devoir détester quelqu'un, c'était un effort qu'il appréhendait. En effet, haïr ne se faisait pas qu'à moitié. Il devrait faire en sorte de berner l'objet de cette nouvelle haine afin de préserver son identité. La soudaine rage qu'il éprouvait lui rappela un épisode de sa vie et il le coucha sur papier dans l'heure qui suivit:
Le récit de Tyar
C'est sous le couvert de la nuit et avec toute la rigueur nécessaire à une telle opération que je m'étais extirpé des griffes de ma mère. Même si elle faisait tout ce qui était en son pouvoir, je le reconnais, pour que je sois à l'aise, cela n'était jamais suffisant. Ensuite, c'était à toutes jambes que je filais sur la route afin de rejoindre un autre village. La route serait longue, j'en étais persuadé, mais je poursuivais mon chemin sans regarder derrière. C'est d'une telle manière qu'allait mourir le demi-elfe de mon histoire, désormais, il ne resterait plus que Tyar l'elfe.
Les nuits étaient longues et d'autant que je me souvienne, jamais, de tout le trajet, nul repas n'avait suffit à apaiser la faim qui me tiraillait. Malgré tout, le seul espoir d'être reconnu à ma juste valeur ailleurs m'enchantait et me poussait à continuer, avec toujours plus d'ardeur. En chemin, j'étais parvenu à me vêtir autrement, j'avais récolté de quoi me voiler suffisamment pour laisser planer le doute sur ma race. À l'occasion, je rencontrais sur mon chemin des marchands ambulants à qui j'échangeais le peu de pièces volées à ma mère contre de la nourriture. Le reste du temps, je devais me contenter de racines dégoûtantes et de petits gibiers.
Bien sûr, comme vous vous en douterez, ma mère laissait chez moi un grand vide. Toujours, je m'étais pensé seul mais c'est à ce moment-là que je mesurais finalement l'ampleur de ma solitude. J'étais trop conscient du tort que j'avais dû semé, en trahissant ainsi ma génitrice. Tellement conscient que je me surprenais souvent à souhaiter oublier ma mère. C'est odieux, je le sais, mais encore aujourd'hui, je ne vois pas quelle autre solution s'offrait à moi. C'est ainsi que j'ai élaborée la thèse qui me mène maintenant à un tel égoïsme. Une théorie repoussante pour la plupart des gens mais qui me convenait, à moi, dans la mesure où elle pouvait soit soulager, soit alléger mes tourments.
À bien y penser, elle était la seule responsable de mon malheur. C'était elle qui devait veiller sur sa demi-engeance. Elle avait misérablement échoué à m'apporter le bonheur et à me sauver du dénigrement des elfes. S'ajoutait à cela les conséquences de ses échecs, mes troubles actuels et futurs. Au bout du compte, si je ne parvenais pas à voler de mes propres ailes, ce ne pouvait qu'être à cause d'elle, elle m'avait gardé trop longtemps sous son aile!
Je me doute bien de ce que vous direz d'une telle façon de voir sa mère. Vous décrirez mes réactions comme abominables et déplacées. Il vous faut toutefois reconnaître que l'on se fait moins mal à haïr quelqu'un qu'à se détester soi-même pour ce que l'on a fait. À ces deux grands maux, je choisis le moindre, aussi abject puisse-t-il être.
Il lorgna vers son encrier avant d'y poser sa plume, vide, il faudrait poursuivre plus tard. En se redressant, il remarqua que nombreux étaient ceux, au Coin Chaud, qui le dévisageaient. Il déduisit plus tard que ses expressions faciales, lorsqu'il écrivait, avaient dû laisser transparaître la colère qui l'habitait.