Nausée d'un nouveau venu

Nausée d'un nouveau venu

Post by Léonard Milbrand, AdM - October 13, 2006 at 11:06 AM

Un jeune homme aux cheveux pâles, au regard perçant et aux joues creuses fixait le mince fil qui séparait la mer du ciel. Il se tenait debout, agrippé au mât d’un navire quelconque. Un arc maladroitement conçu se balançait à son dos; ses vêtements, véritables haillons, témoignaient d’une misère qu’il laissait désormais derrière lui.
« Je ne peux que m’enrichir et m’épanouir, là-bas » se disait-il comme réconfort; pour se convaincre du choix qu’il avait fait.
Depuis plusieurs jours, le bateau tanguait et provoquait une pénible nausée chez l’homme de vingt ans. Il était toutefois prêt à tout endurer pour échapper à cette vie médiocre et à son destin de moins que rien.

« Orphelin par choix »
Ces mots résonnaient en lui comme les murmures d’un fantôme.
« Orphelin par choix »
Par choix de ses parents. Ils n’avaient pas les moyens de nourrir une sixième bouche. Ils n’avaient d'ailleurs pas les moyens de nourrir quelque bouche que ce soit.
Alors, ils ont vendu le petit rejeton pour subvenir aux besoins des cinq autres. Simple solidarité familiale.

« Le pire, marmonnait-il, c’est que je ne suis pas le seul dans cette condition. Je ne suis donc pas unique. Je ne suis donc pas exceptionnel. »

Malgré tous ses efforts, il ne pouvait s’empêcher de jeter un regard désabusé sur sa situation. Il était commun, à la limite du pathétique, sans talent et sans argent, devant un monde qui n’avait nullement besoin d’un nouveau vagabond. Il ne possédait que ses mots et un vieil arc à flèche, sans flèches… évidemment.

Mais là-bas, perdu dans l’horizon lointain, se trouvait le seul rayon de soleil qui pouvait dissiper l’orage qui grondait dans son cœur : un souvenir flou et vaporeux rappelant au jeune homme que le bonheur n’était pas qu’une légende; que ce n’était pas un bien uniquement possédé par les riches, comme tout le reste!

C’était un souvenir de l’enfance, celle qui est pure et vraie; du temps de l’innocence. Un visage rose et blanc, des yeux rêveurs, des cheveux scintillants. C’était là la seule vision encore ancrée dans sa mémoire. Le jeune homme se rappelait également de deux lettres, le fragment d’un prénom : S et A.

La seule véritable amie avec qui il avait partagé cette douce jeunesse se trouvait à des lieux devant lui.

Devant lui.

Ça sonnait bien à ses oreilles.