Plume

Plume

Post by Azmaïl, Mort - September 14, 2006 at 5:56 PM

Première partie: L'arrivée

La pluie glaçait mes os en cette journée qui devait être mon intronisation à la vie de ville. Arrivé ce matin sous le couvert des pâles lueurs de l’aube et l’aveuglement de la rosée qui reflétait une joie inexistante, j’avais le corps trempé mais l’esprit tranquille. Les flammes des torches valsaient encore faiblement, mourant au fur et à mesure que s’imposait le matin. Avançant dans ce dédale de pierre et de mortier, j’observais l’apparente tranquillité des lieux désertés par les légions du sommeil. Çà et là reposaient des corps attaqués par les rats, se relevant et renvoyant ces créatures aux portes du royaume des morts. L’odeur de ces misérables êtres sans âme appelait la mort à des mètres à la ronde. De temps à autres, une patrouille, l’arme à la ceinture, dévalait dans les rues afin de prêter secours face à un ennemi qui ne se présentait jamais. Les regards se retournaient quelques fois en ma direction, je n’en tenais pas compte. Seul un coin chaud et tranquille importait. Pour le moment, je n’avais que la quiétude; elle devrait cependant suffoquer sous le poids du réveil commun.

Je me traînai, penaud et fatigué de cette nuit de marche, au sous-sol d’une petite auberge où résidait aussi une mendiante. Elle ne me parla pas. Je serais en paix ainsi. Jetant mes vêtements par terre, quelle fut ma surprise de voir mon frère m’observer dans la psyché qui trônait au centre de la pièce. J’avais maigri, mais m’était beaucoup endurci. De longs cheveux noirs et luisants me tombaient sur la cage thoracique gonflée par l’entrainement de course que l’hostilité m’imposait. Un peu plus bas, je comptais aisément mes côtes sans avoir besoin de tâter. Mon expression faciale n’avait pas changée cependant, sinon que mes lèvres avaient pris une étrange teinte bleuté qu’elles devraient garder jusqu’à ma mort. Nous nous dévisagions, sourire narquois mais fort douloureux, du fond de nos pupilles à la couleur du néant s’éclaircissant en passant au gris au niveau de l’iris. Très peu de veinures s’affichaient, je devais être mort. Des sourcils fins d’un noir profond s’agençaient parfaitement avec la couleur morne du reste de mon corps. Il ne m’en fallait pas plus pour regretter un bain ainsi que de nouveau vêtement pour cacher mes traumatismes; honteux symboles de mes échecs passés. Mieux valait pour moi de les dissimuler, ils disparaîtraient lorsque la gloire reviendrait.

Je tournai dos à ce reflet qui n’en finissait plus de me dévisager et déballai mon inventaire fort simple. Quelques pièces de venaisons crues, une dague, une feuille qui avait bien plus d’importance que mon nom, puis une plume.

La pointe de cette dernière était d’argent. Jamais je ne l’avais utilisée, pourtant, une tache d’encre bleu en ornait l’extrémité. Le temps, l’effort n’eurent raison de cette imperfection. La plume du stylet était celle d’un corbeau. Longue et soyeuse, elle avait fait l’objet de bien des convoitises lors de mon pèlerinage. Le sang sur la dague en témoignerait plus tard.

Cette dague, de facture fort simple, était taillée à même un panache de cervidé. Affilée naturellement, elle n’avait conservé de sa claire boiserie que la dureté. La teinte était davantage dans les tons de rouge et de noir. Nulle imperfection n’était perceptible cependant si ce n’est qu’une fine gravure au niveau de la poignée qui indiquait «Liberté».

La feuille de papier, autrefois, conservait ce qui m’était le plus cher, mon nouveau nom. L’ancien martyrisant mon esprit, l’écriture me dépouilla de cette abomination pour le remplacer par «Plume». À présent, elle ne servirait plus à rien. Je ne vivrai que pour rattraper le temps que cette infamie avala avec gourmandise.

J’ai toujours eu un penchant pour l’écriture. Sans elle, mon reflet ferait figure d’ombre dans ma pensée. On m’a interdit bien des fois, à force de brûlure et d’injure, de dispenser de ce talent à mon aise afin de faire ressortir ma vraie nature. Cette expérience eut du bon en m’enseignant que rien n’est de confiance si ce n’est que sa personne. Et encore, là, un simple geste, le plus insignifiant lapsus peut détruire la censure d’une vie. J’appris donc à me faire discret, dévoilant quelques pointes de vérité sous un torrent de mensonge. Volubile comme je puis l’être, il m’est aisé de perdre mon interrogateur.

Ma première utilisation de la dague remonte à cette époque ou ma plume me fut confisquée. J’arpentais ainsi les forêts, les grottes, et aux sols de ces derniers j’écrivais mes crimes intellectuels. Le crime physique m’était inconnu. Seule la défense osa s’imposer lorsque mon frère couru vers la tanière familiale après avoir aperçu un de mes chefs-d’œuvre. Ma dague siffla une douce berceuse avant de s’aventurer dans l’épine dorsale de l’être fraternel. Il tomba sur le ventre, criant et gesticulant, ses mains tentant désespérément d’atteindre ma vengeance. Je m’assis donc à ses côtés, le regardant se vider de son énergie. La terre devint rapidement humide et austère près de lui sans que mes larmes ne viennent la réconforter. Il me maudit de plusieurs façons, mais la plus poétique et la plus sensée fut de m’appeler Plume. À ce moment, je consentis à retirer la dague et à laisser sa carcasse aux charognards qui arpentaient depuis déjà quelques instants la région.

Mes parents furent déçus de me voir revenir si tôt. Le repas fut frugal et agrémenté d’un vin que je soupçonnai avec raison d’être empoisonné. Un échange avec celui de mon père s’avéra nécessaire pour poursuivre ma destinée. Il ne mourra pas, ma mère était trop fière pour m’annoncer une telle victoire. Cependant, chaque jour elle me répondait que mon père avait veillé la nuit durant et que pendant le jour il se reposait dans ses draps. C’est sur ce même linceul que ma mère sanglotait depuis cet incident, seule. Il ne me fallut cependant pas grand temps pour m’aventurer auprès d’elle et lui donner pour compagnon un candélabre illuminé. Ses cris résonnèrent telle une douce mélodie à travers la région sans pour autant venir attrister ma conscience. Les hurlements se faisaient plus harmonieux à chaque pas qui me conduisait loin du passé. Mon nom fut salit pour la dernière fois, personne ensuite n’aurait à le connaître.


Post by Azmaïl, Mort - September 15, 2006 at 6:47 PM

Deuxième partie: Le sang indigne

La forêt se montrait clémente à mon crime, disons plutôt à ma libération; ce serait plus juste ainsi. Le plafond de feuille et les larges troncs protégeaient mon corps affaibli par une cruelle volonté des intempéries qui encombraient le ciel en réponse à mon outrageux geste. Elle me procurait donc abri et petit gibier que j’attrapai avec grande aise sous le voile opaque des ombres de ces arbres majestueux. La mousse, douillette et d’une odeur fort agréable faisait office de lit, malheureusement, plus ou moins perméable au sol froid de l’aurore et un tas de feuilles pris des branches les plus basses adoucissait l’espace où se posait ma tête. J’y serais resté des années, ma vie durant si ce n’avait été de ces monstres écervelés et avides de pouvoir qui hantent encore ces lieux. Les premiers me sont apparus pendant mon sommeil. Des êtres filiformes de ma grandeur, mais s’exprimant avec un ton hautain et autoritaire qui ne sied qu’à ma personne dans un dialecte qui s’apparentait au mien tout en restant d’une barbarie certaine.

«Sale être des ombres, quitte cette forêt ou meurt sous les lames courbées de nos sabres.»

Celui qui prit parole était sans doute le chef. Plus grand, mieux protégé sous ses plaques argentées qui miroitaient avec emphase, ce ne pouvait être qu’un de ces Elfes dont les contes parlent; les rescapés du Sang Indigne. Me relevant péniblement, secouant ma toge qui prenait une consistance de bouillie de plus en plus verte au fil des saisons, je le dévisageai sans broncher. Il devrait se soumettre à mon esprit ou je partirais dès le premier nuage venu.

Mais la lune brillait et de forts vents faisaient bouger le feuillage qui dispersait de faibles lueurs lumineuses ça et là sur le terrain. Je fus donc désavantagé et mes oreilles gelées n’entendirent le crissement du sabre dégainé de son fourreau qui vint s’abattre de tout son plat sur ma nuque. Tout devint noir, puis lumière. Ces Inférieurs m’avaient laissé la vie sauve et un tatouage indélébile sur l’épaule droite où était inscrit en leur langue, puis dans la mienne, puis dans la commune, «Sang Indigne». La mort aurait été cent fois plus douce que cette horreur qui me rappellerait ma vie durant cet échec face aux impurs. Quelques fois, il m’arrive encore de prendre ma dague et de l’approcher lentement de cette malédiction, puis de m’en distancer. Mon sang est bien plus précieux que cette marque corporelle. L’intérieur subsistera après la décomposition de cette enveloppe; la patience viendrait à bout de mon mal. Du moins, ma toge servait encore à dissimuler cette abomination.

Il me faudrait donc trouver une victime à qui réserver un châtiment encore plus beau que celui qui m’avait été offert. Il se manifesta en la présence d’une jeune Elfe qui, en âge commun, devait être âgée d’à peine 45 ans. Sa chevelure rousse volait au vent doux qui répandait son parfum de lilas jusqu’à mes narines au point de m’en faire éternuer. Elle ne me voyait pas, gambadant innocemment dans ce vaste champ fleuri qui avait pour fin une rivière s’écoulant vers la forêt de mes cauchemars. Rampant tel un chat près à attraper l’oisillon à même le nid, je demeurai tapi près d’elle pendant une heure ou deux jusqu’à ce que, voyant le soleil baisser, elle commence à cueillir des fleurs sauvages pour sa mère ou pour un plaisir des plus pathétiques.

C’est à ce moment que je me levai et, flottant pratiquement sur l’herbe qui amortissait le bruit de mes pas, approchai ma bouche de son oreille pointue dans laquelle je glissai quelques mots.

«Le sang indigne est celui duquel ne surgira aucun cri.»

Paralysée et enivrée par l’amalgame d’odeurs de son bouquet, elle ne dit mot. D’une rigidité cadavérique, ses paupières grandes ouvertes laissèrent couler une larme lorsque mes lèvres gercées et gelées déposèrent un tendre baisé sur cette joue débordante de vie. Puis, mes mains enlacèrent sa tête, l’une prenant appui sur son menton et l’autre contre sa tempe qui battait à un rythme effréné. L’une poussant, l’autre tirant, mes deux amies firent pivoter cette tête innocente dans un angle où elle ne verrait plus rien. Son corps léger me tomba dans les bras, sa main déposée dans la mienne prenait la température de l’air qui se refroidissait. De mon ongle le plus effilé et aguerri, j’égratignai son front ces quelques mots.

«Une erreur engendre un malheur.»

Cette marque perdurerait sans doute jusqu’à ce que l’on retrouve son corps échoué sur une berge voisine. La prenant dans mes bras, sa tête contre la mienne, je l’amenai près de l’eau où je déposai son corps. Le faible courant alimenté par les vents qui se faisaient plus violent en cette saison fit valser ce corps vers une contrée où, de toute façon, je ne remettrais jamais les pieds. Voilà qui était fait et sans répandre ce sang qui au contact de ma personne aurait contaminé mon être et confirmé cette infâme marque.

Père, je vous souhaite d’être fier de votre fils en ce moment. Il a honoré son peuple de la façon dont il se doit de l’être. La supériorité n’amène pas la domination, plutôt une envie toujours plus féroce de réparer les torts qui sont causés par les entités inférieures à notre race. L’impureté ne doit en aucun cas entacher la pureté tout comme cette même pureté ne doit éliminer l’impureté par laquelle elle s’identifie. Comprenez le vœu d’un fils qui vous a éliminé à cause de cette fausse image que vous vous faisiez de cette perfection. Je promets d’agir ainsi à l’avenir contre toute gens qui ne reconnaîtra en mon âme des qualités évidentes de vainqueur.

Cette même journée, j’étais tombé amoureux de ma première victime. Une obsession venant sans doute du premier meurtre interracial que j’avais perpétré. Je l’aurais gardée près de moi contre toute attente. La supériorité et l’innocence sont à ce point proches parents qu’il me paraît encore aujourd’hui incestueux, mais combien désirable, d'entretenir de tels sentiments.

(À suivre...)