Un bien étrange client

Un bien étrange client

Post by Vent d'Hiver - October 26, 2006 at 7:21 PM

L’astre solaire, ce matin encore, se penchait timidement sur la vieille ville. Dans une taverne comme toutes les autres, quelques ivrognes, l’air hagard, reprenaient conscience et quittaient la salle d’un pas mal assuré. L’un d’eux s’affala en chemin; sa tignasse encore humide de bière lui avait collé au visage alors qu’une chaise s’immisçait sournoisement entre lui et la porte. Le tavernier, amorphe, astiquait ses chopes derrière le comptoir. Lui aussi n’avait pas encore complètement quitté les bras et Morphée, il aurait payé cher pour s’y lover encore une heure ou deux.

Au dehors, la ville s’éveillait lentement. Un marchand menaçait de mille morts un gamin qui venait de lui chiper une pomme, un vieux chien aboyait pour signaler qu'il existait encore, une femme amère grondait son mari qui n’était pas rentré la veille. Au-dedans, une étrange mélodie s’élevait, triste et languissante. C’était un homme, assis au fond de la pièce, qui poussait quelques notes dans une longue flûte en os. Il détonait avec le reste de la clientèle, avec ses longs cheveux d’un rouge sanguin et sa peau grisâtre. Ses longs doigts glissaient le long de son instrument avec une grâce étrange, lente et calculée.

Le tavernier l’observait curieusement. Il ne se souvenait pas de l’avoir vu la veille. Que pouvait-il bien faire, alors, si tôt chez lui ? Il se décida à aller percer le mystère.

-Jolie chanson, l’ami. Mais … y s’rait pas un peu tôt pour v’nir boire un coup ?

-Je ne suis pas ici pour boire.

-Ah ? Tu t’es trompé d’endroit alors, l’ami. Ici, on vient pour s’assécher le gosier !

-Je sais.

-Mmmh … Alors, qu’est-ce’ tu fais ici ?

-Je cherche du travail.

-Désolé l’ami, mais si tu voulais être serveur, ‘faudrait que tu sois un peu plus plantureux et … féminin, si tu vois ce que je veux dire ! Le tavernier éclata d’un rire gras qui ne trouva pas écho.

-Pas ce genre de travail.

L’inconnu aux cheveux sanguins le fixa un moment, sans rien ajouter. Le tavernier resta interloqué quelques instants, avant d’esquisser un vague sourire.

-M’oui … j’crois savoir c’que tu veux. Repasse m’voir au couchant, on en discutera.

L’étranger égraina encore quelques notes, avant de ramasser son paquetage et de quitter l’endroit sans un mot de plus.