Une nouvelle signée Plume
Post by Azmaïl, Mort - July 18, 2006 at 3:51 AM
Demain
Ton regard m’a surprise dans une drôle de position. Dans la baignoire vide de tout soupçon, une lame à la main, une larme à l’œil, une lettre et un crayon au bout de la pièce. Sous la lueur d’une chandelle rayonnait ma blonde chevelure libre pour l’occasion ; libérée en cet instant de débauche. Ma robe jaunie et plissée par des années d’entreposage a gardée le parfum du pin sous lequel tu m’avais souillé. Mes lèvres, elles, ont imbibées l’atroce souvenir du gin de mauvaise fortune dont tu t’étais empli. Douloureux fut le coït que le curé interrompit à l’occasion de sa marche dominicale. Douloureuse fut sa mâchoire après que tu y eus extirpée trois dents à force de poing. Tu n’avais aucun regret au moment où l’ambulance amena mon bassin hémophile loin de ton bas-ventre ensanglanté. Je te l’avais hurlé que dès les premiers saignements, cela se perpétuerait jusqu’à ma mort. Si seulement la dernière partie de ma prédiction était vraie.
Ton pas feutré vers moi m’a instinctivement fait sursauté. En général, tu me salues lorsque tu es sobre. Ce pas fut pourtant régulier, élégant, malgré ton mutisme. Tu t’approches, mets ta main sur mon épaule et la fait glissée vers mon cou. Je grimace bien que cette caresse soit apaisante. Ma clavicule ne s’est jamais remise de sa rencontre avec la petite bordure de pierre délimitant le jardin. Un tantinet plus fort et ta poussée qui devait être une bravade d’alcoolique, aurait eue raison de mon cou qui portait, ironiquement, le symbole de notre amour : ma bague de fiançailles glissée dans une discrète chaîne dorée. Je l’ai perdue cette journée-là et, par le même fait, tu perdis ma confiance. Ce tantinet aurait dû être.
Tu t’agenouilles. Ton autre main longe ma cuisse, la traverse et lentement continue son périple sur mon ventre balafré qui tente, par contraction, de se dérober à cette hypocrite caresse. C’était un accident de cuisine. Le couteau avait fait une entaille de dix-sept centimètres sur mon abdomen, car, parce que… je ne me rappelle plus du mensonge, qui a sauvé ta liberté et emprisonné la mienne, que j’avais raconté au médecin. Après de longues heures d’angoisse où j’espérais mourir, tu es apparu tel la mort, mon sauveur. Hélas, tu as fermé la porte et m’a empoigné vigoureusement les joues. Par une menace sifflée, tu me dis que de telle pulsion de ta part n’arriverait plus si je cessais de me moquer de toi, que tu m’aimais et que, de fait, je devais te respecter ou en subir les conséquences. C’était ton odeur de rhum ou de vodka qui me fit vomir ou simplement mon dégoût envers une créature comme toi ? Si seulement la plaie avait été plus profonde.
Ta main finit par sentir qu’elle n’était pas la bienvenue et continua son périple, s’attardant pendant de longues secondes sur mes seins qui auraient bien voulus disparaître. Elle acheva sa course en s’attachant à sa comparse et en serrant mon cou.
Je relevai la tête, fière, indomptable amazone qui allait mourir pour son salut. Du coin de l’œil, je le fixai. Puis, ma vision devint floue et s’obscurcit. Il faisait froid. Je voulais de la lumière, je désirais la vie ! Toussant et gesticulant, je tentais frénétiquement de me défaire de ton emprise. La lame de rasoir rencontra ta main ce qui la fit reculer.
Je me levai brusquement et te dévisageai. Tu avais l’air malade. Tes mains, meurtrières, tremblaient de culpabilité.
– Pardonne-moi. Je sais que je ne suis pas le meilleur des maris, je suis jaloux et je bois comme un trou. Ce qui est certain, c’est que je t’aime et je refuse que tu t’enlèves la vie par ma faute. Je suis le seul coupable de notre malheur et moi, uniquement moi, mérite de mourir. Jamais plus je ne te toucherai de manière brutale. Je vais, dès demain, consulter un spécialiste et, une fois guérit, je t’emmènerai en voyage, oui, en voyage autour du monde. Nous ferons l’amour à Sidney et tu accoucheras dans le plus bel hôpital de Londres. Notre enfant sera heureux, tu seras heureuse et je serai amoureux. Demain… promis.
Il se rua vers moi les bras ouverts et m’enlaça. Les mains dans mon dos, la tête sur mon épaule, il pleurait. Pleure infâme, pleure violeur. Ta souffrance n’a d’égale que la surface de la mienne.
Ton cou porte un petit collier d’or. Ma lame vengeresse s’approche de celui-ci. Je vais te saigner et prendre mon bain par la suite pour te faire oublier de mon corps et de mon âme. Je serai libre. Une petite incision et ce sera la fin de ton terrifiant règne. Juste une petite.
– Je t’aime
Stupéfiée, je lâche la lame qui tombe au sol. Il ne me lâche pas, au contraire, sa tête se blottit contre la mienne et il m’embrasse timidement le cou. Une main glisse sur mes fesses qu’elle réchauffe tandis que l’autre caresse ma nuque. Tes doigts se noues dans mes cheveux, j’ai toujours aimé cela.
– Reste jusqu’à demain, ce sera merveilleux.
Il a raison, je dois le croire. Il est sincère cette fois. Demain il ira mieux, nous serons comme au temps de notre rencontre : frivoles et amoureux. Ce soir m’est inconnu, mais nous liera à coup sûr dans des termes plus pacifiques que ceux des derniers instants.
Je le pris par la main et le guidai jusqu’à mon lit. Où nous dormirons jusqu’à notre réveil sous un soleil renouvelé de joie par une complicité renaissante. Et si demain se fait attendre, j’attendrai son appel quitte à en mourir d’attente. Demain sera un moindre mal…
Mais le soleil ne s’est jamais levé sur notre empire conjugal. Je me retrouve une fois de plus dans la baignoire, cette fois remplie d’eau. L’être cher étendu au bas de l’escalier, la poussée de mon couteau fut assez brusque pour qu’il expire son âme, s’il lui en restait une parcelle. Le savon nettoie ma lèvre fendue et contourne précautionneusement mes hématomes tout frais, tout bleu.
Je tâte ma droite et trouve le manche du rasoir. Je le glisse sur mes jambes lentement, tel un préliminaire à mon orgasme. Puis, je frissonne. Mon sang coule lentement sans s’arrêter. La baignoire prend une teinte rosée et atteint le rouge. Je ferme les yeux. Inutile de résister à l’incessant saignement. L’utopie du lendemain n’a eu pour effet que retarder l’inévitable. Ce soir, chéri, nous coucherons en enfer.
Post by Fëanáro, Ind - July 19, 2006 at 8:30 AM
C'est excellent le stule est bien l'histoire colle mais les mots très riches m'ont à de nombreuses accasion fait décroché.
J'avais l'impression de lire un auteur de 18e siècle
Post by Thara Aurënissi, OdS - July 19, 2006 at 7:10 PM
Tu ne dois pas lire souvent dans ce cas.. Je l'ai trouvé très facile à lire et merveilleusement poétique!! Très beau
Post by Arvendor Vasyr, AdC - July 19, 2006 at 7:19 PM
Vraiment fort, beau vocabulaire. Très délicieux à lire!